Lama, petite martyre saoudienne <!-- --> | Atlantico.fr
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Des Saoudiennes ont lancé une campagne pour demander une protection juridique des enfants.
Des Saoudiennes ont lancé une campagne pour demander une protection juridique des enfants.
©Reuters

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Le Royaume saoudien n'est plus si inerte : devant l'indulgence d'un tribunal saoudien pour un prédicateur violeur et meurtrier de sa fille de 5 ans, des Saoudiennes ont lancé une campagne pour le faire condamner et demander une protection juridique des enfants.

Lama était une petite fille de 5 ans, décédée après 10 mois de soins intensifs et coma en octobre : enfant martyr violée, torturée, brûlée par son père, un prédicateur souvent invité sur les chaines de télévision saoudiennes pour prêcher le droit chemin. Sa mort le 22 octobre a fait moins de bruit que le scandale qui explose maintenant. Le père tortionnaire a été relâché après des aveux et quatre mois de prison, condamné à payer le seul "'prix du sang' à la famille de sa victime, c'est à dire à lui-même : 200 000 rials (environ 40 000 euros), moitié moins que s'il avait assassiné son fils.

Photos de presse de Lama, republiées par le blog Blue Abaya

Ce scandale local explose sur Twitter dans le monde entier car  Manal al-Sharif, 'une Saoudienne  indomptable qui avait déjà mené la campagne pour le droit des Saoudienne à conduire en 2011, a  lancé la mobilisation AnaLama (Je suis Lama) sur les réseaux sociaux arabophones, et alerté tous les médias occidentaux (communiqué de presse). Une pétition demandant de rompre toutes relations avec l’Arabie saoudite est déjà apparue sur le site de la Maison Blanche.

Manal Al Sharif (photo Wikipedia)

La petite fille vivait avec son père, séparée de sa mère depuis le divorce de ses parents ; sa mère, égyptienne, ne pouvait lui parler que brièvement au téléphone. Le père était inquiet de la virginité de sa petite fille, au point de demander un examen médical pour la certifier, à moins de 5 ans. Les traumatismes constatés à son admission à l’hôpital  comportait des blessures par câbles électriques, des coups, un dos brisé, des viols, et un rectum brûlé. Cependant, le tribunal a invoqué un hadith indiquant que les pères ne seraient pas exécutés pour leurs enfants pour l'absoudre d'une simple amende, le "prix du sang" à verser à la famille de la victime, qui éteint toute procédure judiciaire.

Fayhan Al Ghamdi, le père meurtrier

Blue Abaya, une expatriée mariée à un Saoudien et vivant en Arabie Saoudite, a publié sur son blog après un réquisitoire amer contre le traitement des petites filles   le barème du "prix du sang" en Arabie Saoudite :

300 000  rial si la victime est un musulman - 150 000 Rial si la victime est une musulmane

150 000 Rial si la victime est un chrétien ou un juif- 75 000 Rials si la victime est une chrétienne ou une juive

6666 Rials si la victime est un homme d'une autre religion - 3333 Rials si la victime est une femme d'une autre religion

Elle écrit aussi : 'Comparez ce jugement à l'exécution sans procès équitable d'une gouvernante srilankaise inexpérimentée qui avait causé la mort d'un enfant qui lui était confié" et rappelle que quelques initiatives pour établir un code de protection des enfants se sont heurtées à un obstacle :  il aurait fallu interdire le mariage des petites filles. 

Saudi Woman, sur son blog, rage contre l'obscurantisme des juges  : "[le jugement] va contre la condamnation par le Coran des pères qui assassinent leurs filles. Le hadith (invoqué) peut se traduire en :'Un père n'est pas exécuté pour son enfant". Bien, le clergé et les juges qui utilisent ce hadith pour ne pas sanctionner Al Ghamdi sont inconscients de la portée à long terme d'un tel jugement.  Suhalia Zainalabdeen, membre de la Société nationale des droits humains, dit que dans toute sa carrière, elle n'a rencontré qu'un cas pour lequel un père a été sévèrement puni pour avoir torturé et tué sa fille. Elle dit que cette indulgence s'étend à ceux qui assassinent leurs épouses. Elle donne deux exemples de cas similaires.  L'un est celui d'un mari qui a égorgé sa femme alors qu'elle allaitait leur enfant, condamné à seulement cinq ans de prison. Un autre est le cas d'un mari qui a attaché sa femme à sa voiture et l'a traînée sur la route jusqu'à ce qu'elle en meure. Il a été condamné à 12 ans."

Elle explique " que le système judiciaire saoudien (qui rappelle le Moyen Age) résiste à une codification. Chaque juge peut décider ce qu'il juge bon, à condition de trouver un texte religieux sur lequel baser sa décision. Ceci signifie que vous pouvez avoir deux cas de meurtres,  de divorces ou autre chose avec exactement les mêmes caractéristiques et dans la salle d'audience du même juge, obtenir deux jugements différents, selon qui sont les justiciables, ce qu'ils portent, leur niveau de piété, etc... "

Omaina Najjar, qui fait des études de médecine, est plutôt pessimiste : "Ce jugement inique et scandaleux n'est pas une surprise. Malheureusement la Charia saoudienne donne toute autorité à l'homme sur les femmes, un mari a toute autorité sur ses femmes et le père a toute autorité sur ses filles". 

Mais l'indignation, cette fois-ci, déborde dans le royaume, en partie à cause de la célébrité du prêcheur-meurtrier. Un appel est possible, qui aura lieu samedi, et les blogueurs saoudiens demandent que la mère de Lama, aux moyens modestes, puisse avoir de bons avocats pour contester le jugement et que les témoins ne cèdent pas sous les pressions, qui ne sauraient tarder. 

Devant le tollé, le gouvernement saoudien a pour l'instant déclaré être prêt à ouvrir un numéro vert fonctionnant 24 h sur 24 pour signaler les maltraitances contre les enfants. 

Parmi les messages horrifiés et indignés qui défilent sur le fil Twitter, #AnaLama , et les souhaits d' un paradis de repos pour une enfant martyre,un tweet laconique de Hamza Kashgari: "Les femmes saoudiennes ne vont pas en enfer, parce que ce n'est pas possible d'aller deux fois en enfer". 

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