L’art -si peu maîtrisé- de bien construire un projet de loi<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de loi "visant à sécuriser et réguler l’espace numérique" doit notamment protéger les mineurs en ligne.
Le projet de loi "visant à sécuriser et réguler l’espace numérique" doit notamment protéger les mineurs en ligne.
©Bertrand GUAY / AFP

Chroniques parlementaires

L’exemple du projet de loi numérique présenté par le gouvernement ce mercredi est emblématique des pièges qu’on sait éviter… ou pas.

Samuel Le Goff

Samuel Le Goff

Ancien assistant de députés, ancien journaliste parlementaire et aujourd'hui consultant, Samuel Le Goff fréquente le palais Bourbon et ses environs depuis 20 ans.

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Un projet de loi se présente sous la forme d’une succession d'articles, traitant de sujets parfois très différents. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’ordre des articles ne tient pas totalement du hasard. C’est même très utile de savoir bien construire son texte pour se faciliter la vie lors des débats. Le projet de loi numérique, présenté ce 10 mai en conseil des ministres, est emblématique de cela.

La clé du succès est de ranger les sujets dans un ordre bien précis, en mettant au début des thèmes ultra-médiatiques et à la fin ce qui est vraiment important, et qu’on ne souhaite pas voir trop réécrit par les parlementaires. En effet, plus on avance dans l’examen du texte, plus les députés se fatiguent. Alors qu’ils sont tous présents (ou presque) les mardis et mercredis en début de discussion, l’hémicycle commence à se vider dès le jeudi midi, et le vendredi, vous n’avez plus que les mordus, ceux qui ont vraiment travaillé le texte, ou ceux qui sont de permanence et n’ont qu’une envie, retourner au plus vite en circonscription.

Pour occuper les députés, pendant les deux grosses journées d’affluence, rien de mieux que mettre, dans les premiers articles, des sujets hautement politiques et symboliques, même s’ils n’ont qu’une portée juridique limitée. Les parlementaires adorent faire de la politique sur des sujets de société, et sont capables de passer plusieurs heures à échanger sur des points de détail, du moment que cela permet une bonne visibilité politique et médiatique.

Avec ce projet de loi “visant à sécuriser et réguler l’espace numérique”, les députés vont être servis, puisque les premiers articles parlent de protection des mineurs en ligne. On y trouve notamment quelques articles à haute teneur symbolique (à défaut d’être juridiquement applicables) comme celui instaurant une condamnation de suspension de l’accès aux réseaux sociaux. On va y passer des heures car, il y a juste quelques semaines, les députés ont débattu d’une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et lutter contre la haine en ligne, ainsi que d’une autre proposition de loi pour prévenir l’exposition excessive des enfants aux écrans. Les amendements sont donc déjà prêts et les argumentaires rôdés.

Viennent ensuite quelques éléments sur les offres de cloud computing. C’est beaucoup moins glamour et plus technique, mais il y a des gros enjeux économiques, et on va pouvoir y glisser des morceaux de souveraineté numérique (le marché du cloud pour les entreprises est largement dominé par les GAFAM). Arrivé à ce stade, on sera probablement le jeudi soir, et on pourra entrer dans le dur, sur les articles qui justifient l’existence du texte.

Les vrais sujets, ultra techniques, commencent à l’article 18, avec l’adaptation du droit français à deux règlements européens, le DMA et le DSA. Ces deux textes sont une révolution complète dans la régulation du numérique, avec le DMA destiné à contrôler de très près les grosses plateformes (pour les empêcher d’entraver la concurrence) et le DSA, sur la régulation des contenus présents sur ces grosses plateformes.

Autant les députés vont passer des heures sur les 5 premiers articles, autant ils risquent probablement de bâcler la fin du texte, alors même qu’il s’agit de la répartition des pouvoirs entre autorités administratives, judiciaires et politiques, pour mettre en œuvre cette nouvelle régulation des plateformes pour les quinze prochaines années. Un sujet pourtant autrement plus structurant, politiquement et économiquement, que les modalités de contrôle de l’âge pour accéder à des sites pornographiques, le bannissement des réseaux sociaux ou la mise en place d’un filtre anti-arnaque.

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