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Economies budgétaires, politique de natalité, préservation des classes moyennes : ce qu’il est possible de faire sur la politique familiale en respectant ces impératifs
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Mission impossible ?

L'audition de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) sur le financement de la branche famille a lieu ce mercredi 16 avril à l'Assemblée nationale. L'occasion de faire le point sur notre politique familiale.

Atlantico : Aujourd'hui, les impératifs budgétaires poussent la France à l'économie, comment dans ce contexte, mettre en place une politique familiale efficace ?

Vincent Touzé : Le Premier ministre, Manuel Valls, s’est engagé à appliquer le pacte de stabilité qui nécessite en contrepartie une économie de 50 milliards d’euros pour l’administration publique. Ces économies devraient être réalisées grâce à un effort de l’administration centrale (19 milliards), des collectivités locales (10 milliards) et de l’assurance maladie (10 milliards). Il reste 11 milliards d’euros à économiser via "une plus grande justice, […] une mise en cohérence et […] une meilleure lisibilité de notre système de prestations". Peut-être faut-il voir dans ce quatrième volet du plan d’économie une remise en question des prestations sociales de façon générale mais également le mécanisme de soutien financier à la politique familiale, en particulier. Il serait dangereux de demander une contribution trop forte aux familles car les enfants devraient être les derniers payeurs de cette crise économique et surtout d’une dette publique accumulée par leurs grands-parents et parents.

Laurent Toulemon : Pour être efficace, il faut d’abord déterminer les buts de la politique familiale, et il faut dire qu’ils ne sont pas très explicites aujourd’hui.

L’ambition la plus ancienne de la politique familiale est celle de faciliter la natalité. Un autre but apparu dans les années 90 consistait à améliorer l’égalité entre les hommes et les femmes en mettant l’accent sur la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Ensuite, toute une série de buts peuvent être associés à la politique familiale bien qu’ils appartiennent aussi à d’autres politiques sociales. Ce sont par exemple les mesures en faveur de l’égalité des chances entre les enfants, des politiques d’autonomies des jeunes adultes et de lutte contre le chômage des jeunes, des politiques de lutte contre la pauvreté, mais aussi la mesure en faveur du mariage pour tous, qui porte sur les conditions de vie des familles, comment on organise le pacs ou la vie au quotidien des familles recomposées. Toutes ces questions ne sont pas financières mais elles peuvent tout à fait relever de la politique familiale.

Quels moyens d'actions peuvent être envisagés pour réformer la politique familiale dans ce contexte d'économies budgétaires ? Ces mesures ne risquent-elles pas de pénaliser les classes moyennes ?

Vincent Touzé : Les moyens d’action pour faire des économies ou augmenter les recettes fiscales sont multiples. S’il s’agit de remettre en question le soutien financier aux familles, le gouvernement pourrait mettre sous condition de ressources les allocations familiales, ce qui revient à les faire dépendre du revenu, ou plus simplement rendre ces allocations imposables. En outre, il peut aussi agir sur le plafond de réduction d’impôt induit par l’application du quotient familial. Le quotient familial est une mesure d’équité qui permet de tenir compte de la taille des familles pour calculer l’impôt sur le revenu. De façon juste, il conduit à moins taxer les foyers fiscaux avec enfants que les foyers sans enfant à revenu équivalent. Le gouvernement Ayrault a déjà fortement baissé ce plafond. Il ne reste donc pas de marge de manœuvre de ce côté. Au contraire, une éventuelle fiscalisation des allocations familiales pourrait accentuer le caractère injuste de la baisse du plafond (voir ici).

La baisse du plafond ne concerne pas vraiment les classes moyennes puisque pour un couple avec deux enfants, il faut gagner plus de 6000 euros par mois pour subir l’effet du plafond. A partir de ce revenu, chaque membre du couple est taxé comme un célibataire. Toutefois, à Paris, la notion de classe moyenne peut être très différente par rapport à de petites villes de province.

La fiscalisation concerne tous les ménages payant l’IR. Donc elle impacterait aussi les classes moyennes (dans un sens étendu), mais en même temps, le montant de l’impôt payé sur les allocations familiales dépendrait de la tranche de revenu soumis à l’IR. Pour un couple avec deux enfants (trois parts), on observerait ainsi un taux d’imposition (équivalent à une baisse) des allocations familiales suivantes :

- 5,5 % pour un revenu supérieur à 18.033 € annuel

- 14% pour un revenu supérieur à 35.973 € annuel

- 30 % pour un revenu supérieur à 72.000 € annuel

- 41% pour un revenu supérieur à 142.794 € annuel

- 45% pour un  revenu supérieur à 302.400 € annuel

En quoi est-il important de s'entendre sur le principe d'équité pour mener une politique familiale efficace ? Les pays anglo-saxons et les pays du nord n'auraient-ils pas d'autres techniques pour mener leur politique familiale ?

