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L'efficacité des antibiotiques serait en baisse.
L'efficacité des antibiotiques serait en baisse.
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Trois gélules, s'il vous plait !

La surconsommation d'antibiotiques dans des situations où ils ne sont pas nécessaires atténue fortement leur efficacité, face à des bactéries toujours plus résistantes.

Didier Tandé

Didier Tandé

Didier Tandé est praticien hospitalier au CHU de Brest. Docteur en pharmacie, il est spécialisé dans les questions d'antibiotiques.

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Atlantico : De plus en plus d'études (voir ici) soulignent l'efficacité en baisse des antibiotiques. Est-ce vrai ? Quels sont les antibiotiques les plus touchés ? Pourquoi ?

Didier Tandé : C'est malheureusement vrai.  De plus en plus d'antibiotiques deviennent moins actifs, et donc moins efficaces. Globalement, cette perte d'activité touche des classes d'antibiotiques très variées et très différentes, mais on peut néanmoins faire état d'une famille particulièrement touchée : les bêta-lactamines, qui regroupe notamment l'amoxicilline, les céphalosporines de 3ème génération et les carbapénèmes. C'est d'autant plus inquiétant que ce sont parmi les antibiotiques les plus prescrits, tant en ville qu'à l'hôpital.

A quoi imputer cette baisse d'efficacité ? De toute évidence et très clairement au mésusage des antibiotiques. Quantitativement comme qualitativement, nous utilisons mal les antibiotiques : on en consomme beaucoup trop, et dans des situations qui ne sont pas adaptées. Les bactéries sont des organismes intelligents et résistants, qui savent s'adapter et développer des mécanismes de défense face aux antibiotiques. Ainsi, certaines sont déjà résistantes à tous nos antibiotiques. On les appelle bactéries "toto-résistantes".

A mentionner également, l'usage vétérinaire des antibiotiques. C'est quelque chose qu'il faut surveiller, notamment parce que les quantités d'antibiotiques consommées par les animaux dépassent de loin celles consommées par et pour l'Homme. Les bactéries ne connaissant pas de barrières, elles s'adaptent aussi bien aux antibiotiques via l'animal que via l'Homme. De nombreux cas d'épidémies comme les cas salmonelle, e-colli ou campylobacter étaient originellement des infections animales.

La vente libre des antibiotiques en ville est catastrophique et c'est pourtant le cas dans de nombreux pays, notamment dans les pays en voie de développement.

Aujourd'hui, imaginer un monde sans antibiotiques paraît aussi fou que de marcher sur la tête. Mais dans les faits, est-ce que c'est possible, ou imaginable ? Quelles seraient les conséquences d'une telle disparition ?

Il faut envisager un monde dans lequel les antibiotiques ne seraient plus d'aucun secours. Ils existeraient encore, bien sûr, mais seraient devenus pratiquement inefficaces, ce qui reviendrait finalement à une situation semblable. On parle d'ère pré-antibiotique pour parler de l'époque qui précède la découverte des molécules qui les composent. Et on n'ose pas imaginer un retour à ce passé !

Et pour cause. Les conséquences seraient tout simplement désastreuses. Une inefficacité quasi-totale des antibiotiques existants signifierait la mort de  nombreux patients. Aujourd'hui, on parvient à soigner énormément de pathologies, et les plus bénignes ne représentent plus de vrais risques. Sans antibiotiques, on revient à des temps ou infection est synonyme de mort et où plaie veut souvent (et souvent dans le meilleur des cas) dire amputation.

Sommes-nous préparés ? Ou en préparation ? Comment faire face ? Quelles sont les pistes de développement ?

Les progrès en biologie moléculaire permettent de mieux comprendre le fonctionnement des bactéries et leurs modes de résistances et cela peut conduire à mettre au point de nouvelles molécules actives sur des bactéries devenues toto-résistantes.

Il existe aussi plusieurs voies de recherche. L'utilisation de phages, par exemple, pourrait être une alternative intéressante: ce sont des virus qui tuent les bactéries. Le principe est connu depuis des décennies, néanmoins nous ne l'avons encore jamais employé à grande échelle.

Evidemment, il existe également les vaccins. Une autre solution pour se prémunir contre les maladies d'origine infectieuse. Aujourd'hui, de plus en plus de vaccins sont à l'étude afin de pouvoir, à l'avenir, lutter contre un bon nombre d'agents infectieux et pathogènes comme les méningocoques, les Pseudomonas ou les staphylocoques. La vaccination contre le pneumocoque, associée à une baisse de la consommation des antibiotiques, a résulté sur une diminution des maladies graves usuellement provoquées par cette bactérie. Le tout, en garantissant l'efficacité des antibiotiques face à cet agent. Mieux encore : en faisant reculer la résistance de ce dernier aux antibiotiques.

Quel est le rôle des laboratoires, dans cette situation ? Consacrent-ils autant de temps et d'efforts pour la recherche et le développement d'antibiotiques ?

La recherche de nouvelles molécules est évidemment la solution pour éviter ce cauchemar. Il faut néanmoins prendre en compte que c'est quelque chose qui coûte extrêmement cher. Développer de nouvelles molécules, en plus de prendre du temps est quelque chose de particulièrement coûteux, qui dès lors n'est plus une industrie rentable. Entre  la découverte de la molécule, sa conception, les essais sur animaux puis en clinique, et enfin la mise en vente sur le marché… C'est finalement un risque d'avantage qu'une rentrée d'argent pour les laboratoires. Développer de nouveaux antibiotiques n'est pas suffisamment rentable, aussi les ces laboratoires préfèrent bien souvent se pencher sur des molécules antivirales ou antifungiques. Parfois dans le domaine de l'infectieux, parfois dans des domaines n'ayant rien à voir. Entre un traitement prescrit temporairement, ou un traitement qui l'est pour la vie, comme les antihypertenseurs, ou les médicaments prescrits dans le cadre du diabète…

Parfois, dans certaines publications, on peut même lire des scientifiques inquiets qui demandent des gouvernements qu'ils s'engagent auprès des laboratoires pharmaceutiques, afin de booster la recherche en faveur de nouveaux produits antibactériens.

Ne risque-t-on pas d'assister à une hausse des tarifs qui ferait des soins l'apanage des riches ?

Dans un scénario de science-fiction, c'est sans doute imaginable. Certains pays pratiquent d'ailleurs ce genre de pratique, bien que l'idée ne soit pas de faire des soins "l'apanage des riches". Au contraire… Si les autorités se décident à augmenter le prix de certains antibiotiques, c'est souvent pour lutter contre la consommation excessive, première responsable de leur perte d'efficacité ! Si les prix augmentent, on dissuade les gens d'en acheter quand ça n'est pas véritablement nécessaire. Si on peut acheter des antibiotiques pour traiter n'importe quel petit bobo, on participe à leur perte d'efficacité. Des prix défiants toute concurrence entraîne une surconsommation dangereuse.

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