USA : "Mon job est de regarder les rêves mourir"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
"La saisie du rêve américain", photo Kevin Dooley.
"La saisie du rêve américain", photo Kevin Dooley.
©DR

Revue de blogs

Un post a fait le tour de la blogosphère américaine en une journée. Il répond à la question : "Quelle est la pire chose que vous avez du faire au boulot ?" L'auteur raconte comment, chaque jour, il doit expulser les Américains de leur maison achetée à crédit. En quelques heures, le post a généré plus de 2000 commentaires et ce n'est pas fini.

Sur le site américain de recommandations Reddit, un post tout simple, un long témoignage, écrit par Jobthreadthrowaway' a été propulsé en tête des posts les plus lus en quelques heures. Il raconteson quotidien : saisir des maisons, expulser les occupants, assister à l'ultime phase des emprunts "toxiques". Voici la traduction intégrale de ce témoignage qui a déjà généré plus de deux mille commentaires.

"Je travaille dans une agence immobilière. Nous vendons surtout des maisons qui ont été saisies par les créanciers. On n'est pas impliqués dans la saisie elle même ou les expulsions - des avocats anonymes, quelque part dans le néant, se chargent de la paperasse -, nous sommes les chaussures sur le terrain qui interagissent avec les vrais murs, les toits, et de temps en temps, une menace de tout faire sauter".

"Quand le créancier saisit une maison - ou pense à la saisir - sur une propriété, la première chose qu'il fait est d'envoyer quelqu'un vérifier s'il y a vraiment une maison à cet endroit et si quelqu'un vit là, qui doit être expulsé. Les avocats sont chers, donc, ils envoient un agent immobilier ou des agents spécialisés pour vérifier. On tombe parfois sur une fraude, la maison n'a jamais existé sur la parcelle, mais ça arrive rarement. Parfois, cette première visite sert à découvrir que la maison a brulé, est démolie, est abandonnée, ou occupée par quelqu'un qui n'a absolument aucun lien avec le propriétaire. Parfois, on découvre que les maisons sont des nids à crack ou des laboratoires de fabrication de méthadone, parfois, on y organise des combats de coqs ou de chiens, et vous pouvez même trouver des jardins, sur l'arrière, occupés par une plantation de cannabis, qu'on ne peut imputer à personne parce qu'il a été planté dans une énième maison vide, dans un quartier sinistré".

"La maison peut valoir moins que rien, sinistrée à un point tel que vous ne pouvez même pas la donner (littéralement, car j'ai essayé de donner beaucoup de maisons, ou même des parcelles vacantes dont personnes n'avait voulu pendant des années). Ou alors, il peut s'agir d'un manoir en front de mer dans un lotissement grillagé avec un golf, qui vaut une somme à sept chiffres où ne figure pas le chiffre 1. Parfois, elles ont été saisies par le fisc, les impôts locaux, la Drug Enforcement Agency, ou la police fédérale. La diversité est la règle. Le résultat final est l'affaire de la loi. "

Les gens comme moi sont chargés de prendre contact

"Si la maison est occupée, mon boulot est de prendre contact avec les occupants et de déterminer qui ils sont : il y a des lois qui régissent ce qui arrive à un débiteur, d'autres à un locataire. [...] Certaines personnes comprennent pourquoi je suis là. Certaines prétendent ne jamais avoir été averties de la saisie, ou alors elles me disent qu'elles sont arrivés à un arrangement avec leur créanciers, certains ne me disent pas un mot, et certains me menacent d'appeler la police si je reviens, ou j'ai aussi droit à l'occasionnel "Si j'étais vous...".

"Durant une de ces premières visites, la vue de 50-60 motos garées sur la pelouse nous a fait penser qu'il valait mieux repasser le lendemain. Dans quelques maisons, la police avait tendu un cordon tout autour, et pour l'une d'entre elles, ils étaient en train de draguer un lac, à la recherche du corps de l'ex-propriétaire déprimé".

"S'il n'y a personne dans la maison, je dois déterminer s'ils sont au boulot, en vacances, à l'armée, dans une autre maison, en prison, en maison de retraite, mort, ou s'ils ont déménagé. Ce n'est pas simple. Le gaz et l'électricité peuvent rester branchés pendant des mois. Les voisins peuvent être complices et s'occuper de la maison et de la pelouse pour qu'elle apparaisse occupée et pour que leur quartier n'ait pas l'air trop dégradé. Dans la même veine, des gens arrêteront de tondre la pelouse et laisseront les ordures et les vieux annuaires s'entasser sur le porche, ils laisseront couper l'eau et l'électricité mais continueront à vivre dans des maisons qui sont non seulement dangereuses, mais si dégoutantes que quand arrive le moment de les vider, les nettoyeurs doivent porter des combinaisons. Une maison avait un bocal de 5 litres rempli de cafards morts sur le porche. Quelqu'un vivait dans cette maison et pensait que c'était tout à fait normal. Les gens comme moi sont chargés de prendre contact".