Laurent Toulemon :La notion d’équité peut correspondre à trois types de politiques très différentes :

- Dans des pays anglo-saxons, notamment en Angleterre, l’équité signifie que l’on met l’accent sur l’aide aux familles pauvres. Les gens peuvent avoir le comportement démographique qu’il souhaite, l’Etat est seulement là pour lutter contre la pauvreté.

- Dans les pays d’Europe du Nord, l’équité consiste à aider tout le monde de la même façon et plutôt avec des biens publics. On rend ainsi la ville agréable aux familles et accueillante pour les enfants en organisant son aménagement. On ne se soucie pas d’aider les familles mais plutôt d'aider les enfants. On met en place des conditions de travail à temps partiel pour les mères, pour qu’elles puissent aussi s’occuper de leurs enfants. L’idée est qu’il faut aider tous les enfants de la même façon.

- En France, l’équité a conduit pendant longtemps à dire : nous avons une politique de redistribution verticale des riches vers les pauvres, les politiques familiales seront donc horizontales. Ainsi, au sein des familles les plus riches, on aidera celles qui ont des enfants plus que les autres et au sein des familles les plus pauvres, on reproduira le même schéma.  Cette politique revient au final à financer davantage les enfants des plus riches plutôt que les enfants des plus pauvres, car pour maintenir le niveau de vie de personnes au revenu important il faut mettre plus d’argent que si l’on souhaite aider des personnes aux revenus plus faibles.

Alors la politique familiale française devrait-elle se réorienter ? Elle s’est déjà beaucoup réorientée avec l’apparition de mesures sous conditions de ressources ainsi que la limitation des allocations familiales ou limitation des plafonds en termes d’aide sur les impôts sur le revenu. La mesure phare en termes d’équité horizontale c’est l’impôt sur le revenu avec le quotient familial, qui consiste à dire que les personnes sont imposées non pas en fonction de leur revenu mais en fonction de leur capacité contributive, et cette dernière dépend du nombre d’enfants qu’elles ont. Le fait de plafonner ces avantages fiscaux a véritablement consisté à diminuer cet aspect de redistribution horizontale par rapport à une redistribution verticale, au sens habituel.

Vincent Touzé : L’équité fiscale veut qu’à revenu et structure familiale identiques, on taxe de la même façon. Reste après à voir comment on peut rendre comparable les revenus de foyers fiscaux qui n’ont pas la même structure familiale. C’est l’objectif du quotient familial qui joue le rôle d’échelle d’équivalence. Ce quotient est parfois critiqué car il serait trop généreux avec les familles. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'élever des enfants représente de nombreux coûts et sacrifices non monétaires (le temps consacré) qui ne sont pas pris en compte par les échelles d’équivalence. Donc le sujet  n’est pas si simple. Si on demandait aux parents de tarifer le temps gratuit qu’il consacre à l’éducation de leurs enfants (investissement qui représente un bénéfice futur pour la société, puisque ces enfants éduqués, plus tard, travailleront et paieront des impôts), la facture pourrait bien être très lourde pour la société.

Si la vie en famille présente de nombreux avantages en termes d’économie d’échelle, ce mode d’organisation sociale devrait être plutôt encouragé car en plus il constitue souvent un lieu important de mutualisation et de solidarité qui ne coûte rien à la société.

D’autres pays n’ont pas de quotient familial mais en général, ils n’ont pas d’impôt sur le revenu progressif. Le quotient familial devient inutile quand le système de prélèvement est proportionnel au revenu (par exemple, la CSG-CRDS en France). Au nom de la simplification, certains prônent donc l’abandon du quotient familial pour développer un système de prélèvement à la source. En pratique, une telle démarche revient à abandonner la progressivité de l’impôt (remarque : la progressivité se traduit par un taux moyen d’impôt qui augmente avec le revenu). Cependant, la progressivité présente l’avantage de demander plus en proportion aux plus riches, ce qui peut correspondre, en soi, à un objectif de justice sociale. 


Alors que la France à un taux de natalité élevé par rapport à ses voisins européens, quelle politique familiale mener pour ne pas mettre à mal le taux de natalité français ? Dans quels domaines les politiques menées influencent-elles la natalité ?

