Élections en Slovaquie : vers une bascule des opinions sur le soutien à l’Ukraine en Europe de l’Est ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Robert Fico, Michal Simecka, Peter Pellegrini, Milan Uhrik et Richard Sulik participent à un débat télévisé le 26 septembre 2023 à Bratislava.
Robert Fico, Michal Simecka, Peter Pellegrini, Milan Uhrik et Richard Sulik participent à un débat télévisé le 26 septembre 2023 à Bratislava.
©VLADIMIR SIMICEK / AFP

Géopolitico-Scanner

Les élections législatives anticipées sont organisées ce samedi 30 septembre en Slovaquie. Le soutien à l’Ukraine est au coeur de la campagne électorale.

Yann Caspar

Yann Caspar

Yann Caspar est juriste franco-hongrois et chercheur au Centre pour les études européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest.

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Atlantico : Des élections législatives anticipées ont lieu cette semaine en Slovaquie. Deux camps sopposent : un tourné vers lUE, lautre populiste aux positions pro-russes, qui est en tête des sondages. Si ce dernier lemporte, le président hongrois, Viktor Orbán, pourrait trouver un allié au sein de lUnion Européenne pour limiter le soutien à lUkraine et les sanctions à lencontre de la Russie. Est-ce quil y a danger ? Ces élections sont-elles à fort enjeu pour lUnion Européenne ?

Yann Caspar : Le retour au pouvoir de Robert Fico, président du gouvernement slovaque de 2006 à 2010 puis de 2012 à 2018, ne manquerait pas de faire régir négativement les chancelleries occidentales, le candidat du Smer-SD ayant une position sur le conflit russo-ukrainien ne correspondant pas à la ligne en cours à Bruxelles, et rejoignant sur deux points celle du gouvernement hongrois : le refus de soutenir l’Ukraine par des envois d’armes et la défense de la tenue de négociations de paix au plus vite.

Je ne pense pas qu’il faille parler d’alliance, mais il est certain que la position hongroise dans le jeu européen est susceptible de potentiellement disposer de plus de marges si un changement politique avait lieu à Bratislava, Budapest ayant depuis février 2022 des relations hélas difficiles avec son partenaire de choix dans la région, la Pologne.

Ajoutons aussi que, bien qu’issu de la gauche, Robert Fico a des positions similaires à celles de la Hongrie et de la Pologne sur les questions migratoire et « sociétales », ce qui déplaît tant à la Commission européenne mais est pourtant une réalité bien ancrée dans les sociétés centre-européennes.

Il faut aussi rappeler que les sondages donnent des résultats serrés, l’un d’eux datant du 26 septembre met d’ailleurs Fico en deuxième place. Rien n’est donc sûr, d’autant plus que la politique slovaque se caractérise ces dernières années par une grande volatilité, contrairement aux situations hongroise et polonaise, et que Fico a déjà un passif avec Bruxelles alors que son nom est associé à des affaires. Enfin, les moyens de pression occidentaux — notamment économiques et monétaires — sur Bratislava sont considérables, et je ne suis pas certain qu’un cabinet Fico soit viable à moyen et long termes, surtout que le jeu d’alliance en vue d’une coalition gouvernementale paraît plus que délicat.

Tout cela en sachant que la présidente slovaque Zuzana Čaputová, dont le mandat arrivera à son terme l’année prochaine, vient d’annoncer qu’elle portait plainte contre Robert Fico pour atteinte à sa personne. Une ambiance délétère, annonciatrice d’une situation hautement tendue en cas de victoire de Fico. 

Dernier point complètement ignoré en Europe de l’Ouest mais pourtant essentiel : depuis Budapest, ces élections sont importantes en raison de la présence d’une minorité hongroise en Slovaquie. Cette année, le parti Alliance entend représenter les Hongrois de Slovaquie et s’il entre au Parlement, cela pourrait avoir un impact non seulement sur la formation d’un nouveau gouvernement mais aussi sur les relations entre Bratislava et Budapest.

Dans quelle mesure le soutien à lUkraine, est-il devenu un enjeu politique pour les pays de lEst comme la Pologne ou la Roumanie ?