Vous n'avez pas payé vos traites, vos créanciers récupèrent la maison

"Les expulsions coutent cher et sont chronophages. A la fin, la procédure en arrive au point où il n'y a pas grand chose à faire pour l'arrêter. Vous n'avez pas payé vos traites, vos créanciers récupèrent la maison. Il y a une infinité de raisons qui expliquent pourquoi les traites n'ont pas pu être payées, certaines inspirent plus de compassion que d'autres, mais à la fin, vous serez obligé de quitter la maison, que vous le vouliez ou non. Les avocats gèrent l'expulsion - ils farfouillent dans les paperasses à l'arrière-plan, pour des dizaines de milliers de propriétés en même temps. Ils ont mâché le processus en étapes, en modèles à suivre, en expérience personnelle avec différents juges, et ont une connaissance intime des lois fédérales et municipales, de comment gérer le shérif qui refuse de temps à autres d'expulser quelqu'un, des politiques tacites établies par les juges locaux et d'une myriade d'autres problèmes qui peuvent surgir."

"Du point de vue business, beaucoup de créditeurs trouvent qu'il est plus avantageux de s'arranger avec les occupants au lieu de suivre toute la procédure et ils offrent du cash. En échange d'une maison relativement propre, avec une chaudière toujours branchée,'une cuisine pas dépouillée de tout et une cave pas intentionnellement inondée, le créditeur signera un chèque pour les occupants. Ça coute beaucoup moins qu'une expulsion, on peut espérer que la plomberie ne gèlera pas et on récupère la maison en une fraction du temps d'habitude nécessaire. C'est là que le facteur personnel entre en ligne de compte".

"Certaines personnes sautent sur l'occasion. Ils ne veulent plus vivre là. Ils vont peut-être se marier et déménager mais ils ne pouvaient pas vendre la maison dont ils n'avaient pas besoin. Ils ont trouvé un nouveau job à l'autre bout du pays. Il étaient locataires et ont trouvé un meilleur endroit dans le quartier, où les voleurs ne leur sourient pas à travers les fentes de la fenêtre de la cuisine quand ils coupent l'air conditionné, sachant que le temps de réaction de la police se mesure en semaines pour un appel de ce genre. Le cash sera un dépôt de garantie, une caution (puisque leurs propriétaires ne la leur rendent jamais) ou peut être de quoi acheter un camping-car. Ce sont les meilleurs cas. Parfois, ils sont heureux de m'accueillir. D'autre fois, beaucoup moins"

Ils peuvent se mettre en colère et être sur la défensive

"Quand je prends contact et que j'explique que le créancier leur offre de l'argent pour partir, parfois, ils me disent qu'ils ne dorment plus depuis des mois, sachant que quelque chose allait arriver, mais ne sachant jamais si demain allait être le jour où quelqu'un va frapper à la porte et jeter leurs enfants dehors sur la pelouse. Leurs créanciers ne leur disent rien, ils ne peuvent se baser sur rien de concret, seulement sur les histoires d'horreur d'autres gens qu'ils n'ont jamais rencontrés. Il ne leur vient jamais à l'esprit qu'ils pourraient appeler un avocat et demander ce qui se passe. Je peux être la première personne avec qui ils parlent de la situation et qui ne soit pas un huissier. Vous pouvez entendre la libération d'une énorme tension dans leur voix. Ce n'est pas grand chose, mais c'est déjà quelque chose". 

"Ou alors, ils peuvent se mettre en colère et être sur la défensive, me dire qu'ils n'ont jamais été saisis, que je suis sur une propriété privée et que je leur dois 5 000 dollars en "droit de passage sur la propriété" pour avoir "utilisé" leur propriété en marchant jusqu'à la porte d'entrée. Ils menacent de procès, ils menacent d'appeler les flics, ils disent que je devrais bien regarder sous ma voiture dorénavant avant de démarrer. Ils envoient des lettres dans différents styles d'anglais - parfois griffonnées avec des feutres pour les enfants - faisant la liste de leurs droits, et de quelle manière j'ai violé un traité maritime des années 1700. Durant mes déplacements, j'ai appris que si vous déposez votre nom de famille, vous ne pouvez plus être incriminé dans aucune action judiciaire, si vous n'écrivez jamais votre code postal, alors, vous n'êtes pas résident des États Unis, et si je dis à quelqu'un que leur créancier leur offre de l'argent pour quitter les lieux à condition qu'il laisse sur place l'escalier (oui, on les vole) et l'allée du garage (oui, on les vole), alors, je suis coupable de trafic d'esclaves sous une loi ou une autre des Nations Unies". 

