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Paris est une des capitales mondiales du droit : pourquoi les tourbillons politico-judiciaires actuels pourraient affaiblir la France
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Les avocats se rebiffent

L'éventualité d'une perquisition policière au Conseil de l'Ordre a motivé les avocats parisiens à préparer une "opération écureuil" afin de dénoncer des pratiques qui semblent venues d'un autre âge. Une réalité qui risque de faire encore les beaux jours du "french-bashing".

Dominique Inchauspé

Dominique Inchauspé

Dominique Inchauspé pratique le droit pénal à Paris depuis 1983. Il intervient aussi fréquemment à l'étranger. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la justice pénale française et anglo-saxonne, comme 'L'erreur judiciaire' (PUF, 2010) et 'L'innocence judiciaire' (PUF, 2012) et enseigne à l'université. Il écrit aussi des fictions. La dernière a pour titre : Un homme dans l'Empire  (L'âge d'homme, 2013). 

 

 

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Atlantico : Me Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de Paris, a fait part de ses inquiétudes quant à une éventuelle perquisition du Conseil de l'Ordre par les magistrats enquêtant actuellement sur l'ancien Président de la République. Un tel climat, s'ajoutant aux affaires déjà en cours, ne risque-t-il pas d'abîmer l'image de Paris auprès des grands cabinets internationaux ?

Dominique Inchauspé :Non, je ne crois pas. Il me semble que tout le monde est persuadé –moi en tout cas- qu’il s’agit d’une sorte de farce judiciaire qui rappelle plus le théâtre de boulevard que le retour du fascisme.

Ainsi, à l’issue d’une perquisition de plusieurs heures chez mon confrère, laquelle suit 6 mois d’écoutes téléphoniques, on ne trouve aucune preuve d’un trafic d’influence contre un ancien Président de la République, un haut magistrat de la Cour de cassation et une figure du barreau de Paris puisqu’aucun n’est mis en examen par les juges de l’enquête. Tout de même, étant donné la gravité des accusations et la qualité (sociale) des personnes mises en cause, on s’attendait à plus croustillant.

Or, voilà que sur cette "base factuelle" dérisoire, les juges de l’enquête continueraient en soupçonnant la Bâtonnière de l’Ordre des avocats de Paris (vous m’excuserez du peu) d’avoir elle-même commis une autre infraction : en substance, avoir communiqué à l’avocat de l’ancien Chef de l’Etat l’information selon laquelle cet avocat aurait été sur écoutes. Peut-être pour lui permettre de dissimuler les preuves qui n’ont pas été trouvées ? Tel quel, on dirait du Sacha Guitry ou du Maurice Chevalier ou les deux ensemble.

Mais comme le parquet financier a aussi annoncé que le téléphone de l’avocat n’avait pas été placé sur écoutes, seulement celui de M. Sarkozy (et son avocat écouté "par ricochet"), on doit en déduire que la Bâtonnière n’aurait pas été informée de "l’écoute Herzog" puisque c’est le cas seulement quand le téléphone d’un avocat est placé sous surveillance judiciaire mais de "l’écoute Sarkozy" (qui serait inscrit à l’Ordre des Avocats de Paris)…  Maintenant, c’est plutôt Marcel Aymé avec sa pièce "La tête des autres", une satire du parquet dans une affaire de peine de mort.

On apprend enfin du même parquet financier que, lorsque les enquêteurs ont compris que des conversations entre un avocat et son client étaient écoutées, ils ont suspendu la retranscription voire l’écoute elle-même. Pourtant, on a perquisitionné ledit avocat. Ici, je suis un peu court sur les références culturelles.

Donc, je n’entends pas dire que les cabinets internationaux s’effraieraient. L’associée de l’un d’entre eux m’a dit cet après-midi : "On ne parle que de ça dans les couloirs mais après les heures de travail…"

Quelle est par ailleurs la perception de la magistrature française en comparaison de celle qui exerce dans d'autres pays ? Sa capacité d'ingérence est-elle particulièrement réputée ?