Laurent Toulemon :D’un côté, les mesures économétriques de l’efficacité de telle ou telle mesure de politique familiale sont assez décevantes. Chaque mesure a en fait un effet très faible sur la natalité. Par contre, en France, nous avons un très grand nombre de mesures qui forment un ensemble pas toujours cohérent (des mesures en direction de tel ou tel type de famille, certaines qui incitent les femmes à travailler, d’autres qui les incitent à s’occuper de leurs enfants), mais qui couvrent un très large spectre. Ces mesures mises en place depuis longtemps donnent l’impression que l’Etat aide toutes les familles dans toutes leurs diversités. Donc si on ne veut pas mettre à mal le niveau de la fécondité élevé de la France, la politique familiale doit rester crédible aux yeux de ceux qui hésitent à faire des enfants.

En plus des politiques familiales, il y a aussi des politiques sociales, éducatives ou de logement, qui on le voit dans les comparaisons internationales, ont un impact très important sur le niveau de la fécondité. Premier exemple, l’école. En France, l’école est gratuite et obligatoire et elle accueille les enfants à partir de 3 ans. Elle commence tôt le matin et termine tard le soir. Les couples savent donc qu’au bout de trois ans, ils pourront se remettre au travail dans des conditions de conciliation d’une vie personnelle et professionnelle qui ne sera pas trop compliquée. Cette politique, mise en place au départ pour faciliter l’égalité des chances, et ce presque à l’encontre des familles - l’Etat étant le père de tous les enfants, garantissant une certaine équité - est finalement considérée par les parents comme très importante pour les inciter à faire des enfants. On peut aussi citer la politique de d’attribution de logement social qui tient compte de la composition des familles. Les contraintes liées au logement sont donc moins fortes en France que dans d’autres pays où faire des enfants signifie avoir des problèmes de logements spécifiques. Ces deux politiques sociales ont un impact important sur le niveau de la fécondité alors qu’elles n’ont pas été créées pour ça.

Vincent Touzé : Le taux de natalité français élevé résulte d’une politique familiale qui protège financièrement les familles d’une trop forte baisse du niveau de vie consécutive à l’arrivée d’un enfant, d’une part, et d’un engagement financier de l’Etat pour faciliter les modes de gardes des jeunes enfants pour les parents biactifs, d'autre part. On facilite ainsi le travail des mères de jeunes enfants. Ce système doit être préservé. Si on doit dresser une liste de priorités pour le plan d’économie, la politique familiale devrait figurer en dernière place. Il ne faut pas oublier que depuis de nombreuses années, on a souvent substitué des baisses du taux de cotisation sociale de la branche famille par des hausses des cotisations en faveur de la branche vieillesse. C’est un curieux choix, car une société sans enfant n’a pas d’avenir.

Comment peut-on préserver les classes moyennes et mener une politique familiale efficace ?

Laurent Toulemon :Cette idée de préserver les classes moyennes est un fantasme. On ne sait pas très bien ce que sont les classes moyennes et l’image qu’en ont les politiques est faussée. Pour eux, elle représente la frange inférieure des classes supérieures, elles correspondraient ainsi au 30% les plus riches, ce qui ne représente pas du tout les classes moyennes puisqu'elles se situent au niveau médian. Il faudrait donc d’abord s’entendre sur ce que sont les classes moyennes. L’idée est que les électeurs n’ont pas envie de s’entendre dire qu’ils sont pauvres. Pourtant, si l’on veut faire des politiques de lutte contre les inégalités c’est d’abord contre la pauvreté qu’il faut lutter. Mais la politique française sur certains aspects a tendance d’une part, à favoriser les personnes avec les revenus les plus bas, et d’autres part via les aides fiscales, à favoriser les plus riches. Les personnes qui sont au milieu de la répartition des revenus sont celles qui sont les moins aidées en valeur absolue.

Vincent Touzé :Dans la mesure où l’effort budgétaire à réaliser est important, il paraît difficile d’épargner les classes moyennes. Il faut espérer que le redressement de l’économie française se traduise par un retour rapide à une dynamique de création d’emplois. Aujourd’hui, avant d’être mise à contribution par des mesures d’économies de dépenses publiques, les classes moyennes, et aussi les plus pauvres, sont surtout victimes du chômage et donc d’une forte perte de revenu. La France a besoin de retrouver un nouveau souffle et dans ce domaine, il y a urgence.


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