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Dérèglement climatique et interdiction d’insecticides : la France de plus en plus envahie par les moustiques (et tous ne sont pas inoffensifs)
©Reuters

Atlantico Green

Les inondations et la forte pluviométrie dans le nord de la France au cours du printemps ont favorisé le développement des moustiques. En raison de l'accentuation des dérèglements climatiques, la France sera probablement confrontée à une prolifération de plus en plus importante de moustiques dans les années à venir. Dans un contexte où de nombreux insecticides sont interdits, il est urgent que de nouveaux moyens de lutte soient mis au point.

Charles  Jeannin

Charles Jeannin

Charles Jeannin est entomologiste médical à l'EID Méditerranée. 

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Stéphane  Robert

Stéphane Robert

Stéphane Robert est le président de Vigilance-moustiques.com 

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Atlantico : Comment se fait-il qu'il y ait une prolifération aussi forte de moustiques ces dernières années en France ? Les fortes précipitations (crues, inondations etc…) qu'a connues la France ces derniers mois ont-elles jouées un rôle significatif ?

Stéphane Robert : Premièrement, l’hiver a été doux et beaucoup d’œufs et de larves ont survécu, n’attendant que les nouvelles précipitations pour être "remises en eau" et reprendre leur cycle d’évolution. 

Deuxièmement, les précipitations ont entrainé la crue de plusieurs fleuves et rivières, lesquelles ont pu inonder des zones humides où se trouvaient ces œufs et des larves qui avaient survécu à l’hiver. La décrue qui s’en est suivi a laissé de nombreuses eaux stagnantes qui ont permis (en stagnant suffisamment longtemps avant de s’assécher) aux œufs et larves de reprendre leur cycle, et aux moustiques femelles de pondre de nouveaux œufs en de nombreux endroits.

Troisièmement, un phénomène analogue avait été constaté en 2013 dans le quart nord -est de la France, mais il avait atteint moins de départements que cette année. 

Charles Jeannin : Les inondations et la forte pluviométrie ont indéniablement joué un rôle puisque le moustique avant de voler dans les airs est une larve aquatique. Tous les moustiques ont besoin d'eau pour quitter leur stade aquatique.

La prolifération des moustiques dépend beaucoup des conditions climatiques. Les inondations sont arrivées au bon moment pour les moustiques, c’est-à-dire à la fin du printemps quand la plupart des espèces de moustique sortent de leur état de dormance et attendent les beaux jours pour se redévelopper. Ensuite, a eu lieu une hausse des températures ce qui d'une part, a accéléré le développement des larves (les moustiques sont des invertébrés à sang froid très influencés par la température extérieure), et d'autre part, a augmenté l'activité et l'agressivité des femelles adultes (elles cherchent plus à piquer et à pondre). L'année dernière, la pluviométrie était moindre et nous n'avons pas assisté à une telle prolifération.

Quant aux moustiques tigres, la problématique est complètement différente. C'est un moustique qui n'est quasiment pas présent dans le nord de la France. Il est surtout présent dans le sud. Ce moustique se développe exclusivement en milieu urbain. Il est passé de la forêt tropicale où il pondait dans des végétaux (des bambous coupés, des noix de coco, des feuilles qui tombent au sol), aux villes et villages d'Asie où il a trouvé plein d'objets que l'homme laisse chez lui (des pneus, des récipients d'eau de pluie etc.) dans lesquels il a pondu. Il a pondu dans des pneus qui sont ensuite partis en Italie (dans le cadre du commerce de pneus rechapés), et il a donc été introduit en Europe dans les années 1990. Il est arrivé en 2004 à Menton. Aujourd'hui, il est présent dans 30 départements en France. La plupart de nos moustiques pondent sur l'eau. Ce n'est pas le cas du moustique tigre : il colle ses œufs sur le bord d'un récipient et il attend que l'eau monte. Ainsi, les moustiques tigres peuvent pondre dans un récipient à Marseille et si ce récipient est déplacé à Paris, et à nouveau rempli d'eau, il y aura une éclosion de centaines de larves. 

