Zéro Covid à Shanghai : la goutte de privation de libertés de trop ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des ouvriers marquent un périmètre autour d'un quartier sous confinement à cause de la pandémie de Covid-19 dans le quartier de Jing'an à Shanghai, le 4 mai 2022.
Des ouvriers marquent un périmètre autour d'un quartier sous confinement à cause de la pandémie de Covid-19 dans le quartier de Jing'an à Shanghai, le 4 mai 2022.
©Hector RETAMAL / AFP

Gestion de la crise sanitaire

La Chine poursuit sa politique "zéro Covid". Cette politique sanitaire radicale est jugée excessive par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Il y a moins d’un an, en juillet 2021, le Secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et président de la République populaire de Chine Xi Jinping avait toutes les raisons d’être heureux : non seulement c’est à lui qu’est revenu l’honneur de célébrer le 100ème anniversaire du PCC, mais surtout, c’est lui et aucun autre de ses prédécesseurs depuis Deng Xiaoping qui a réussi à impulser et incarner la troisième ère du glorieux socialisme chinois. Un socialisme « moderne », inspiré de Mao et de Deng malgré leurs contradictions et leurs parts sombres respectives, et sublimé dans une nouvelle doctrine socialiste unifiée appelée… « pensée de Xi Jinping ».

Côté part sombre, on pourrait évoquer le massacre de la place Tiananmen ordonné par Deng en juin 1989. Mais ce n’est pas ce point qui chiffonne le plus le nouvel homme fort de Pékin. Deng avait eu aussi l’idée saugrenue de limiter le mandat des présidents chinois à deux quinquennats. Un véritable affront infligé à Mao, président à vie, que Xi Jinping s’est empressé de laver en faisant voter en 2018 une modification de la Constitution lui permettant de rester au pouvoir au-delà de ses deux quinquennats présidentiels 2013-2018 et 2018-2023. 

C’est justement en novembre prochain, lors du XXè congrès du PCC, que tout va se jouer, à commencer par son maintien à la tête du parti. Or voilà que la pandémie de Covid est venue introduire quelques grains de sable gênants dans des rouages qu’il avait pourtant pris grand soin de bien huiler.

Oh, je ne me fais guère de souci pour la carrière de Xi Jinping. Il saura s’imposer, exactement comme il a su imposer la méthode policière chinoise à Hong Kong grâce à la loi de sécurité nationale adoptée à l’unanimité par le Parlement chinois puis promulguée dans la foulée par ses soins le 30 juin 2020, en rupture totale avec l’accord de maintien de l’État de droit britannique pendant 50 ans après la restitution du territoire à la Chine en 1997.

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Les chefs d’accusation listés dans la loi, punis principalement par des peines de prison à perpétuité sans appel – le « séparatisme », le « terrorisme », la « subversion » et la « collusion avec des forces extérieures et étrangères » – sont tellement vagues et les arrestations si nombreuses que les craintes de l’opposition hongkongaise pro-démocratie et de bon nombre de juristes de les voir appliqués à seule fin de museler toute dissidence anti-Pékin dans l’ancienne colonie britannique s’avèrent totalement justifiées. 

Des policiers avertissent les habitants de Hong Kong des peines encourues s’ils ne se conforment pas à la loi de sécurité nationale. Mars 2021.

Dernièrement, le 11 mai 2022, c’est le cardinal catholique Joseph Zen, 90 ans, qui a été arrêté, puis libéré sous caution en attente de son procès prévu le 26 mai. Son crime : avoir collecté des fonds pour financer la défense de militants pro-démocratie de Hong Kong, activité requalifiée par les autorités en « collusion avec des forces étrangères » – occidentales, autrement dit états-uniennes, cela va de soi. Pour faire bonne mesure, quelques jours auparavant, Pékin a choisi John Lee, policier anciennement patron de la sécurité de Hong Kong qui fut fort actif dans l’application consciencieuse de la nouvelle loi, pour prendre la tête de l’exécutif de la ville.

