Ces Français oubliés de la politique Hollande-Valls<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreuses catégories socio-professionnelles semblent promises à la disparition du radar politique de nos dirigeants.
De nombreuses catégories socio-professionnelles semblent promises à la disparition du radar politique de nos dirigeants.
©Reuters

Collatéral ?

A travers son discours de politique générale, Manuel Valls a souhaité rassurer les Français, le monde de l'entreprise, ainsi que les ménages les plus modestes qui bénéficieront d'allègements fiscaux étalés sur trois ans. Dans le même temps, de nombreuses catégories socio-professionnelles semblent promises à la disparition du radar politique de nos dirigeants. Des classes moyennes aux intérimaires en passant par une partie des ruraux, les sujets d'inquiétudes ne manquent pourtant pas.

Les basses classes moyennes

Laurent Chalard : Les basses classes moyennes, qu’elles résident en ville, dans l’espace périurbain ou à la campagne, sont les grandes perdantes de la mondialisation, avec les classes populaires, puisqu’elles voient leur situation se fragiliser, le moindre accroc dans leur parcours professionnel (licenciement) ou personnel (divorce) pouvant entraîner un déclassement. Or, elles ont tendance à se sentir oubliées des grandes politiques menées par l’Etat dans le sens qu’aucune politique ne s’adresse spécifiquement à ces populations. S’il existe des politiques pour les classes populaires, à travers par exemple la politique des banlieues ou de redistribution des richesses, ce n’est pas leur cas, n’étant pas considérées comme une catégorie à part entière, du fait de leur hétérogénéité.

Face à la crise, ces populations ressentent cependant bien souvent le besoin d’être suivies, d’autant que la France est un pays à forte tradition étatique, où le citoyen se tourne mécaniquement vers l’Etat quand les choses vont mal. Or, à l’heure actuelle, elles ont souvent l’impression de souffrir d’un désengagement de l’Etat de ses services de base, processus déjà largement engagé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et qui conduit à une dégradation de leur vie quotidienne. Il existe de moins en moins d’interlocuteurs au niveau local, étant donné la disparition progressive des services de l’Etat du territoire. Le nombre de kilomètres a donc tendance à s’accroître au fur et à mesure du temps pour accéder à un service, ce qui a un coût non négligeable quand les fins de mois sont difficiles. De plus, l’émiettement territorial déconcerte aussi le citoyen, qui ne sait plus trop qui est responsable de quoi (commune, intercommunalité, département…). Enfin, concernant la sécurité, problématique qui monopolise l’attention de nos concitoyens puisqu’elle joue un rôle important sur la perception de la qualité de vie de son environnement, le manque de moyens dans certains territoires ne fait qu’accroître le sentiment d’insécurité puisque les trafics divers et variés peuvent proliférer, les délinquants n’étant pas réprimandés.

Vincent Touzé : La marginalisation de ce que l'on appelle les "basses classes moyennes" est un débat qui revient souvent, et la question de la fiscalité qui leur est réservée est tout particulièrement abordée :
S'il est vrai qu'une partie importante de leurs revenus est prélevée, il est intéressant de voir ce qu'elles vont dans le même temps toucher grâce aux différentes prestations auxquelles elles ont droit. Ainsi sur l'année 2012, si l'on observe le revenu des ménages du premier quintile (1/5 des Français parmi les moins aisés, NDLR) on note qu'il augmente clairement après qu'aient été reversées les prestations (allocations chômage, famille, logement...) en question. On observe toutefois (détails ici [voir tableau 4]que le deuxième quintile voit ses revenus d'avant redistribution (15.591 euros/an) quasiment identiques au "revenu disponible" autrement dit ce qui suit l'imposition et le versement des aides (15.847 euros/an). Cela sous-entend que cette partie de la population est (sur le papier) "neutre" en termes de solidarité du système fiscal français. Il est néanmoins important de préciser que la partie inférieure du Q2 (deuxième quintile) reste bénéficiaire entre son revenu pré-distribution et son revenu disponible. A titre de comparaison, les revenus du quintile supérieur sont (toujours en 2012) de 21.474 euros avant redistribution tandis que le revenu disponible est lui de 20.145 euros.

Gilles Léopold : Les travaux que nous avons pu mener au Credoc ont démontré que les classes moyennes sont celles qui bénéficient plutôt le moins des différents dispositifs d'aides (quotient familial, allocations chômage pour ceux récemment devenus sans emplois...). Ainsi, les ménages dont le niveau de vie est compris entre 1200 et 1600 euros par mois (pour une personne) versent près de 43 % de leur revenu aux administrations publiques en fonction des différents prélèvements. On voit par ailleurs dans le même temps que les niveaux de salaires des classes moyennes les moins fortunées ont eu tendance à se rapprocher des populations précaires sans être pour autant appuyés de manière aussi importante par le système social. A terme, cet effet "dés-incitatif" peut devenir assez dangereux pour la santé de l'ensemble du marché du travail.