Pour des raisons historiques et géographiques, la question ukrainienne est évidemment bien plus un sujet politique dans cette région qu’elle ne l’est en Europe de l’Ouest. La Pologne est un soutien naturel de l’Ukraine face à la Russie, mais l’opinion publique polonaise n’est incontestablement plus dans le même état d’esprit qu’en février 2022, toujours plus nombreux étant ceux à voir dans l’attitude du président ukrainien de l’ingratitude. C’est évident sur la question des importations de céréales ukrainiennes, mais cela renvoie aussi à des blessures plus profondes, les rapports entre Polonais et Ukrainiens ayant connu des phases historiques absolument tragiques.

Des élections se tiendront en Pologne le 15 octobre et les conservateurs du PiS (parti Droit et justice dirigeant la coalition gouvernementale) ne sont pas assurés de pouvoir former un gouvernement, même en cas d’arrivée large en tête, une coalition avec les nationalistes libertariens de Konfederacja, en pleine progression dans l’électorat jeune, paraissant peu probable. Le PiS, qui bénéficie clairement de l’idée lancée par Bruxelles de mettre en place des quotas de répartition des migrants — un référendum se tiendra d’ailleurs le même jour que les élections sur cette question —, doit rester ferme mais aussi prendre en compte un léger glissement de l’opinion sur la question ukrainienne et ne pas laisser penser qu’il soutiendrait l’Ukraine avant de défendre les intérêts polonais.

Depuis février 2022, la Pologne joue sa carte et veut prendre le leadership dans la région. Force est de constater que cela fonctionne, sa voix pèse plus dans le jeu européen qu’il y a encore deux ans. Ce conflit tragique a des gagnants régionaux. J’en vois dans notre voisinage essentiellement deux : la Pologne, qui a su s’imposer comme le symbole même du combat contre la Russie, mais aussi la Turquie, qui en soufflant le chaud et le froid tire habilement son épingle du jeu.

La Roumanie est un pays très différent de la Pologne, mais sur l’Ukraine le soutien de Bucarest à Kiev est parmi les plus importants. Si l’appareil d’État roumain et ses gouvernements successifs sont profondément liés à l’OTAN, la population roumaine n’a pas nécessairement un entrain débordant quand il s’agit de soutenir l’Ukraine. En réalité, encore peut-être plus que les Hongrois ou les Slovaques, les Roumains ne sont dupes de rien et savent pertinemment que les soutiens et les amitiés ne sont jamais définitives en politique internationale. Et surtout : ils ont conscience que ce conflit est un choc des grands dépassant les intérêts de l’Europe centrale et orientale, et malheureusement ceux de l’Ukraine aussi. Les centre-européens ont souvent été des pions sacrifiés sur l’échiquier mondial et beaucoup sont ceux à penser qu’il arrive précisément la même chose aux Ukrainiens.

Qu'en est-il de l'Allemagne ? 

L’on sent bien qu’il existe des frictions sur la question russe au sein de la coalition allemande.  Le social-démocrate Scholz paraît plus pragmatique que ses partenaires de coalition verts, qui ont une approche idéologique de la Russie. Un an après l’attaque contre les gazoducs Nord Stream, on ne sait toujours rien de concret, et ce qui est frappant, c’est l’absence de réaction des Allemands, alors même qu’il s’agit d’un coup violent à leur économie.

Il faut bien l’admettre : l’Allemagne est ligotée par Washington et voit bien que depuis le début de ce conflit la Pologne tente de grignoter sur son leadership politique européen. Économiquement, les signes de ce déclin allemand sont là. La force de l’économie allemande reposait sur deux piliers : l’énergie (russe) peu chère et l’industrie automobile. Tout cela vole en éclats. Et Washington a clairement choisi Varsovie et néglige Berlin.

Il est aussi intéressant de noter à quel point, au cours de la campagne électorale polonaise actuelle, l’accent est mis sur la question allemande, Donald Tusk, le candidat de la Plateforme civique, étant accusé par le PiS d’être trop proche de l’Allemagne, et donc d’être l’idiot utile d’un axe Berlin-Moscou. C’est un classique dans la politique polonaise, mais dans le contexte actuel, cette rhétorique anti-allemande fonctionne à plein régime.