Source : moustiquetigre.org 

Alors que dans le cadre du projet de loi biodiversité, l'interdiction de certains insecticides a été votée par le Parlement, quel pourrait être l'impact du renoncement à ces produits sur la lutte contre la prolifération de moustiques ?

Stéphane Robert :Les moustiques ont une capacité d'évolution qui fait qu'ils résistent de mieux en mieux aux insecticides qu'on leur oppose (tout comme les bactéries face aux antibiotiques). Aujourd'hui, 2 produits seulement sont autorisés : le larvicide BTI et la deltaméthrine pour les adultes, ce qui fait que les moustiques s’habituent beaucoup plus facilement qu’à l’époque où il en existait 11…

Par ailleurs, ces insecticides sont jugés notoirement insuffisants par les organismes chargés de la démoustication en Camargue.

La région de la Camargue constate depuis les années 2010 que leurs armes ne sont plus assez efficaces et que malgré leurs campagnes de démoustication, il existe des nuisances résiduelles dues aux moustiques : du fait de nuisances "résiduelle", en 2015, de nombreux vacanciers ont abandonné leur location avant terme…, tellement il y avait de moustiques, parmi lesquels le moustique tigre, très implantés dans ces régions du sud. Le premier impact est donc économique, le tourisme étant un secteur essentiel dans certains départements…

Le deuxième risque est d’ordre sanitaire car certaines espèces de moustiques sont vecteurs potentiels de maladie : le moustique tigre bien sûr (dengue, chikungunya, zika) mais aussi l’anopheles (présent partout en France, vecteur potentiel du paludisme,) ou le Culex Pipiens (présent partout en France et vecteur potentiel du West Nile Virus). La France a su bien se défendre contre ces dernières maladies grâce à un système de veille sanitaire et de lutte anti-vectorielle efficace, mais on se souvient que la Camargue jusqu’aux années 1950 était une région où les épidémies de paludisme étaient habituelles. Or, certains pays comme la Grèce ou l’Espagne ont connu récemment des retours d’épisodes de malaria. Une baisse de la garde contre ces moustiques pourrait conduire à un retour en arrière.

Nous n’en sommes pas là, mais il faut s’y prendre longtemps à l’avance pour relancer la recherche de nouvelles solutions et sortir de cette voie de plus en plus étroite qui semble mener à une impasse.

Qu'est-ce qui a globalement changé dans la façon dont on traite la prolifération de moustiques à l'heure actuelle ?

Stéphane Robert : Pas grand-chose concernant les espèces de moustiques communes. Ces proliférations étaient jusqu’à présent des phénomènes exceptionnels (sauf dans des secteurs structurellement marécageux) et aucune collectivité territoriale n’est spécifiquement responsable dans ce type de cas. En revanche, les zones structurellement marécageuses s’organisent spécifiquement dans la lutte anti-moustique, en créant en général un établissement public chargé de la veille et de la démoustication. Il s’agit souvent d’EID (Entente Interdépartementale de démoustication) car les moustiques ne s’arrêtent pas aux frontières départementales et les problèmes qu’ils génèrent concernent souvent plusieurs départements. Il existe l’EID Med, l’EID Atlantique, l’EID Rhône Alpes et une EID Ile de France est en cours de préparation.

En revanche, la prolifération du moustique tigre fait l’objet d’un plan "anti-dissémination" spécial mis en œuvre par l’État car ce moustique est vecteur potentiel de virus (dengue chikungunya zika) et il est donc considéré comme dangereux pour le public.

Charles Jeannin : Depuis les années 1960, en Languedoc Roussillon, on fait de la démoustication contre la nuisance, tout simplement pour que les gens ne soient pas embêtés par les moustiques. En effet, à cette époque la région a connu un fort développement touristique avec la création de stations balnéaires (La Grande Motte etc.). Ainsi, pour que les touristes viennent et pour la population locale qui vivait près du littoral, il fallait agir contre les moustiques. Cela n'a pas changé depuis 50 ans. Il y a une centaine d'agences sur le terrain, de Marseille à Perpignan, qui surveillent lorsqu'il pleut ou qu'il y a des inondations (débordement du Rhône, irrigation volontaire), et cherchent des larves dans l'eau. Lorsqu'il y a une grosse éclosion, ils font un traitement anti-larvaire soit terrestre soit aérien. Les larves sont donc tuées avant même qu'elles ne sortent de l'eau.

