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Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, s'exprime à l'Assemblée nationale dans le cadre des débats sur la réforme des retraites.
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, s'exprime à l'Assemblée nationale dans le cadre des débats sur la réforme des retraites.
©Ludovic Marin / AFP

Chronique parlementaire

La réforme des retraites a permis de montrer la profondeur de l’arsenal dont dispose le gouvernement, pour que le Parlement adopte les textes qu’il souhaite (et accessoirement, bloquer les initiatives intempestives).

Samuel Le Goff

Samuel Le Goff

Ancien assistant de députés, ancien journaliste parlementaire et aujourd'hui consultant, Samuel Le Goff fréquente le palais Bourbon et ses environs depuis 20 ans.

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Nous avons assisté, entre Assemblée et Sénat, à un véritable festival, rarement vu dans notre histoire politique. Techniquement, il n’y a pas grand chose à redire à l’utilisation combinée d’outils inscrits dans la Constitution. Mais politiquement, cela risque d’avoir un coût pour Emmanuel Macron, car il fait ainsi la démonstration qu’il n’est pas en capacité d’obtenir un vote favorable des députés, et doit donc contourner l’assemblée élue au suffrage universel direct. 

Le gouvernement a commencé par faire le choix d’un texte financier, un projet de loi de Financement de la sécurité sociale, plutôt qu’un projet de loi ordinaire. Cette décision, offre quelques inconvénients (on ne peut y mettre que des dispositions purement financières) mais aussi un immense avantage : la durée des débats est limitée dans le temps par l’article 47-1 de la Constitution. Le texte doit être voté en 50 jours, tout compris. Cela oblige donc les députés à l’examiner en 20 jours, et s’ils n’y arrivent pas, le gouvernement peut transmettre le projet de loi au Sénat, dans l’état où il se trouve, à l’issue de ce délai. Cela règle la question de l’obstruction, où l’opposition dépose des milliers d’amendements pour retarder les débats. 

Arrivé au Sénat, le texte a fait l’objet d’un examen à peu près normal en commission, puis a subi l’obstruction des groupes de gauche, qui ont multiplié les amendements pour empêcher que le vote ait lieu avant la fin du délai. Pour le gouvernement, c’est plus ennuyeux qu’à l’Assemblée, car il faut au moins qu’une des deux chambres arrive au bout et vote un texte. La majorité sénatoriale de droite s’étant montrée conciliante, le président du Sénat, Gérard Larcher, et le rapporteur LR, René-Paul Savary, ont utilisé quelques ficelles du règlement pour accélérer un peu les débats. 

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Mais cela n’a pas suffi, et Olivier Dussopt a dégainé l’article 44-1 de la Constitution, un mécanisme appelé “le vote bloqué”. Il permet au gouvernement d’obliger le Sénat à se prononcer, en un seul vote, sur l’ensemble du texte restant en discussion. En temps normal, quand un amendement est présenté, il fait l’objet d’un débat, d’un avis du gouvernement et du rapporteur, suivi d’un vote. Dans le cas du vote bloqué, les amendements font l’objet d’une présentation, mais sans vote (puisque tous les votes sont reportés à la fin). Il en a résulté deux journées un peu surréalistes, où les sénateurs d’opposition présentaient leurs amendements, à la chaîne, dans le silence du gouvernement et de la majorité. 

Cette tactique a finalement réussi, le Sénat se adoptant un texte le samedi soir, 24 heures avant la date butoir. La réunion de la commission mixte paritaire (7 députés et 7 sénateurs) n’a été qu’une formalité, adoptant un texte de compromis entre le gouvernement et la droite sénatoriale (qui a largement imposé ses vues). 

Reste à faire ratifier ce texte de compromis dans les deux chambres. Au Sénat, c’est passé comme une lettre à la poste, le texte étant très largement celui voulu par la droite, majoritaire à la haute assemblée. En revanche, le problème était beaucoup plus épineux à l’Assemblée nationale, où Elisabeth Borne n’a qu’une majorité relative (250 députés), alors que la majorité absolue est à 289 sièges.

Un rejet du compromis par les députés aurait aussi obligé à effectuer une nouvelle lecture de la réforme des retraites dans chaque chambre. Mais surtout, cela aurait été un camouflet politique terrible, de nature à entraîner la démission d’Elisabeth Borne. 

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Jusqu’à la dernière minute, le gouvernement a compté et recompté, pour savoir si une majorité existait, et a finalement préféré jouer la sécurité, en dégainant l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. C’est l’arme nucléaire, qui permet l’adoption sans vote, par les députés, d’un texte de loi. Leur seule option, pour que le texte ne soit pas adopté, est de renverser le gouvernement par une motion de censure. 

Alors que pour rejeter la réforme des retraites, il fallait juste qu’il y ait plus de contre que de pour, il faudra que la motion de censure obtienne 287 voix pour contraindre Elisabeth Borne à démissionner. Le groupe LR ayant indiqué qu’ils ne la voteraient pas, le gouvernement devrait s’en tirer à nouveau. 

Reste maintenant l’étape du conseil constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi. Mis à part la suppression probable de quelques articles, qui n’ont rien de financier, les Sages devraient valider la procédure, en donnant éventuellement quelques indications ou réserves, pour la prochaine fois.

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