Mais ce n’est pas cela qui pourrait perturber la confiance des Chinois du continent – du moins de l’écrasante majorité d’entre eux – à l’égard de leurs dirigeants. La modernisation de la Chine a eu lieu, entrainant une hausse notable du niveau de vie depuis les réformes économiques de Deng. Mais il n’a jamais été question qu’elle s’étende aux droits politiques et aux libertés individuelles comme l’a fort éloquemment prouvé Tiananmen, et comme le confirme de façon plus douce mais néanmoins inéluctable le contrôle social de tous les instants qui prévaut en Chine à la faveur des possibilités offertes par la technologie du big data.

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En revanche, la légitimité du pouvoir central pourrait en prendre un coup si les besoins de base de la population n’étaient plus assurés. Or le confinement total type « Zéro Covid » mis en œuvre à Shanghai depuis le début du mois d’avril face à la contagiosité du variant omicron est en train d’envenimer sévèrement les relations entre les populations confinées et les autorités.

Manque catastrophique de nourriture, quartiers fermés, mises à l’isolement, quarantaines autoritaires qui séparent les familles, confinement des travailleurs dans leur usine, surveillance de la population avec drones et robots, un patient bien vivant d’une maison de retraite mis par erreur dans un sac mortuaire – les habitants de la ville la plus vaste et la plus moderne de Chine commencent à douter de la capacité des autorités à juguler la crise et le font savoir (par des concerts de casseroles à leurs fenêtres, publiés sur les réseaux sociaux et immédiatement censurés).

Du reste, d’après la banque japonaise Nomura, ce ne sont pas seulement les 25 millions d’habitants de Shanghai qui étaient confinés partiellement ou totalement en date du 10 mai, mais 290 millions de personnes réparties dans 41 villes et représentant potentiellement 30 % de l’activité économique du pays. Sans surprise, cette dernière s’en ressent lourdement. En avril 2022, la production industrielle chinoise a chuté pour la première fois depuis la fin du lockdown de Wuhan en mars 2020 (de 2,9 %), tandis que les ventes de détail se sont repliées de 11,1 % après une première alerte à -3,5 % en mars (chiffres en glissement annuel).

Mais pas de quoi pousser Xi à altérer sa lutte contre le Coronavirus, apparemment. Le 5 mai dernier, lors d’une réunion du Comité permanent du bureau politique du PCC qu’il préside, il a redit avec force que rien ne devait contrecarrer les efforts entrepris pour éliminer tous les cas de Covid :

« Nous avons gagné la bataille pour défendre Wuhan, nous serons certainement en mesure de gagner la bataille pour défendre Shanghai ».

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Une bataille qui passe aussi par une « lutte sans merci contre toutes les tentatives de déformation, de mise en doute et de rejet des politiques chinoises contre le Covid » est-il précisé dans le compte-rendu officiel de la réunion. Autrement dit, le contrôle du Coronavirus selon Xi Jinping et le PCC ne saurait exister sans l’assistance d’un étroit contrôle de l’information et des opinions. Pas question de laisser dire que les autorités sont dépassées par leurs propres décisions.

Et c’est là que le sort des Chinois rejoint celui des habitants de Hong Kong. Ces derniers, paraphrasant une célèbre phrase apocryphe de Churchill, pourraient facilement dire à leurs congénères de la République populaire : vous avez voulu la sécurité économique au prix de vos libertés individuelles et finalement vous n’avez ni libertés ni sécurité économique. La fin des confinements suffira-t-elle à rétablir la confiance des Chinois ? On verra.

Mais il y a clairement matière à leçon politique dans l’expérience épouvantable qu’ils sont en train de vivre. Une leçon qui vaut aussi pour nous :

La liberté ne se découpe pas en morceaux. Il n’y pas la prospérité économique garantie par un autocrate présumé un peu vite omniscient d’un côté ; et tout le reste, la liberté d’expression, d’opinion, d’information – ces folles lubies d’occidentaux décadents – de l’autre. Car il n’y aura jamais de réel bien-être économique et social s’il n’est pas possible de faire savoir à l’autocrate qu’il se trompe quand il se trompe. Or les autocrates, craints et isolés dans leur bunker, se trompent toujours.

Cet article a été initialement publié sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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