Les jeunes sans qualification

Vincent Touzé : On sait que le marché du travail français fonctionne de plus en plus sur une logique insider/outsider, les jeunes faisant ici partie des "outsiders" dans le sens où il n'ont aucun moyen de négociation pour entrer dans l'emploi. Les insiders sont ceux qui y sont déjà et peuvent profiter des leviers internes à l'entreprise pour exercer une pression à la hausse sur les salaires ainsi que sur la régulation, ce qui vient en amont rigidifier les embauches et accentue la marginalisation de ceux qui ne sont pas sur le marché du travail.

On observe ainsi d'importants taux de chômage chez les non-diplômés de moins de 25 ans (44% en 2012) alors qu'il est relativement faible (11%) chez les générations non-diplômées plus âgées. Même si le facteur générationnel joue avec la baisse de la valeur diplôme au fil des décennies, on voit bien qu'un important flux de nouveaux entrants du marché de l'emploi arrive alors que les vannes sont à peine ouvertes. Les jeunes sans qualification sont d'une certaine manière les premières victimes de la crise, le trop peu de création de postes et l'appréhension à l'embauche finissant logiquement par les marginaliser en masse.

Léopold Gilles : Le gouvernement Hollande s'est engagé dans d'importants efforts pour réaliser son objectif de 150 000 emplois d'avenir, chiffre qui devrait bientôt être atteint. Si l'on peut affirmer que cette expérience a la vertu d'offrir un premier contact à un jeune marginalisé du marché de l'emploi, on peut se demander si ces dispositifs leur ont été dans les faits pleinement dédiés, en particulier lorsqu'il peut-être ciblé sur des personnes titulaires d'un BAC+2.C'est souvent un effet pervers dans ce type de structures, les bénéficiaires n'étant pas toujours les plus nécessiteux. Par ailleurs, on ne sait pas aujourd'hui combien de contrats ont été rompus ni combien de jeunes ont eu concrètement accès à une formation comme c'était initialement stipulé.

Tout cela laisse l'impression d'un engagement mis trop vite en application et qui laisse aujourd'hui l'exécutif naviguer à vue. Cette désorientation se retrouve aussi sur la garantie jeune qui a été lancée dans dix territoires pilotes avant qu'aient été connus les résultats définitifs du dispositif d'évaluation du RCA (Revenu contractualisé d'Autonomie). Si l'on ignore encore le contenu de ces résultats on peut s'étonner de voir que le chantier ait été lancé si tôt. En dépit de moyens et d'engagement, on n'observe aujourd'hui que peu ou pas de résultats sur le front de la jeunesse.

Les ruraux à faible revenus éloignés des grands centres d'activités

Laurent Chalard : Le parti socialiste est aujourd’hui devenu un parti d’urbains résidents principalement dans les grandes métropoles du pays, que ce soit au niveau de ses cadres mais aussi de ses militants. Il n’y a que dans certains fiefs historiques, comme dans le Sud-Ouest, que le parti socialiste conserve un lien certain avec le monde rural. En conséquence, ses dirigeants ont du mal à appréhender les problèmes des territoires ruraux pour la simple raison qu’ils ne les connaissent pas, contrairement aux banlieues populaires qui sont incluses dans les grandes métropoles. Le discours général du parti est essentiellement destiné aux classes moyennes des grandes métropoles, qui ne sont pas forcément représentatives du reste du pays, d’autant qu’elles ont un profil spécifique : moins souvent des familles, plus diplômées, habituées au multiculturalisme, progressistes sur le plan culturel… Le parti socialiste a donc perdu au fur et à mesure du temps le contact avec la France rurale ou, pour être plus correct, la France non métropolisée, puisqu’elle est définie a contrario.

Il est donc peu surprenant que ces territoires qui comprennent une part non négligeable des perdants de la mondialisation en dehors des banlieues populaires n’aient, jusqu’ici, qu’été peu concernés par des politiques spécifiques. En outre, étant donné la situation difficile de l’Etat français, le parti socialiste a fait le choix de tout miser sur le redressement national, mettant de côté la réduction des fractures territoriales, considérant qu’il ne possède pour l’instant guère de moyens pour pouvoir mettre en place une politique efficace dans ce domaine, car cette dernière demande beaucoup d’argent. A noter cependant, un projet qui va dans le bon sens : le renforcement des bourgs-centres qui maillent l’espace rural à travers le regroupement les services publics de manière privilégiée dans ces communes. Cependant, il demeure insuffisant pour résoudre l’ensemble des problèmes, à commencer par le développement économique, et mériterait de s’appuyer sur une politique plus globale d’aménagement du territoire, qui fait grandement défaut alors que paradoxalement le "territoire" n’a jamais été autant d’actualité !

