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Pourquoi il est absurde de vouloir apprendre le "codage informatique" à l'école
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Le Nettoyeur

La proposition de loi de la députée UMP Laure de la Raudière sur l'apprentissage du "codage informatique" à l'école résume toute l'incompréhension du monde de nos politiques.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Voici une thèse sur la nature humaine, et quelques implications de cette thèse sur l'organisation de la société.

Les êtres humains sont des gros primates orgueuilleux. Voilà. Nous sommes des gros primates, donc nous ne sommes pas très intelligents, et nous ne comprenons pas beaucoup de choses. Le monde est extrêmement, extrêmement complexe, et nous sommes tout simplement incapables, chacun d'entre nous, d'en comprendre plus qu'un tout, tout petit bout. Mais nous ne sommes pas n'importe quels primates, nous sommes des primates orgueuilleux. (Les chimpanzés, qui sont nos cousins les plus proches dans l'ordre animal, ont des instincts territoriaux et de hiérarchie sociale très forts, qui font qu'ils se battent tout le temp). Ce qui fait que non seulement nous sommes bêtes, mais nous ne voulons pas admettre que nous sommes bêtes. Non seulement nous sommes orgueuilleux, mais nous voulons croire que nous sommes justes.

C'est une thèse. Il y en a d'autres. C'est, en gros, la mienne.

Il me semble que cette thèse implique que nous devons être, par exemple, très réservés quant à toute tentative de centralisation, étant donné qu'avoir un macaque bête et orgueuilleux diriger une cité est rarement une bonne idée. Puisque nous sommes des singes bêtes, il faut faire en sorte de diffuser et de décentraliser le pouvoir autant que possible, histoire d'empêcher que des singes bêtes fassent trop de dégâts à d'autres singes bêtes.

Il me semble qu'elle implique aussi que nous devons toujours garder à l'esprit que nous vivons dans un environnement d'incertitude radicale. La plupart des économistes n'ont pas vu venir la crise, ni la crise financière de 2008, ni la crise de l'euro. La plupart des gens qui se sont trompés dans leurs prévisions l'ont admis, et travaillent dur à faire de meilleures prévisions pour la prochaine fois. Il est beaucoup plus difficile d'admettre qu'étant donné l'énorme complexité du monde, la prévision est tout simplement impossible.

Lorsqu'on est dans un environnement d'incertitude radicale, la stratégie la plus optimale est de garder le plus d'options ouvertes pour pouvoir capitaliser au mieux sur des événements non anticipés.

Pour voir une vision radicalement opposée de la nature humaine et de l'organisation sociale, il suffit de regarder la proposition de loi de la députée UMP La proposition de loi de la députée UMP de Laure de la Raudière sur l'apprentissage du "codage informatique" à l'école résume toute l'incompréhension du monde de nos politiques.
sur l'apprentissage du “codage informatique” à l'école.

Si j'ai commencé cette chronique sur cette petite proposition de loi par une péroraison un peu arrogante sur la nature humaine et l'organisation sociale, ce n'est pas juste pour faire le malin. C'est parce que ces petites initiatives sont souvent très révélatrice de toute une vision du monde qui les sous-tend.

Est-ce que les enfants doivent apprendre le "codage" à l'école ?

Qu'est-ce que le "codage" ? La progammation informatique, c'est le fait pour un humain de donner des instructions à un ordinateur dans un langage que l'ordinateur comprenne. Mais ce qu'on appelle un langage informatique n'est pas vraiment le langage de l'ordinateur. Tout ce que fait un ordinateur, c'est produire un très grand nombre de 1 et de 0, selon des modalités précises. Un programmeur informatique ne tape pas une série de 1 et de 0. Le langage informatique que le programmeur utilise, qui est la traduction de ce que le programmeur veut faire en langage informatique, sera lui même traduit par le logiciel de l'ordinateur en 1 et en 0. Il y a donc une couche d'abstraction, entre les concepts qui sont dans la tête du programmeur et le langage qu'il tape, et une autre couche d'abstraction, entre le langage tapé et un langage qui puisse être compris par l'ordinateur.

Voici où je veux en venir : si on regarde l'histoire de l'informatique depuis 50 ans, on constate que les langages informatiques les plus utilisés vont sans cesse vers un niveau d'abstraction plus élevé. On a commencé, à l'époque où les ordinateurs faisaient la taille d'un immeuble, à changer des 0 et des 1 à la main en manipulant des circuits. Puis on a eu des langages qui donnaient des instructions à l'ordinateur de manière plus abstraite, mais en découpant néanmoins les concepts en instructions très fines. Et au fur et à mesure, les langages informatiques ont évolué vers de plus en plus d'abstraction, vers de plus en plus de ressemblance avec les-concepts-qui-sont-dans-la-tête, et de moins en moins de ressemblance avec une série de 1 et de 0.

De cette analyse historique, vient un pronostic : étant donné la tendance de la programmation informatique, et étant donné l'accélération de l'évolution des technologies, il est fort probable que d'ici qu'un enfant du primaire se mette au “codage” aujourd'hui à ce qu'il sorte de l'université et se mette à chercher un travail dans l'informatique, le concept même de “programmation” sera complètement différent de ce que nous connaissons aujourd'hui; en tous les cas, les technologies seront fort différentes. Il est donc fort probable qu'apprendre le “codage” aux enfants aujourd'hui ne serve absolument à rien.

Comme le signale avec très grande sagesse le blogueur et informaticien, la proposition de loi en question évoque avec emphase les mauvais résultats de la France dans les classements PISA, mais cette évocation va précisément dans le sens opposé de la loi. Si nous vivons dans un environnement d'incertitude radicale, et que donc notre meilleure stratégie est de garder nos options ouvertes, au lieu d'apprendre aux enfants des techniques qui seront obsolètes avant qu'ils sortent du collège, il faut au contraire “bétonner” les bases, qui sont le français, les mathématiques et la pensée critique, ces connaissances qui seront toujours utiles quelque soit le monde de demain. C'est en construisant sur ces bases que les informaticiens de demain inventeront ce que voudra dire “codage” dans quinze ans.

D'où mon point sur notre ressemblance avec nos cousins les chimpanzés. Il est absolument, complètement absurde de penser qu'un député, ou pire, une majorité de députés, puisse savoir quelles seront les technologies les plus productives et les plus abouties dans quinze ans, tout comme il est absurde de penser que même si on pouvait le savoir, la bureaucratie ubuesque qu'on appelle l'Education nationale pourrait l'enseigner. La Révolution industrielle ne s'est pas faite parce qu'on a donné des cours de “vapeur” ou de “charbon” aux enfants ; elle s'est faite parce que nous avions une population éduquée, oui, mais éduquée à la pensée critique et à la rigueur et qui a ensuite inventé des technologies qu'aucun ministre de l'Education n'aurait pu imaginer.

Tout dans la culture politique française va à l'encontre de cela. Nous vivons encore sur le fantasme du grand sage, du grand manitou, qui voit l'avenir et sait faire, et qui nous guidera vers le pays du lait et du miel. Nos camps politiques se disputent pour savoir qui est le meilleur manitou, mais personne ne se dit que sans manitou, tout se passerait sans doute mieux. Cette proposition de loi en est un tout petit exemple, mais si révélateur.

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