"Pour ceux qui refusent le deal, rien ne change. Ils ne perdent pas leurs droits, et rien n'est retenu contre eux - ni les avocats ni les tribunaux ne s'en préoccupent, parce que les prêteurs n'ont pas à offrir quoi que ce soit - le processus d'expulsion continue. J'écoute les raisons pour lesquelles ils ne peuvent/ne veulent pas accepter l'arrangement. Ils ne peuvent pas se permettre autre chose. Ils n'ont nulle part où aller. Ils veulent que l'expulsion revienne aussi cher que possible. Ils vont obtenir "un gros chèque" au bout d'un vague procès très prochainement. Ils veulent que leurs enfants finissent l'année scolaire. Ils ont l'intention de prendre la chaudière dès qu'ils trouveront une autre maison. Toutes sortes de raisons. Certaines fendent le cœur. D'autres beaucoup moins".

"Ceux qui acceptent le deal, à la date et à l'heure convenue, je les rencontre dans leur ancienne maison. Je traverse la pelouse et je pénètre dans chaque pièce, j'ouvre chaque tiroir et placard pour être sûr que la maison est propre et ne contient pas de vieux moteurs, de produits chimiques toxiques ou de chiens morts qui trainent quelque part. Parfois, les enfants sont là, peut-être ils attendent dans la voiture, peut-être pas. Je vois les traits sur le mur, qui mesurent leur croissance au fil des années. Je vois la poésie dramatique griffonnée sur le mur par des ados stoned et le trou occasionnel qui a été percé dans le mur. Une femme m'a tendu la clé de la porte blindée de sa chambre. Durant son divorce, son ex-mari vivait toujours dans la maison et elle avait dû se barricader durant la nuit. Une autre a dit : "C'est ici que j'ai retrouvé mon fils. Il n'a pas supporté de perdre la maison".

"Parfois, ils ne veulent pas l'argent et ne veulent pas être expulsés, alors, ils signent une décharge, indiquant que tout ce qui est dans la maison peut être saisi. Des lits d'hôpitaux. Des bonbonnes d'oxygènes et des fauteuils roulants. Des centaines de boites à chaussures. Un mannequin. Un dossier avec les dessins et les devoirs d'un môme de CE1. Un album-photos de mariage avec des photos où une personne a été découpée. Des "business plans" pour faire fortune vite. Quarante ans de paperasses. Pour les créanciers et les avocats, ces choses n'existent pas. Ils ferment le dossier et demandent à une entreprise de mettre tout à la benne. Parfois, je m'attarde et je visite la cave pour les moisissures et le plomb. Je suis dans le chapitre final de tant de chapitres qui ont compté. Pour la plupart des gens, ça fait juste partie du boulot, mais dans tant d'autres univers, c'est là où je me retrouve. Il n'y a pas de différence entre moi et ces gens autres que les nœuds intangibles de l'expérience.

Voilà, c'est mon job

Et donc, j'écoute. Je feins d'être détaché, mais je ne trompe personne. D'une manière ou d'une autre, ils peuvent deviner que ça me touche, et ils me remercient en admettant que ce n'est pas de ma faute, que ce n'est pas ma responsabilité d'écouter. Je me suis tenu à l'intérieur du rêve de quelqu'un d'autre pendant une heure pendant qu'ils parlaient, pas vraiment pour être écoutés, mais pour dire adieu - laisser les fantômes derrière eux.

Ils vont à la voiture et reviennent avec le trousseau.

Les clefs sont enlevées de l'anneau.

Ils me remercient. Parfois ils pleurent.

Et ils sont partis.

J'attends que leur voiture ait disparu avant d'accrocher la pancarte. Pour à peu près tout le monde, c'est juste une autre maison, dans juste un autre pâté de maison dans juste une autre ville dans juste une autre catastrophe financière.

Mais j'étais là. J'ai vu le rêve finir.

Mais au moins, je ne leur fais pas éteindre les lumières une dernière fois quand ils s'en vont.

Voilà, c'est mon job".

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !