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La refonte des renseignements souhaitée par Manuel Valls portera en premier lieu sur la DCRI où 1900 policiers supplémentaires seront affectés en plus de nouveaux moyens technologiques.
La refonte des renseignements souhaitée par Manuel Valls portera en premier lieu sur la DCRI où 1900 policiers supplémentaires seront affectés en plus de nouveaux moyens technologiques.
©Reuters

Retour aux sources ?

La refonte de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur évoque en creux les insuffisances structurelles des grandes oreilles françaises, l'affaire Merah n'en étant qu'un symptôme parmi d'autres. Cette structure sera désormais remplacée par la DGSI afin de se rapprocher de l'actuelle DGSE qui gère les opérations extérieures.

Atlantico : La refonte des renseignements souhaitée par Manuel Valls portera en premier lieu sur la DCRI où 1900 policiers supplémentaires seront affectés en plus de nouveaux moyens technologiques. A cela s'ajoutera la création d'unités de recherche pour mieux infiltrer les réseaux suspects. Quel est l'objectif de ces grandes manœuvres ?

Eric Denécé : On s'est en réalité aperçu après la création de la DCRI en 2008, bien qu'elle ait eu des aspects positifs indubitables, qu'un tel dispositif ouvrait de nombreuses fenêtres de vulnérabilité dans la façon dont on surveille le territoire national et ses zones à risques. La vérité est que l'on a mené une réforme qui aurait été très adaptée aux années 1990 mais qui avait déjà un train de retard à la fin des années 2000. La DCRI, en développant notamment tout un réseau d'agents à l'étranger, était taillée pour intercepter des réseaux terroristes prenant racine à l'extérieur du territoire, ce qui collait mal aux structures de "proximité" qu'ont su imposer des formations comme Al Quaeda à partir de 2001. Le terrorisme en France est depuis principalement devenu un terrorisme "domestique", le nombre d'opérations émanant de l'étranger étant actuellement particulièrement faibles.

La plupart des tentatives naissent aujourd'hui dans nos banlieues, et cette nouvelle nature pose un problème à la structure même de la DCRI qui fonctionnait encore sur le mode de la DST en cherchant à nous protéger de réseaux étrangers. Cela était utile du temps de Carlos, des groupes armés pro-palestiniens ainsi que de celui des attentats du GIA, qui venaient alors en France pour y rencontrer un contact, mener l'opération, et sortir aussitôt après du pays. De telles pratiques sont devenues mineures actuellement face à Al Qaeda qui, en France, mène près de 90% de ses tentatives près de ses sources. Dans un tel contexte, le but est de détecter autant en amont que faire se peut les risques potentiels sur le terrain, un travail qui était précisément celui des RG d'avant 2008. Je ne jette évidemment la pierre à personne, ces nouveaux enjeux n'étant pas évidents à déceler dès le départ, mais il semble que la précédente réforme n'offrait pas toute la souplesse nécessaire, d'où les reconsidérations actuelles. Il ne s'agit pas tant de revenir aux RG de l'ancien temps, ces services ayant eux-mêmes connu leurs lots d'imperfections, mais bien d'aller de l'avant en prenant en compte la réalité du terrorisme de ces dernières années.

Les failles de l'affaire Merah sont avancées comme argument pour justifier ces réformes. Pourquoi un projet aussi ambitieux alors qu'il s'agit d'un événement certes tragique, mais isolé ? Est-ce vraiment efficace ?

Vous avez raison de vous interroger. L'affaire Merah n'a pas été en tant que tel l'élément déclencheur mais un événement supplémentaire qui a achevé de convaincre du besoin de refonte d'une partie de nos renseignements. Si cette affaire a été la plus médiatisée de tous ces éléments, elle n'en est effectivement pas le plus révélateur, d'autant plus que Mohammed Merah était typiquement le cas de figure qui pouvait échapper aux policiers : mentalement atteint, isolé, mais aussi bien organisé. Au-delà de cette histoire, le véritable problème reste bien celui de la nature de "territorialisée" du terrorisme contemporain. Cela nécessite d'infiltrer les banlieues, les mosquées radicales, de surveiller les passages de frontières, mais aussi d'étudier les frustrations qui peuvent nourrir le passage à l'action. Un tel quadrillage, s'appuyant sur une connaissance fine de la situation locale, était un peu ce qui manquait à la DCRI qui était davantage tournée vers l'étranger, à tel point d'ailleurs que la DGSE (Service extérieur, NDLR) sentait que l'on empiétait parfois sur ses plates bandes.