C’est difficile à apprécier car, par exemple, les juges italiens ont mené une opération "mano pulite" de très grande ampleur dans les années 1990 et eux s’attaquaient à des infractions sérieuses de corruption généralisée sur toute la Péninsule dont celles commises par la Mafia. Ils ont d’ailleurs payé un prix élevé puisque plusieurs magistrats ont été assassinés. En Espagne, il faut songer aux juges anti-ETA guerroyant contre un mouvement qui a tué plus de 800 personnes depuis 45 ans et maintenant qui luttent contre la corruption politique. Je ne crois donc pas les juges français plus capables d’ingérence que leurs collègues étrangers.

Cela dit, ils ont été compétents : en France, les années 1990 et le début des années 2000  ont aussi été marquées par une opération "mains propres" à la française initiée par le juge Thierry Jean-Pierre et l’inspecteur Antoine Gaudino et dont la première victime fut le Parti Socialiste. On a oublié qu’à l’occasion d’une perquisition par le juge Jean-Pierre au siège d’une officine proche du parti à la rose et son fournisseur de fonds illicites, le vice-ministre de la Justice de l’époque, un confrère, avait parlé de "cambriolage judiciaire".

Des cas similaires ont-ils existé par le passé ? Quels en sont les enseignements ?

Non, pas à ma connaissance. C’est plutôt le phénomène inverse : on assiste depuis une quinzaine d’années à une invasion "d’enseignes anglo-saxonnes", d’ailleurs créées majoritairement par des avocats français. Ce qui provoque une désertion, c’est l’excès de règlementation et d’impôts et surtout cette atmosphère malsaine de pessimisme national qui, selon les médias, provoquerait la fuite des jeunes diplômés vers l’étranger.

Faut-il aller jusqu’à repenser le droit français pour éviter ce type de problématiques à l'avenir ? Quelles pistes sembleraient les plus porteuses ?

Non, à nouveau, je ne crois pas. L’excès de droit est ressenti de manière comparable dans bien des pays européens même si je crois que le droit français trop méticuleux. La vérité est ailleurs : pour moi, c’est dans le manque de bon sens comme le montre l’affaire dont nous parlons. Le mal va être difficilement curable car ledit bon sens n’est pas le point fort de l’époque.

Pourquoi Paris est-elle une capitale du droit ?

C'est d'abord en matière d'arbitrage international sur les contentieux commerciaux qu'on peut parler de 'Paris capitale du droit' car la place de Paris a toujours été en pointe dans ce domaine, depuis des lois de 1981 jusqu'au récent décret de février 2011.

Et puis, il y a Paris capitale du droit romano-germanique et surtout romain : la France reste le pays de la codification du droit par Napoléon qui fut, d'ailleurs, la reprise synthétique des textes de l'Ancien Régime ; lesquels étaient remarquablement brillants tant par leurs concepts et que par leur rédaction.

Il y a, peut-être, une autre idée à l'origine de la constatation précédente : une exception culturelle française véritable semble être justement la capacité à fabriquer du droit ; c'est-à-dire un corpus de textes précis et cohérents alors que les droits de l'étranger paraissent souvent plus lâches.

Quand on se promène rue Soufflot, on est frappé par le nombre de librairies et d'éditeurs juridiques. Quand vous allez chercher des livres de droit à Londres, vous ne trouvez qu'une poignée de librairies 'dédiées'.

Quelle en est la perception des anglo-saxons en matière de business notamment ?

En matière de business pur, la presse fait état de manière fréquente de la défiance des investisseurs surtout anglo-saxons. Néanmoins, les mêmes saluent la qualité des infrastructures et l'excellente formation des Français. En même temps, vis-à-vis de Paris capitale du droit, j'ai le sentiment que les anglo-saxons, même businessmen, balancent entre une admiration pour les monuments intellectuels que sont nos codes et nos traditions et un vague malaise sur leur utilité pratique. On ne mesure pas, sans avoir voyagé, à quel point la France reste pour l'étranger le pays de la culture et de l'esprit.

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