Cours toujours !
SMIC, chômeurs de longue durée et travailleurs pauvres : l’histoire d’une crispation idéologique française qui se retourne contre ceux qu’elle est censée aider
Pierre Gattaz, le président du Medef estime que la création d'un "SMIC intermédiaire" à titre temporaire serait un bon moyen pour qu'un "jeune ou quelqu'un qui ne trouve pas de travail puisse rentrer dans l'entreprise de façon transitoire avec un salaire adapté, qui ne serait pas forcément le salaire du Smic".
Jean-Charles Simon
Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef.
Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.
Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc
Atlantico : Le président du Medef estime que la création d'un "SMIC intermédiaire" à titre temporaire, qui permettrait pour "des publics éloignés de l’emploi" de sortir du chômage. En quoi le niveau actuel du SMIC est-il un frein à l'emploi ?
Jean-Charles Simon : Le Smic français est en effet plus élevé qu’ailleurs. La grande coalition allemande vient ainsi d’accoucher d’un salaire minimum qui est plus de 10 % inférieur à notre Smic. L’écart est d’environ 18% avec le Royaume-Uni, qui prévoit en plus des niveaux décotés pour les plus jeunes. Et ne parlons même pas des Etats-Unis, où les Etats les plus volontaristes annoncent, dans le sillage des demandes de revalorisation du Président Obama, un salaire minimum qui serait porté à près de 80% de notre Smic actuel… en 2017.
Les politiques allègements de charges essaient depuis 20 ans de contrebalancer ce minimum plus élevé que chez nos partenaires. C’est presque de la schizophrénie, et c’était notamment vrai dans les années de la mise en place des 35 heures : revalorisations massives du salaire horaire minimum et baisse également massive de charges au niveau du Smic… 20 ans de politiques allègements qui se trouvent largement renforcées avec le CICE et maintenant les baisses annoncées dans le cadre du "pacte de responsabilité".
Pour autant, le Smic est-il le principal problème de l’économie française ou l’explication première du sous-emploi dans notre pays ? Je ne le crois pas. L’ensemble des rigidités du marché du travail et le coût prohibitif de la protection sociale obligatoire au sens large sont des enjeux beaucoup plus importants.
Quelles populations pourraient être concernées par une telle mesure ?
Ce sont a priori les moins qualifiés, et les plus jeunes, s’il y avait comme dans d’autres pays une forme de dérogation au Smic les concernant. Ce qu’on retrouve tout de même déjà via l’apprentissage et les stages. Je comprends bien les arguments de ceux qui mettent en avant le chômage élevé à ces niveaux de rémunération ou à l’entrée sur le marché du travail. Mais j’observe que la politique ciblée sur les bas salaires menée depuis longtemps n’a rien donné de probant dans notre pays.
Il me semble que l’économie française court surtout le risque de se spécialiser sur les activités à bas salaires. Dès que l’on est à des niveaux un peu plus éloignés du Smic, les charges atteignent des niveaux inconnus ailleurs. Ces activités plus qualifiées semblent donc s’évaporer peu à peu, soit parce que les entreprises ne peuvent être très compétitives dans ces secteurs, soit parce que les salariés concernés vont voir ailleurs. Tout se passe comme si on exerçait un transfert de richesses des entreprises à main-d’œuvre qualifiée vers les autres. Cela se retrouve sur toute la distribution des salaires, avec un minimum plutôt "élevé" mais moins de salariés bien payés. En 2012, une étude faisait ainsi état d'un salaire médian 40 % plus élevé en Allemagne qu’en France, un écart qui perdurait au huitième décile (premier niveau de salaire des 20% les mieux rémunérés).
Faut-il envisager, comme le suggérait Pascal Lamy la création de "petits boulots", payés en dessous du Smic à l'image de ce qui se fait en Allemagne ?
Cela peut aider à réduire le sous-emploi. Mais je pense que la persistance de celui-ci, y compris à un niveau assez élevé même quand l’économie est au mieux, montre qu’il y a d’autres difficultés. Tout ce qui est de l’ordre de la régulation compte à mon sens bien davantage. C’est vrai du licenciement, des contraintes à l’embauche, du cadre des CDD ou encore de celui du temps partiel. A ce titre, vouloir quasiment interdire les temps partiels de moins de 24 heures est tellement aberrant qu’il a fallu y surseoir, dans une certaine insécurité juridique. Or, plus que des salaires très bas, les formules qui ont le mieux réussi autour de nous sont les contrats apportant une très grande flexibilité au marché du travail, en termes de durée ou encore de cadre juridique. Ce qui est susceptible d’éviter à la fois le travail au noir ou le renoncement à l’embauche. C'est bien sûr difficile à vivre pour les premiers concernés, mais leur alternative en France est d’abord le chômage, et souvent de longue durée.
En France, un jeune sur quatre est au chômage avec 26,5% des moins de 25 ans sans emploi. Au-delà du contexte de crise, la grille des salaires française, fortement concentrée vers le bas, n'incite pas forcément les entreprises à embaucher des salariés débutants. Dans ces conditions, la mise en place d'un "Smic jeunes", bien que politiquement incorrect, peut-elle être une solution efficace au chômage des jeunes ? En quoi ?
Peut-on par ailleurs y voir une justification économique, en tout cas, une logique ?
Le "Smic jeunes" ou d'autres types de modération salariale en début de carrière existent-il dans d'autres pays européens ? Lesquels ? Et avec quels résultats ?
Quelles pourraient être en France les modalités d'application d'un Smic jeune ? Peut-on imaginer des contreparties pour les jeunes ? Lesquelles ?
On se souvient des manifestations d'étudiants qui avaient obligé le gouvernement Villepin a reculer sur le Contrat première embauche (CPE). Un "Smic jeunes" serait-il socialement acceptable ?
Cet article a été publié sur Atlantico le 14 novembre 2013 - Chômage des jeunes : l'écrasement de la grille des bas salaires français laisse-t-il d'autres choix que d'instaurer un Smic jeunes ?
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