Jean-Claude Bouchoux, ancien directeur de la DRPP (ici) affirmait récemment que le principal problème de la DCRI était qu'un tel service manquait de renseignements de terrain. Le fait de faire évoluer la future DGSI sur le modèle de l'actuelle DGSE permettra t-il de pallier à ces lacunes ?

Transformer la DCRI en DGSI est à mon humble avis une erreur parce qu'elle va ainsi perdre tous les moyens de police. Néanmoins, le jeu d'influence entre les différents services et les différentes directions dépassent ici ce que l'on pourrait appeler le "seuil d'intérêt général".

Le projet porté par Manuel Valls concerne notamment la surveillance des "mouvements protestataires et revendicatifs". Cette tâche n'était-elle pas déjà assurée ? Est-il nécessaire de faire face à de nouvelles menaces ?

Il est essentiel de le faire, à fortiori pour un service de renseignement intérieur dont le rôle est justement d'anticiper tous les mouvements de fonds de la société qui pourraient potentiellement déboucher sur de l'action violente. On observe aujourd'hui, quelque soit la cause et le possible degré de légitimité du message défendue, une progression importante de la radicalisation chez de nombreux groupes. Cela peut concerner des univers très divers, des anti-avortement aux partisans des droits des animaux en passant par l'Islam radical, la lutte anti-nucléaire et les milieux indépendantistes. C'est là directement le travail du renseignement territorial, et les problèmes d'organisation que l'on a pu rencontrer ces dernières années méritaient une reprise en main. C'est justement l'objectif des mesures actuelles.

Le député socialiste Jean-Pierre Sueur, dans un rapport parlementaire daté du 15 avril dernier, militait pour « un rattrapage indispensable » des moyens des services de renseignements, moyens qui atteignaient 2,1 milliards d'euros en 2012. Que peut-on espérer en la matière ?

La question des moyens du renseignement est une rengaine vieille de trente ans. La France dispose, tant au niveau du budget que des effectifs, du plus faible arsenal des grandes et moyennes puissances en comparaison de l'Allemagne, du Royaume-Uni, et bien sûr des géants comme la Russie ou les Etats-Unis. Les différents politiques depuis De Gaulle, u'ils soient de droite ou de gauche,  ont toujours considérés que le renseignement n'était pas une priorité, et l'on peut à ce titre saluer les performances de nos services qui sont tout sauf médiocres par rapport aux moyens modérés qui leurs sont attribués. Si personne ne se plaindrait de voir des fonds supplémentaires être alloués, je pense que les réclamer reviendrait un peu à crier dans le désert.

Le même M. Sueur évoque dans le rapport "la nécessité d'améliorer encore le régime juridique des interceptions de sécurité", s'inquiétant du manque de visibilité des parlementaires sur notre système d'écoutes. Comment expliquer que rien n'ait été fait en la matière ?

Les parlementaires français, dans leur ensemble, ne savent pas grand-chose parce que la grande majorité d'entre eux ne s'intéresse pas fondamentalement aux services de renseignements. Si l'on peut souligner l'utilité de la démarche de M. Sueur on ne peut que regretter plus largement le peu de connaissance et d'intérêt du monde politique sur un tel sujet. Il est essentiel que le contrôle juridique soit bien encadré et que les principes démocratiques soient respectés, sans quoi nous finirons effectivement comme les Etats-Unis qui évoluent de plus en plus vers un modèle de démocratie policière. Je dirais toutefois que les apports de la loi impulsée par Michel Rocard en 1991 ont été salutaires en mettant fin à certains excès de l'Elysée en matières d'écoutes ainsi qu'en offrant un cadre législatif dont il n'y aurait que peu de choses à redire aujourd'hui.

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