Face à l’empilement et à l’émiettement territorial de la France qui a un coût élevé et, il faut bien le reconnaître, pas toujours justifié, le nouveau Premier ministre propose logiquement de réduire le nombre de collectivités dans l’objectif de réaliser des économies. Cependant, cette réforme devra être menée de manière prudente, dans le sens que si les suppressions sont faites à la va-vite sans aucune réflexion sur la pertinence socio-économique (et aussi culturelle) des nouveaux découpages, il existe un risque pour les territoires ruraux isolés de voir disparaître les derniers services de l’Etat, et donc de s’enfoncer encore plus dans le déclin. Il ne s’agit donc pas de supprimer pour supprimer, mais de réformer la carte administrative dans l’objectif d’une équité maximum entre les territoires. Par exemple, la tentation de regrouper ensemble les territoires ruraux souffrant de problèmes identiques (pensons par exemple à l’éventuel regroupement des régions Limousin et l’Auvergne) serait une erreur magistrale. Enfin, il faut garder en tête que tout n’est pas question de taille et que des régions de taille modeste comme l’Alsace ont des performances économiques très satisfaisantes.

Les chômeurs de longue durée

Léopold Gilles : La question des chômeurs de longue-durée est une problématique récurrente du politique et les différentes méthodes essayées par le passée n'ont que pas ou peu fonctionné. A tel point que la priorité s'est recentrée sur les chômeurs qui le sont depuis moins longtemps pour éviter qu'ils ne tombent eux-même dans ce type d'impasses. On observe fréquemment que les personnes arrivées en fin de droits et qui deviennent subsidiaires du RSA ont tendance à "stagner", n'arrivant pas à trouver une solution tant sur le plan social que sur le plan de l'emploi. Les différents dispositifs qui leur sont proposés sont des solutions qui finissent par les faire tourner en rond (c'est ce que l'on appelle les parcours circulaires) en dépit des divers efforts déployés. La question est aujourd'hui de s'inquiéter des "jeunes" chômeurs qui pourraient potentiellement tomber dans cette trappe face aux impasses du marché de l'emploi, sachant qu'il sera alors autrement plus difficile de les aider à retourner sur le marché du travail.

Les intérimaires

Vincent Touzé : La baisse de l'activité dans l'emploi intérimaire (576 000 équivalents temps plein en 2011 contre une estimation de 480 000 pour 2013) peut permettre d'interroger car sa reprise est souvent interprétée comme un signe de relance économique sachant que les entreprises ont pour habitude de créer par précaution un poste intérimaire avant de créer un poste fixe. Dans le cadre actuel, l'interprétation logique serait plutôt celle d'une continuation de la destruction de l'emploi dans les entreprises puisque les intérimaires sont généralement souvent les premiers partis en période difficile.


Léopold Gilles : Etant les plus "flexibles" dans le droit du travail, les employés intérimaires ont été parmi les premiers a subir les conséquences de la crise économique, ce qui en vient a interpeller le politique sur la question de l'accompagnement (ou du non-accompagnement) du travail précaire dans le contexte économique actuel. Le travail à temps partiel sur les emplois sous-qualifiés se bute ainsi aux logiques du RSA activité qui est aujourd'hui seulement touché par un tiers des personnes qui y ont droit, ces dernières ayant peur de l'aspect stigmatisant qu'il peut avoir. Cela illustre une incompréhension, assez globale du reste, des réalités du travail précaire sous toutes ses formes, ce dernier étant souvent considéré comme une mauvaise passe dont il faudrait s'échapper.

Les seniors

Léopold Gilles : S'ils ont représenté une part importante des engagements de François Hollande, on constate que la principale réalisation en la matière est représentée par les contrats de génération qui ont pour l'instant bien du mal à démarrer. Cela s'explique notamment par une contradiction avec la logique européenne qui parie plutôt sur le "vieillissement actif" en souhaitant prolonger les seniors dans l'emploi, cette tendance étant par ailleurs observe dans les faits. Le fameux chantier de la dépendance, démarrée sous le quinquennat précédent et dont un projet de loi avait été annoncé sous la nouvelle présidence, semble rester aussi lettre morte, en dépit de toutes les projections démographiques qui nous prédisent un "papy-boom" sur les prochaines décennies. En plus des personnes qui seront entièrement dépendantes se rajouteront celles (semi ou pré-dépendantes) qui auront toujours besoin d'une relative assistance à domicile afin d'économiser le coût, plus important d'une maison de soins. En l'absence de financements de ces prises en charge, tout, ou presque, repose aujourd'hui sur la famille, les proches... qui ne sont aujourd'hui pas reconnues, que ce soit sur le plan juridique ou financier et tant au niveau des entreprises qu'au niveau de l'Etat.

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