L'obsolescence programmée, ce mythe qui révèle à quel point notre rapport aux mécanismes économiques est biaisé<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Sénat a entamé un débat sur l'obsolescence programmée.
Le Sénat a entamé un débat sur l'obsolescence programmée.
©Reuters

Le Nettoyeur

A l'initiative du groupe écologiste, le Sénat a entamé un débat sur l'obsolescence programmée, voulant créer un délit pour punir les entreprises qui fabriqueraient un produit qui casse volontairement vite pour qu'un consommateur le rachète.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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A l'initiative du groupe écologiste, le Sénat a entamé un débat sur l'obsolescence programmée, voulant créer un délit pour le punir. Or, l'obsolescence programmée est tout simplement un mythe. Ça n'existe pas plus que les licornes ou le père Noël.

La raison en est très simple : si vous, entreprise, faites exprès de faire un produit qui casse vite pour qu'un consommateur le rachète, rien ne garantit qu'il le rachètera chez vous - c'est même l'inverse qui risque de se produire. Ça n'a aucun sens. Si vous achetez un lave-linge, certains fabricants vantent la durée de vie de leurs produits ; d'autres vantent le prix. Les consommateurs savent très bien qu'il y a un compromis à faire. Et la création de tout produit est un compromis entre de nombreuses exigences : durée de vie, prix, caractéristiques techniques, design, etc. Les différentes entreprises font des compromis différents, privilégiant différentes exigences, et les consommateurs arbitrent, choisissant en connaissance de cause.

Je pourrais me moquer du fait que les écologistes semblent encore être dans le Moyen-Âge économique, comme ce sujet et le sujet du logement l'avait montré, ne serait un fait gênant : lors de ce fameux débat, tous les groupes politiques se sont accordés pour dire que l'obsolescence programmée existe. Aïe. S'ils se sont accordés pour le dire, c'est que les Français le pensent. Si les Français le pensent, qu'est-ce que ça veut dire sur nous? Voilà quelques choses que ça révèle sur nous...

  • Le conspirationnisme. L'obsolescence programmée est, au final, une thèse conspirationniste. Pour qu'une politique d'obsolescence programmée puisse fonctionner (et même...), il faut que les entreprises fonctionnent en cartel, parce que sinon il sera trop rentable pour une entreprise de ne pas prendre part à la conspiration. Or, la France est friande de thèses conspirationnistes de tout poil et de pseudo-science. Des études ont montrées que dans les pays où la confiance entre les citoyens est faible, les thèses conspirationnistes prolifèrent (un exemple particulièrement criant est le Vénézuela), pour des raisons évidentes : si on n'a pas confiance en ses concitoyens et ses institutions, on sera plus réceptif aux conspirationnismes. Or la France est un des pays riches où la confiance entre les citoyens est la plus faible, comme l'a soulevé le livre La Société de défiance - et les pays où il y a le moins de confiance sont ceux où il y a le plus de demande pour un Etat-providence (si je n'ai pas confiance en mon voisin, il faut que l'Etat m'en protège), Etat-providence qui lui-même détruit la confiance, nécessaire au fonctionnement des marchés. Le mythe de l'obsolescence programmée est au cœur de ce nexus maléfique entre conspirationnisme, hostilité au marché et omniprésence de l'Etat.
  • Le mépris des consommateurs. Un consommateur n'est pas capable de faire un choix. Une composante du projet du Sénat est de rendre obligatoire les garanties à longue durée, ce qui augmenterait les prix des biens de consommation. En plus d'appauvrir les consommateurs et de réduire le pouvoir d'achat, ça montre un mépris du consommateur, c'est-à-dire de vous et moi : si nous refusons d'acheter une garantie à deux ans, nous avons peut être une raison. C'est le même biais qui a généré une telle hostilité à l'arrivée de Free Mobile : Free Mobile est indubitablement bon pour les consommateurs, en augmentant la concurrence et le pouvoir d'achat. Mais le cri d'orfraie était que Free réduirait les marges des autres opérateurs, comme si l'intérêt d'un marché des télécoms était d'enrichir Martin Bouygues et Stéphane Richard, et pas de fournir des produits et services aux consommateurs. C'est une sorte de mépris ontologique : les consommateurs ne sont pas juste bêtes, ils ne comptent pas. Leur offrir plus de choix et de pouvoir d'achat n'a aucune valeur dans le calcul.
  • L'incapacité à “penser marché.” Ce phénomène est lié au précédent. “Penser marché” c'est une attitude d'esprit qui n'est pas forcément naturelle, mais qui est nécessaire au 21e siècle, parce que le marché est le seul moyen viable d'organiser la répartition de la plupart des ressources. Si on “pense marché” on se rend vite compte que l'obsolescence programmée est une impossibilité du fait de la concurrence entre les entreprises. Si on “pense marché” on se rend vite compte du mépris pour les consommateurs que les lois contre l'obsolescence programmée créent.
  • La pénalisation de tout. Une proposition du groupe écologiste était de créer un “délit d'obsolescence programmée.” Je suppose qu'il faudrait rajouter à ça un délit de sorcellerie et un délit de chien à six pattes. Mais c'est révélateur de notre pénalisation de tout. Même si l'obsolescence programmée existait, faudrait-il vraiment en faire un délit ? Les gens de droite parlent parfois de l'inflation réglementaire, mais son exemple le plus grave, l'inflation pénale, qui crée tellement de délit que nous devenons tous des criminels (qui n'a jamais téléchargé ? Fumé un joint ? Fait un excès de vitesse ? Injurié quelqu'un en public ? Utilisé sa voiture d'entreprise pour des tâches personnelles ? Est absolument sûr d'avoir parfaitement déclaré tous ses revenus ?). La France est un pays autoritaire. Si on voit quelque chose de mauvais, il faut mettre quelqu'un en prison.

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