En revanche, depuis l'arrivée du moustique tigre, nous faisons face à une autre problématique. Comme il ne pond pas dans les marées et dans les milieux naturels mais qu'il se développe en milieu urbain (dans les jardins des particuliers), on ne peut pas appliquer cette méthode de lutte. La lutte ne peut donc pas être chimique mais communautaire : on emploi du service civique qui fait du porte à porte et il est expliqué aux gens qu'il faut supprimer les eaux stagnantes. On leur explique également que s'ils se font piquer, c'est que des larves se trouvent à moins de 100 mètres de leur habitation.

Quelles sont les solutions envisagées aujourd'hui pour lutter contre cette prolifération ? Quelles sont, selon vous, celles qui vous semblent les plus viables ?

Stéphane Robert : Premièrement, une mobilisation des collectivités territoriales (commune ou département). D’une manière générale, le moustique tigre va coloniser progressivement toute la France et les départements (à l’initiative des préfectures) devront prendre en compte ce phénomène qui leur donne de nouvelles responsabilités, comme c’est déjà le cas dans tous les départements en vigilance rouge contre cette espèce de moustique. Mais si le phénomène de prolifération inhabituelle (de tous les moustiques en général) constaté 2 fois ces 3 dernières années devient de plus en plus récurrent du fait des dérèglements climatiques, ces collectivités territoriales vont devoir endosser un autre type de responsabilité, notamment à cause de ces espèces de moustiques dites "vulnérantes" dont les piqures sont plus douloureuses et entrainent des réactions cutanées plus significatives (gonflements, rougeurs…). Nous avons remarqué de nombreux signalements de ce type évoqués dans les régions qui ont connu ces phénomènes d’inondation. 

Deuxièmement, la lutte à grande échelle contre les proliférations inhabituelles passe par le traitement via des larvicides, avant le démarrage de la saison. Une fois que le moustique est adulte, il est très difficile d’obtenir des résultats significatifs, en particulier sur des zones aussi vastes. L’utilisation des insecticides pose un autre problème, c’est que les moustiques ont une grande capacité d’évolution et résistent de mieux en mieux aux insecticides. Ce problème est rendu plus pointu par le fait que les différentes règlementations européennes et environnementales ont interdit de nombreux insecticides qui représentaient un danger pour la faune et la flore, et il ne reste qu’un seul insecticide "licite", ce qui fait que le moustique s’y habitue de mieux en mieux. De nombreux élus du sud ont demandé à desserrer l’étau pour rouvrir la possibilité d’utiliser d’autres insecticides ou bien inciter les laboratoires à en trouver de nouveaux. 

Charles Jeannin : Outre la destruction des larves, on peut détruire les moustiques adultes. Mais le produit utilisé contre les larves a un impact moindre sur l'environnement (il ne tue que des larves de moustique), alors que les produits utilisés pour tuer les moustiques dans l'air ne sont pas sélectifs. Il n'y a aucun insecticide qui ne tue que les moustiques. Deuxièmement, à l'instar des antibiotiques chez l'homme, on peut créer des phénomènes de résistance : à force de soumettre une population de moustiques à un insecticide donné, on va sélectionner ceux qui résistent. Ceux qui résistent vont survivre, se reproduire entre eux et il n'y aura plus que des résistants. La lutte adulticide concerne exclusivement le moustique tigre. Quand l'ARS nous signale des cas de dengue, de chikungunya ou de zika, on s'autorise l'utilisation de ces produits.

En résumé, soit la lutte est insecticide (larvicide, on tue les larves ou adulticide, mais avec parcimonie). Soit la lutte est communautaire : contre le moustique tigre, l'essentiel de la lutte passe par de l'éducation. 

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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