Le procès de la pollution française : comment 50 ans d'insouciance et de choix calamiteux nous ont conduits là<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le Nord-Est de la France et une partie de la région Centre sont touchés par un pic de pollution aux particules.
Le Nord-Est de la France et une partie de la région Centre sont touchés par un pic de pollution aux particules.
©Reuters

De l'air !

Même si la pollution atmosphérique a connu son apogée au début du XXème siècle, le pic de pollution dont la France est victime actuellement est alarmant. A tel point qu'une mesure de circulation alternée a été déclenchée à Paris et dans les départements de la petite couronne. La faute à des "solutions" de facilité trop longtemps pratiquées.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

Voir la bio »

Atlantico : Depuis plusieurs jours, le Nord-Est de la France et une partie de la région Centre sont touchés par un pic de pollution aux particules. Le niveau d'alerte (la plus élevée des mises en garde) a été déclenché en région parisienne, selon les relevés effectués par Airparif, et la circulation alternée est entrée en vigueur ce lundi. Comment une telle situation est-elle encore possible en France en 2014 ?

Stephan Silvestre : Cette situation est provoquée avant tout par des circonstances climatiques : à chaque fois que les pressions restent très hautes pendant plusieurs jours sans aucun vent, les polluants présents dans l’air stagnent et s’accumulent. Si on considère la teneur annuelle moyenne en différents polluants, la tendance est à la baisse depuis plusieurs décennies, sous l’effet conjugué de la baisse de l’activité industrielle en zone urbaine et d’une règlementation toujours plus contraignante en Europe. Toutefois, si la qualité de l’air est de plus en plus satisfaisante en moyenne, il reste que les périodes de pics de pollution posent des problèmes sanitaires, en particulier des affections respiratoires chez les personnes sensibles.

Quelle est la chronologie des erreurs passées qui nous ont conduits à cette pollution atmosphérique ?

Rappelons tout d’abord qu’il y a eu des évolutions positives sur ce plan depuis le début du XXe siècle. À cette époque, les grandes villes regorgeaient de sites industriels qui recouraient massivement au charbon et au fioul. Ces industries ont continûment quitté les centre-villes pour partir en périphérie, en zone urbaine, voire à l’étranger. Celles qui sont restées n’ont pu le faire qu’en respectant des normes de pollution très strictes, ou en ne conservant que les secteurs les moins polluants de leur activité (R&D, logistique, services). Dans le même temps, l’utilisation du charbon et du fioul pour le chauffage domestique a fortement décliné, pour laisser la place à l’électricité et au gaz. Enfin, l’automobile a aussi fait des progrès avec des moteurs moins gourmands, de l’essence sans plomb et peu soufrée et enfin les filtres à particules sur les moteurs diésel. Cependant, la principale orientation qui a été néfaste a été le choix de la diésélisation du parc automobile français dans les années 1980. À ce moment, il s’agissait de donner un avantage compétitif aux constructeurs français qui se spécialisaient dans les petits moteurs diesel. De plus, l’essence contenait alors du plomb et sa réputation était médiocre.

Quelle responsabilité la politique qui a consisté à favoriser le diesel porte-t-elle dans la situation actuelle ?

La forte diésélisation du parc français a conduit à une augmentation de la teneur en particules fines dans l’air. Ces particules fines ont des effets sur les voies respiratoires et la fréquence de ces pathologies est en hausse constante, en particulier lors des pics de pollution. La généralisation, puis l’obligation, des filtres à particules sur les véhicules légers a permis de limiter les émissions de particules jusqu’à 10 microns (PM10). Mais ce sont les particules plus fines (PM2,5) qui posent le plus de problèmes : elles pénètrent plus profondément dans les poumons peuvent provoquer des cancers. Elles ont été reconnues cancérigènes par l’OMS. De plus les flottes de véhicules lourds ne sont pas équipées de filtres.

Le problème n'a-t-il jamais été pris au sérieux ? Avec la gratuité temporaire des transports et les discussions autour de la circulation alternée, peut-on parler d'une prise de conscience politique ?

La prise de conscience n’est pas récente. Il y a eu plusieurs tentatives pour faire marche arrière, comme les limitations de vitesse, la vignette verte et la circulation alternée, mais elles se sont toutes heurtées aux sempiternels lobbies de la route, utilisateurs comme constructeurs. On observera que cette bienveillance des pouvoirs publics vis-à-vis du constructeur PSA ne l’aura pas empêché de se retrouver au bord du gouffre… La gratuité des transports collectifs ne constitue pas une solution : le trafic automobile ne diminuera pas significativement. Les mesures de limitation de la vitesse sur les grands axes n’ont jamais permis de mettre en évidence de baisse de la pollution. Seul le retour du vent est efficace.

Comment expliquer qu'on ne soit jamais revenu sur les arguments économiques, attrayants à l'époque pour la croissance, mais clairement sources de pollution aujourd'hui ?  Le pourrait-on ? Pourquoi la France ne s'inspire-t-elle pas de ses voisins, comme Tokyo ou Londres par exemple ?

La circulation alternée fonctionne pour limiter le trafic, comme cela a été montré à Londres ou Pékin. L’interdiction totale des véhicules diésel, comme à Tokyo est aussi très efficace. Malheureusement, les pouvoirs publics français semblent toujours paralysés face aux lobbies de la route. La seule solution réelle sera le changement de motorisation des véhicules, grâce aux moteurs hybrides, tout électriques, puis à piles à hydrogène. Mais il faudra attendre encore trois ou quatre décennies. D’ici là, il faudra se contenter de mesures temporaires.

Les problèmes environnementaux liés à la pollution s'étendent-ils au-delà de la pollution atmosphérique ? A quelle échelle ? Comment y remédier ?

Bien entendu, il existe de nombreux sujets de préoccupation comme la qualité des eaux de ruissellement, les rejets agricoles dans les sols ou encore la diminution des surfaces sauvages. Certaines questions sont traitées au niveau de l’Union européenne, qui est assez efficace en la matière. D’autres problèmes se situent au niveau planétaire. Or, tant que la population mondiale continuera de croître et de se développer – ce qui est souhaitable -, les problèmes s’amplifieront. Mais il y a deux espoirs : la population mondiale va cesser de croître au cours de la seconde moitié du XXIe siècle et les progrès technologiques, notamment en termes de génie génétique pour l’agriculture ou de moteurs à hydrogène. Grâce à ces progrès, l’emprise de l’homme sur les espaces naturels devrait commencer à régresser à la fin du XXIe siècle. Patience !

Propos recueillis par Marianne Murat

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !