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Ces scientifiques qui voudraient construire un bouclier magnétique pour protéger la Terre des éruptions solaires
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Protection

Deux éruptions solaires de forte intensité ont été enregistrées par la NASA début septembre.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : Deux éruptions solaires de forte intensité ont été enregistrées par la NASA début septembre. La seconde est la plus puissante du cycle d'activité du soleil entamé en décembre 2008. Dans le cas où une éruption majeure venait à se produire, selon un scénario "catastrophe", quelles en seraient les conséquences pour nous, aussi bien en termes humains que matériels ?

Olivier Sanguy : Mercredi 6 septembre, une des deux éruptions solaires a atteint la classe X9,3. Ce qui n’était pas arrivé depuis 12 ans. La deuxième était d’intensité X2,3. Pour comprendre cette échelle, sachez qu’elle se compose d’une lettre : A, B, C, M et X en fonction de l’intensité de l’éruption et qu’on multiplie par 10 à chaque changement de lettre ! Ainsi, une éruption de classe X est 10 fois plus forte que la classe M, elle-même 10 fois plus forte qu’une C et ainsi de suite. Ensuite, un chiffre suit et sert à faire une sous-classification. Une éruption solaire B2 est 2 fois plus forte qu’une B1. X caractérise donc les plus fortes éruptions et dans cette classe le chiffre n’a pas de limite. X9,3 est certes un événement très important, mais le record dûment mesuré date de 2003 avec une X28+ que certains ont estimé plus tard à X45. Les télécommunications par satellites ont été perturbées, la Suède a connu une panne électrique d’une heure et il a été déconseillé aux avions de suivre des routes aériennes à haute altitude près des régions polaires en raison des radiations supplémentaires induites. Des conséquences limitées, auxquelles s’ajoutent de superbes aurores polaires, ces esthétiques draperies lumineuses qui sont la partie visible de l’interaction des particules chargées du Soleil avec notre atmosphère. Ces particules sont canalisées vers les pôles où il y a une sorte d’entonnoir du champ magnétique terrestre. Mais attention, les conséquences  furent limitées dans le cas du X28+ de 2003 car cette éruption n’était pas dirigée vers la Terre. Le Soleil émet en effet des éruptions sur toute sa surface et ces éruptions ne se produisent pas toutes forcément du côté tourné vers notre planète. Si les rayonnements radios ou X arrivent à la vitesse de la lumière, donc en 8 minutes, les particules chargées des éjections de masse coronales, qui résultent des plus fortes éruptions, elles, mettent de 1 à 5 jours. Ce sont elles qui peuvent causer de forts dégâts. Il faut que cette éjection se fasse de façon à ce que la bulle de plasma en cause finisse par intercepter la Terre sur son trajet. Dans le cas d’un scénario catastrophe, si une éjection de masse coronale de forte puissance nous atteint, c’est toute notre infrastructure électrique et électronique qui risque d’être dépassée. Les électroniques des satellites peuvent tomber en panne et pour certains de façon définitive. Les communications radio, y compris au sol avec des téléphones portables, pourraient être fortement perturbées ou coupées. Le positionnement par satellite, le GPS, déréglé. Ceci, uniquement en cas d’éjection de masse coronale de très forte intensité et qui se propagerait selon une trajectoire de collision avec la Terre.

Concernant les dégâts matériels, quelles seraient les conséquences indirectes des destructions envisagées, en termes de réseaux de communication, satellites, etc...?

En première ligne, les satellites pourraient voir leur électronique endommagée au point d’être définitivement inopérante. Tout dépendra du nombre de satellites touchés. Le GPS américain repose sur une trentaine de satellites et il en faut un peu plus d’une vingtaine pour un bon service de géolocalisation. On peut donc perdre un peu moins d’une dizaine de satellites. Selon la magnitude de l’éruption solaire, cette marge de manœuvre pourrait se révéler insuffisante, surtout que renvoyer des satellites en remplacement ne se fait pas en un claquement de doigts ! L’infrastructure spatiale de télécommunications serait aussi touchée et perdre des satellites d’observation de la Terre nous priverait de données essentielles pour la météo ou l’environnement. Au sol, la conséquence qui inquiète le plus est celle de la surcharge des réseaux électriques. Un très forte tempête solaire va déclencher ce qu’on appelle des courants induits géomagnétiquement qui peuvent perturber les grands réseaux de distribution de courant. Le point faible le plus souvent mis en avant est le transformateur qui réagira très mal à cet influx de courant continu. On craint ainsi des défaillances en cascade sur les réseaux, à l’image de la panne de 1989 au Québec qui priva d’électricité 6 millions de personnes pendant 9 heures. Les études divergent sur la gravité des dégâts. Les plus pessimistes, se basant sur une éruption maximale qui parvient à la Terre et donc comparable à celle de 1859 qui paralysa les réseaux de télégraphes, annoncent jusqu’à 40 millions de personnes privées d’électricité aux États-Unis pour une période de 16 jours… à 2 ans ! Attention, il s’agit là de l’hypothèse la plus sombre qui envisage une défaillance en cascade des systèmes de protection à laquelle s’ajoute l’incapacité de la production actuelle des équipements à fournir suffisamment de matériel pour rapidement remplacer ce qui a été détruit. C’est ce qui explique les 2 ans. On peut toutefois raisonnablement penser que dans une telle situation, un plan d’urgence serait mis en place afin d’accélérer la production des équipements nécessaires.

