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Sainte Britney, Saint Johnny, 
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Johnny Hallyday et Britney Spears sortent chacun un nouvel album. Icône française d'un côté avec Jamais seul, obsession paparazesque américaine de l'autre avec Femme Fatale. Analyse sur l'utilité sociale de ces Saints médiatiques.

Etienne  Augé

Etienne Augé

Étienne Augé est spécialisé en propagande et diplomatie publique. Il a enseigné la communication et le cinéma de masse pendant dix ans au Liban et en Europe centrale. Il est aujourd'hui "Senior lecturer" en communication internationale à l'Université Erasmus de Rotterdam, et vient de publier son premier roman, Loubnan.

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Cette semaine Johnny Hallyday, vedette francophone que l’on ne présente plus, sort un nouvel album. Dans le même temps, le dernier opus de Britney Spears, star américaine sur le retour et en devenir, sera également disponible dans les bacs. Ces deux événements n’intéressent pas que les amateurs de variété, et les médias les traitent en conséquence. Johnny et Britney sont surtout aux yeux de leur public des saints laïcs, et sont adorés par des millions de fans idolâtres. La sortie simultanée de leurs deux albums permet toutefois de comprendre ce que les deux sociétés, française et américaine, possèdent de différent dans leur besoin d’icônes médiatiques.

La vie rêvée des stars

Johnny comme Britney possèdent un rôle essentiel dans nos sociétés du spectacle. Le prétendre peut apparaître comme une provocation mais une vedette ou une superstar internationale, pour vaine que soit son existence, permet un processus de socialisation. Lorsque deux personnes entament un dialogue, elles l’initient par ce que l’on nomme une conversation phatique, servant donc à les mettre en phase. Sont exclus de ce processus tout ce qui peut pousser à une discussion conflictuelle, comme la religion ou la politique. Il est donc nécessaire de trouver des terrains communs et neutres, après que l’on ait évoqué le temps qu’il fait.

La vie des stars peut alors servir de sujet de conversation utile, qui permettra d’entamer un dialogue léger et socialisant. La vie d’une star se doit toutefois d’être faite de hauts et de bas, de rebondissements et de « cliffhangers » afin de servir de communication phatique. Rien de plus ennuyeux qu’une vie normale, comme celle d’une non-star. Johnny Hallyday et Britney Spears sont des sujets idéaux tant leur vie est marquée par les coups du destin.

L'idole des jeunes...et des moins jeunes

Johnny Hallyday est une idole, autrefois des jeunes, maintenant pour toutes ces générations qui se reconnaissent dans un chanteur exceptionnellement endurant, fasciné et façonné par les Etats-Unis et qui livre sans pudeur ses tranches de vie au public. Le chanteur-comédien représente comme aucune autre vedette un concept très français de héros. La France ne possède pas de super héros comme aux Etats-Unis, car elle n’entretient pas le fantasme d’un protecteur surnaturel.

En revanche, elle aime ces héros au destin tragique mais qui restent solides, se battent contre l’adversité et à qui on pardonne, en conséquence, bien des écarts que l’on trouverait intolérables chez les hommes politiques. Malgré son addiction à la drogue, ses maladroites tentatives de se défiscaliser dans un pays voisin, ses nombreux divorces pour se remarier avec de très jeunes filles, Johnny Hallyday possède une image positive pour 60% des Français selon un récent sondage. Curieusement, les sommes colossales qu’il gagne, le plaçant devant la plupart des patrons du CAC 40, ne font pas frémir d’indignation ceux qui considèrent que les riches doivent être punis.

Johnny, c’est cinquante ans de carrière en tant qu’auteur-compositeur-interprète, et autant d’années ou presque passées dans l’œil de l’opinion publique qui a partagé ses joies et ses peines. Qu’importe que le critique du Monde trouve son dernier album « inégal », les fans recevront leur ration de Johnny avec ferveur, parce qu’au-delà des chansons, c’est un message qu’il envoie, sur l’air de « Je suis toujours debout ». Johnny Hallyday, c’est aussi une certaine version de l’Amérique, où les Français ne gardent que ce qu’ils aiment entre la Harley Davidson et les grands espaces, un peu comme les Américains ne garderaient que la Tour Eiffel et la baguette dans leur France à eux.

Le show "Britney"

Le phénomène Britney s’apparente à celui de Johnny, mais témoigne des différences culturelles entre les mythes américains et ceux du vieux monde. Britney représente la possible rédemption qu’affectionne une nation très influencée par la morale des WASP. Britney Spears grandit dans le monde de Walt Disney, un univers enfantin où bien et mal sont clairement identifiés, et tout est possible à condition de respecter les règles. Quand on les enfreint, on est chassés du paradis des enfants et on entre dans le monde des adultes. 

Britney a payé cher son passage à l’âge adulte, d’abord en avouant qu’elle n’était plus vierge, puis en ayant deux enfants avant de se raser le crâne dans un geste désespéré puis de voir sa carrière s’écrouler notamment lors d’une prestation aux MTV awards calamiteuse. La chute de Britney a donné lieu à une des vidéos les plus célèbres du web, où un adolescent perturbé demande qu’on la laisse tranquille. Aujourd’hui Britney Spears revient, et le thème de l’enfance ou les références adolescentes sont clairement dépassées, puisque son dernier single s’appelle « Femme fatale ». Britney assume la fin de l’innocence, et se rédime pour la plus grande joie des médias américains.

Un blog affilié au New York Times note ainsi que Britney Spears fait partie des personnes les plus influentes sur Twitter. On se doute que ses suiveurs n’attendent pas d’elle un commentaire pertinent sur la situation au Moyen-Orient, mais bien de savoir comment leur idole poursuit son parcours de star, elle qui est partie de rien. Ses millions de fans peuvent ainsi vivre sa vie par procuration, et la sortie de son dernier album apparaît plus comme un nouvel épisode d’une série qui durerait toute une vie que comme une actualité musicale.

Stars qui souffrent mais qui durent

Britney n’est plus la fiancée idéale de l’Amérique, mais elle n’est plus non plus la Scandaleuse. Elle peut maintenant entrer sereinement dans la galaxie des stars qui ont souffert mais duré, comme Madonna avant elle. On peut raconter la vie de Britney comme on le ferait d’une sainte, en expliquant que tout son parcours semé d’embûches l’a menée à choisir le bien. A la différence de Johnny, elle a expié ses fautes : on pardonne tout en Amérique, à condition que le plan médiatique ait apparence de sincérité.

En France, on préfère les histoires de vie plus complexes et sans eau de rose. C’est peut-être pour ces différences culturelles que les films hollywoodiens ont des happy endings, quand les films français offrent des fins tragiques. Amérique protestance, France catholique.

Cette semaine, on pouvait également noter la sortie du dernier album de Radiohead, mais même si le groupe reste une référence pour les adolescents torturés et les hipsters, la vie du leader Thom Yorke ne suscite pas le même intérêt des médias que pour Britney et Johnny. Avec un prénom comme Thom, il aurait pourtant eu un espoir de devenir un saint du show business. Lui manque peut-être un côté exhibitionniste, ou alors un bon publiciste qui saurait émouvoir les foules en narrant son destin pour en faire une épopée. Thom Yorke devra se contenter d’être un grand musicien, à défaut de passionner les foules dévotes.

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