Dérèglement climatique : les scientifiques ne sont pas d’accord sur l’évolution des courants essentiels de l’océan Atlantique et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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L'océan Atlantique, photo AFP
L'océan Atlantique, photo AFP
©Luis Acosta / AFP

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Les courants de l'océan Atlantique sont aujourd'hui en phase de modification, affirment certains scientifiques, sinon de déclin. Pourtant, d'autres experts soutiennent qu'il n'a pas de preuves ou de certitude en la matière. Que faut-il comprendre, exactement ?

François Sarano

François Sarano

François Sarano est docteur en océanographie, plongeur professionnel, chef d'expédition pendant treize ans à bord de la Calypso, directeur de recherche du programme Deep Ocean Odyssey et cofondateur de l'association Longitude 181. Il est l'auteur de nombreux livres sur les cachalots et les océans.

Son dernier livre, "Au nom des requins" (Actes Sud), évoque la disparition de certains espèces de requins encore mal connues.

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Atlantico : De plus en plus de scientifiques s’inquiètent de l’évolution et de la santé circulation méridienne de retournement de l'Atlantique, aussi appelée AMOC. Quel est le problème, exactement ?

François Sarano : Pour commencer, il est essentiel de comprendre que les courants - qu’ils soient marins ou aériens - sont tous dus au mouvement relatif de masses d’eau (ou de masses d’air) de densité différente. Des masses d’eau de densités différentes jouent les unes par apport aux autres et cela produit un courant. En milieu aérien, les variations sont essentiellement dues aux différences de températures : plus l’air est chaud et moins il est dense (donc plus il s’élève) tandis que, dans le cas contraire, il coule. En mer, la situation est un peu plus complexe car il faut tenir compte d’un second facteur : la salinité. Comme la température, elle influence la densité de l’eau. Une eau très salée est très dense, encore plus quand elle est très froide. Elle a donc tendance à couler. Une masse d’eau moins dense (chaude et peu salée) a tendance à monter en surface. Elles circulent les unes entre les autres comme un fleuve coule entre ses beges. Les masses d'eau coulent les unes à travers des autres.

Le moteur des grands courants marins (qui font, rappelons-le, le tour de la planète), ce qu’on appelle la circulation thermohaline (pour température et salinité), c’est la formation des banquises polaires. Dans l’hémisphère nord, il s'agit de l’englacement de l’océan arctique. Dans l’hémisphère sud, c’est la banquise autour du continent Antarctique. C’est là le moteur de la grande circulation océanique. Lorsque l’eau de mer gèle, elle est très froide et elle expulse le sel. Sous la banquise, il y a donc une eau très « lourde », très dense, parce qu'à la fois très froide et très salée. Naturellement, elle coule jusqu’au fond à travers les masses d’eau sous-jacentes et se s’écoulent dans les profondeurs marines, jusque dans l’Atlantique sud (en provenance de l'Arctique) et bien au-delà dans l’océan Indien et Pacifique. Mais cette eau, qui a quitté l’Altantique nord, doit évidemment être remplacée… et elle l’est par une eau chaude de surface, en provenance des régions tropicales. 

L’eau chaude remonte alors vers le nord. La rotation de la terre entraînent les courants dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord et dans le sens inverse dans l’hémisphère sud.

Aujourd’hui, l’englacement des régions arctiques comme antarctiques est bien moindre qu’il y a une trentaine d’années (la moyenne de la surface couverte par les banquises au cours des 10 dernières années est bien inférieure à la moyenne des trente années qui ont précédé). Donc moins d’englacement, moins d’eau dense qui coule vers le fond de l’océan, moins d’eau à remplacer… et donc une baisse de régime du moteur. Donc une modification de l’importance des courants (tant dans leur intensité que dans leur quantité). Oui, nous avons raison de nous inquiéter puisque l’englacement est bien moindre aujourd’hui et le phénomène ne semble pas vouloir s’arrêter. Le risque est de voir les grands courants marins se modifier profondément, ce qui va avoir des conséquences majeures sur l’ensemble du climat de la planète. Le Gulf Stream qui réchauffe nos régions pourrait voir son cours et son intensité profondément modifiés à long terme. C’est vrai également pour les courants d’eau froide. 

Nous en modifions la répartition.

Certains scientifiques soulignent aussi que la façon dont nous mesurons la bonne santé de la circulation méridienne de retournement de l'Atlantique n’est pas parfaite : se baser sur les seules températures de surface de l’eau de mer pourrait ne pas être suffisant. Qu’en est-il ?

Ils ont tout à fait raison. La mesure de la température de l’eau en surface n’est, de fait, pas suffisante pour mesurer la bonne santé de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique. Pour autant, cela reste un indicateur très important et, surtout, ce n’est pas le seul que nous utilisons. On note, déjà aujourd’hui, le réchauffement de l’eau profonde (particulièrement en mer Méditerranée). Oui, i ne faut pas s’arrêter aux seuls phénomènes de crise, comme la canicule récemment observée dans l’Atlantique nord (on peut d’ailleurs parler de phénomène paroxystique. C’est loin d’être le seul événement et il résulte d’un contexte global qui a favorisé son installation. L’ensemble des conditions nécessaires à l’émergence d’une telle situation est rassemblé. C’est un signe extérieur de modification profonde. Les indicateurs sont au rouge de tous les côtés. La présomption de dérèglement ne souffre aucun doute ; quand bien même il y aura toujours des difficultés de mesure et de précision, compte tenu de la formidable complexité des phénomènes. 

Il est vrai que toutes les études ne disent pas exactement la même chose : certaines sont plus prudentes que d’autres… et les scientifiques ont raison de faire preuve de prudence.  On ne peut pas, du fait de cette même complexité, savoir exactement ce qu’il va se passer. Pour autant, il n’y a aucun doute sur le fait qu’il y a bel et bien un changement et que l’inertie et l’ampleur des phénomènes mis en branle vont s’amplifier et ne sont prêt de s’arrêter.

D'autres, parmi ceux chargés de l’observation de la circulation méridienne de retournement de l'Atlantique via le programme RAPID, disent ne pas avoir de preuve d’un déclin durable. Comment expliquer l’absence de consensus aujourd’hui ?

Là encore, les scientifiques du programme RAPID ont raison : il n’y a pas de preuve, en l’état, d’un déclin sur la durée de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique. Il n’y a pas encore de preuve et il n’y en aura certainement pas avant que cela se soit produit ! Ce dont nous disposons, c’est de l’accumulation de signes avant-coureurs, de petits événements qui en disent long. Dès lors, il est vrai d’affirmer que l’on ne peut pas dire avec certitude qu’il va y avoir une modification majeure de cette circulation océanique.

Cependant, j’ai l’impression que la réserve scientifique nous pousse comme il n’y a quarante ans quand nous parlions alors de réchauffement climatique à ne pas réagir. A l’époque, certains scientifiques, très sérieux, se sont refusés à alarmer par rigueur scientifique. Les conséquences possibles étaient considérées comme excessives, fautes de preuves. Il faut réagir ! Et quoi qu’on en pense, il est inadmissible, suicidaire, de gaspiller toujours plus de combustibles fossiles et d’augmenter ainsi l’effet de serre. Il est urgent de moins consommer, notre dette écologique est abyssale. Il ne faut pourtant pas perdre de vue le faisceau d’indices dont nous disposons. Il faut le prendre très au sérieux ; sans se défaire de toute rigueur scientifique.

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