Quelles seraient les conséquences directes pour l'Homme et l'environnement sur le long terme?

L’environnement naturel ne souffrirait pas de façon notable d’une telle éruption. En revanche, notre environnement technique qui repose sur l’électricité et les technologies de l’information serait durement touché. Les assureurs et les réassureurs se sont penchés sur les conséquences en cascade. Une panne d’électricité très large et sur de longues périodes causera des soucis sanitaires avec l’arrêt de la réfrigération. Les stocks de nourriture dans les magasins seront rapidement impropres à la consommation et une pénurie peut poindre. Certaines industries souffriront du manque d’énergie. Les assureurs estiment par exemple qu’une fonderie d’aluminium connaît des dommages irréparables au bout de 4 à 5 heures sans électricité. Les hôpitaux disposent de générateurs de secours, mais dans le cas du scénario catastrophe avec de larges coupures sur plusieurs semaines ou plus, que se passera-t-il ? N’oublions pas notre dépendance à l’électricité. Plus d’énergie, c’est l’arrêt de l’approvisionnement en eau potable pour les zones qui dépendent d’usines de désalinisation ou de pompes pour acheminer l’eau. Les plus alarmistes envisagent même un effacement de nombreuses données informatiques… À long terme, il y a un risque d’atteinte sérieux et durable à la vie moderne telle que nous la connaissons. Bien évidemment, des mesures d’urgence seront prises pour rétablir les réseaux électriques. Mais tout dépendra du temps qu’il faudra pour retrouver une infrastructure technologique pleinement opérationnelle. Ceci dit, je souligne qu’il s’agit du scénario du pire.

Dans le cas où une éruption majeure venait à toucher la Terre, rien ne laisse penser que nos réseaux technologiques et électriques puissent le supporter. En quoi cette vulnérabilité pourrait-elle représenter une menace très forte sur l'économie? En quoi cette vulnérabilité n'est pas suffisamment prise en compte par les gouvernements? Pourquoi, lorsque le risque est trop important, nous ne faisons rien pour nous préparer?

Sur le plan économique, les études des assureurs dont j’ai déjà parlé envisagent des milliers de milliards de dollars de dommages. Il y a le coût de la reconstruction du réseau électrique, des infrastructures satellitaires et des équipements électroniques. Mais à cela s’ajoute une baisse notable de l’activité économique. Dans les pays industrialisés, un consommateur qui n’a pas d’électricité sur une longue période sera en mode de survie et il ne consommera donc plus ce qui fait tourner une grande partie de la machine économique : plus d’achat par Internet, pas de loisirs car il aura autre chose à penser, sans oublier ceux qui perdront leur emploi si leur usine ferme ses portes. Pourquoi ne faisons-nous rien ? Tout d’abord, il y a le problème de la prévention. Par essence, une bonne prévention peut apparaître comme une dépense inutile puisqu’elle va permettre d’éviter la catastrophe. En revanche, quand on dépense pour redresser une situation dramatique, on voit beaucoup plus l’utilité des budgets ! C’est un réel problème de société, surtout dans une époque où semble s’imposer la logique de rentabilité à court terme. Maintenant, on ne fait pas non plus rien. Ce qu’on appelle la «météo spatiale» est un domaine de la science en plein essor. En étudiant notre étoile, notamment grâce à des satellites spécifiques, on surveille son activité et on met en place un réel système d’alerte. On a aujourd’hui la capacité de voir venir une tempête solaire susceptible de causer des dégâts importants. Du coup, des mesures concrètes visant à amoindrir les conséquences pourront être mises en action. Mais attention, on ne disposera que de 1 à 5 journées pour se préparer ! Ce qui suppose qu'un plan d’action soit déjà en place. Sous la présidence de Barack Obama, la Maison-Blanche avait lancé une initiative pour coordonner l’action de plusieurs agences fédérales en vue de mettre sur pied une sorte de plan OSEC à l’américaine pour faire face à un événement solaire potentiellement néfaste. Il est clair qu’il faut continuer dans ce sens. Il faut être conscient qu’on ne peut pas empêcher une éruption solaire potentiellement catastrophique pour nous de se produire, mais on peut en revanche prendre des mesures qui en amoindriront notablement les effets à court et long terme. Tout est question de volonté politique et d’y consacrer les budgets nécessaires.

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