Quels sont les liens de la Slovaquie avec la Russie ? On se souvient que ce fut un des rares pays à acheter du vaccin Sputnik V lors de la pandémie Covid-19

La Slovaquie est fortement dépendante aux hydrocarbures et à l’énergie russes, une situation faisant l’object de beaucoup de critiques mais de très peu de solutions concrètes. Au mois d’août 2023, elle a néanmoins signé un accord avec l’entreprise américaine Westinghouse qui lui permettra de diversifier ses fournisseurs d’uranium, 60 % de l’énergie produite par la Slovaquie provenant actuellement de centrales nucléaires alimentées exclusivement par du combustible nucléaire russe.

Les deux pays sont membres de lOTAN… Quelle est la position slovaque sur l'Ukraine ? 

Cela peut paraître trivial, mais au vu de la dérive idéologique des institutions européennes, il faut le rappeler : l’appartenance à l’OTAN et à l’UE n’interdit pas d’avoir d’avoir des échanges avec des pays extérieurs à ces organisations. Si cela était interdit, tous les pays membres seraient en infraction. Le 11 mars 2023, Greenpeace publiait un rapport révélant que la France avait quasiment triplé ses importations duranium enrichi russe en 2022 : 312 tonnes ont été livrées entre mars et novembre 2022, soit un tiers de la quantité nécessaire au fonctionnement des 56 centrales françaises pendant un an. En 2022, 67 % des importations duranium enrichi en France provenaient de Russie. 

A-t-on accusé la France d’être pro-russe ? Non, car il est évidemment plus aisé de critiquer la Hongrie et la Slovaquie. Si Fico revient au pouvoir, ce sera en partie en raison de ceci : à Bruxelles, on a tendance à mettre les intérêts concrets au second plan. Le gouvernement slovaque actuel, et ceux entendant continuer sa ligne, pourraient faire les frais de trop de suivisme sur l’Ukraine. Que cela plaise ou non — de nombreux sondages le confirment — une part importante de Slovaques considèrent que l’OTAN a sa part de responsabilité dans le déclenchement de ce conflit et surtout que, depuis 2022, les intérêts slovaques ont tendance à être sacrifiés au profit des intérêts ukrainiens. 

Je comprends parfaitement que cela n’est pas acceptable depuis Paris ou d’autres capitales occidentales, mais c’est une réalité, particulièrement palpable en matière d’approvisionnement énergétique, un sujet vital au premier sens du terme.

Si cest le camp populiste qui lemporte, à quels changements faut-il s'attendre dans les relations entre la Slovaquie et l'Ukraine ? 

Robert Fico a été très clair sur le sujet : il n’enverra plus d’armes à l’Ukraine. Reste à savoir s’il résistera aux pressions de ses alliés occidentaux… En réalité, je me dois d’être un peu grinçant, mais cela touche néanmoins un point d’une grande importance : la Slovaquie n’a plus grand chose à envoyer. En Pologne, la situation n’est pas aussi critique mais le rythme de livraison d’armement ne peut être maintenu. C’est peut-être avant tout sous cet angle qu’il faut lire les propos de la semaine dernière du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, qui a dit ne plus vouloir envoyer d’armement à l’Ukraine pour pouvoir rebâtir le potentiel militaire de la Pologne. Cette déclaration, certes largement déformée par la presse occidentale, aurait été impensable il y a encore peu de temps.

Que se passe-t-il par ailleurs dans les autres pays de l'Europe de l'Est ? La doctrine vis-à-vis de l'Ukraine, un jour très uniforme, est-elle plus contestée aujourd'hui ? Quels sont les enjeux dans ces États ?

Depuis le début, la Hongrie pense que la solution n’est pas sur le champ de bataille mais autour d’une table de négociations — position au demeurant partagée par une part de la population hongroise allant au-delà de l’électorat de Viktor Orbán. Je ne dis pas que les autres pays d’Europe centrale sont en train de changer de positions, mais il existe nettement une prise de conscience dans les populations, et les gouvernements vont devoir prendre cela en compte.  Des doutes commencent à apparaître sur la possibilité d’une victoire de Kiev mais aussi sur l’attitude de la diplomatie ukrainienne. La Pologne est de ce point de vue un marqueur intéressant. Suivre la situation polonaise permet de savoir où en est le soutien occidental à l’Ukraine, la Pologne étant à l’évidence le pays européen où la politique de Washington se manifeste le plus nettement, que ce soit indirectement ou non.

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