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Yémen : l'opposition ne veut pas renoncer au souffle de son "printemps arabe"
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Démarrée en janvier avec les autres mouvements du printemps arabe, la contestation au Yémen ne semble toujours pas s'essouffler. Même si les monarchies du Golfe sont venues à la rescousse, les tensions à l'intérieur du pays restent vives et personne n'oserait prédire un épilogue.

Michel  Tuchscherer

Michel Tuchscherer

Michel Tuchscherer est professeur à l'Université de Provence, historien du Moyen-Orient aux époques moderne et contemporaine, actuellement directeur du CEFAS (Centre français d'archéologie et de sciences sociales de Sanaa)

 

 

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Atlantico : Peut-on comparer le mouvement contestataire yéménite à ceux des autres pays du printemps arabe ?

Michel Tuchscherer : Au Yémen, on assiste à un mouvement contestataire semblable, en beaucoup de points, à ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte. Il s’est développé à partir du mois de février dernier en écho à ce qui se passait dans ces deux pays. Il concernait essentiellement des jeunes, des étudiants, mais aussi des acteurs de la société civile, membres des partis politiques d’opposition et d’associations pour la défense des droits de l'homme.

Cela a démarré d’abord à Sanaa puis, assez rapidement, la révolte s’est propagé dans d’autres villes universitaires. C’est un mouvement où les étudiants et les professeurs d’université ont joué un rôle essentiel. Il a démarré dans les milieux universitaires, a pris de l’ampleur, et s’est développé dans d’autres villes où il n’y a pas d’universités.

A côté de cela, il existe au Yémen un régime qui est en place depuis une trentaine d’années. Le président Ali Abdullah Saleh tient le pays d’une main de fer depuis cette date-là. Il y a eu au Yémen comme ailleurs une évolution d’un régime autocratique s’appuyant essentiellement sur l’armée mais aussi sur un parti « attrape-tout ». Ce régime est usé par le temps, il fait face à une contestation sur la base de sa légitimité.

Comment s’organise l’opposition au Yémen ? Quelles sont ses principales revendications ?

Il y a au Yémen des partis d’opposition beaucoup plus importants que ceux de Tunis au moment du développement de la contestation. Cette dizaine de partis d’opposition est regroupée en un « forum commun » depuis plusieurs années. Le parti majoritaire à l’intérieur de ce forum est le Parti de la réforme, de tendance islamiste modérée dans lequel les Frères musulmans jouent un rôle très important. Il y a également un parti socialiste, baasiste et bien d’autres franges politiques yéménites.

Ce forum remet en question depuis un certain nombre d’années la légitimité du pouvoir. Ces derniers temps, s’est posée la question de la réélection de la présidence de la République. Le président actuel a un mandat qui vient à terme en 2013. Les soutiens du régime souhaitent qu’il aille au terme de son mandat, l’opposition ne l’entend pas de cette oreille, surtout que le président a laissé croire qu’il pourrait se représenter. Cette intention a suscité à la fois l’opposition des partis regroupés dans le forum commun, mais aussi, au sein du propre camp présidentiel, l’opposition d’un personnage qui joue un rôle très important aujourd’hui, Mohsen Ali al Ahmar, un des chefs de l’armée qui a fait dissidence en mars dernier. Ce dernier craignait que le président Saleh ne veuille installer à la tête du pays son fils. Il ne voulait pas d’une dynastie comme il en existe en Syrie et qui était programmée en Egypte et en Libye.

En février dernier, il y a eu d’une part une mobilisation des partis d’opposition à cause de cette échéance électorale de 2013 et d’autre part le déclenchement de ce mouvement contestataire avec comme revendication le départ immédiat du président Saleh.

Qu’est-ce que l’initiative du Golfe ? En quoi ces pays se sentent-ils concernés ?

Cette initiative a été prise fin mars par les monarchies du Golfe. Le régime yéménite était face à une contestation extrêmement forte. Les contestataires avaient l’appui des partis du forum commun, avec notamment le Parti de la réforme, et d’une partie de l’armée. Courant mars, ils obtiennent le soutien d’un certain nombre de tribus. Le mouvement prenait une ampleur considérable, il commençait à se propager au Bahreïn et dans le Sultanat d’Oman. Cela a provoqué une forte inquiétude dans la péninsule arabique. Les voisins du Yémen, des monarchies conservatrices, craignaient la propagation de ces contestations à leurs pays.

Ils ont pris d’abord l’initiative de négocier avec le régime et les forces d’opposition, mais pas avec les mouvements contestataires. Pour calmer le pays, il fallait trouver une issu à la question de succession du pouvoir. Le Président devait présenter sa démission et dans un délai de soixante jours, devait avoir lieu une nouvelle élection présidentielle. C’était le plan initial qui n’a jamais pu rallier l’ensemble des protagonistes. Au sein du régime, qui s’appuie sur le Congrès général du peuple (CPG), il y a un courant jusqu’au-boutiste qui ne souhaite rien changer, qui n’est pas prêt à lâcher quoi que ce soit. Il est fort probable que cela soit ce noyau dur qui ait empêché le président de signer la première initiative du Golfe.

Depuis, il y a eu de nombreuses initiatives pour essayer d’aménager ce plan. La dernière en date est le transfert des pouvoirs du Président à son vice-président (le Président Saleh n’est plus au Yémen, il a été victime d’un attentat le 3 juin dernier. Il n’est plus en mesure d’exercer son autorité). Le Président a donc délégué il y a quelques jours son autorité au vice-président. Le vice-président peut désormais négocier avec les partis d’opposition pour la mise en place de cette initiative du Golfe. Mais on en est toujours au point mort, il n’y a aucun accord en perspective.

Le Yémen est le pays le plus pauvre du monde arabe. Doit-on craindre une catastrophe humanitaire si la situation perdure ?

Les conditions économiques se sont considérablement dégradées. Les conditions de vie matérielle au quotidien sont extrêmement dures pour une bonne partie de la population. Il y avait déjà un taux de chômage important et encore beaucoup de gens ont perdu leur principale source de revenu à cause des évènements de ces derniers mois. Les gens ont des difficultés pour se procurer du gaz, tout le monde au Yémen cuisinant au gaz, c’est un gros problème. Même chose pour les produits pétroliers, diesel et essence. Tout ceci a conduit à un appauvrissement très important de la population. Une bonne partie de la classe moyenne d’hier n’a pratiquement plus rien aujourd’hui, la situation est grave.

Peut-on imaginer une intervention de l’étranger comme en Libye ?

Certainement pas. Ce serait un engrenage extrêmement dangereux. Les Yéménites n’accepteraient vraiment pas une intervention étrangère dans leurs affaires. L'une des caractéristiques de ces printemps arabes est que ces mouvements se sont développés à l’intérieur des pays, sur des initiatives de la population elle-même. Le cas libyen est tout à fait exceptionnel.

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