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Yémen : "Le président Saleh ne revient pas comme un pacificateur mais comme un chef de guerre"
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Le président yéménite Ali Abdallah Saleh - plus ancien chef d'Etat arabe depuis le départ de Kadhafi - est rentré vendredi à Sanaa après une absence de plus de trois mois en Arabie Saoudite suite à un attentat. Il a indiqué ce dimanche lors d'un discours à la télévision qu'il était prêt à une transition pacifique du pouvoir.

Franck Mermier

Franck Mermier

Franck Mermier est anthropologue, spécialiste des sociétés arabo-musulmanes.

Il est chercheur au CNRS et directeur scientifique à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Beyrouth, depuis 2002.

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Atlantico : Le président Ali Abdallah Saleh est rentré dans son pays ce vendredi après plus de trois mois d'absence. Qui est ce chef d'Etat peu connu en France ?

Franck Mermier : Le président Ali Abdallah Saleh fait partie du milieu tribal des hauts plateaux qui sont majoritairement des musulmans zaydites. Il a pris le pouvoir le 17 juillet 1978, après deux présidents assassinés en l’espace de deux ans (Ibrahim Al-Hamdi en 1977 et Ahmad al-Ghashmi en 1978). C’était un jeune officier à l’époque, gouverneur militaire de la région de Taëz et peu instruit. Vraisemblablement, il contrôlait le trafic d’alcool, la contrebande en mer Rouge entre la rive africaine et la rive yéménite.

Ali Abdallah Saleh était une émanation de l’establishment tribal de l’époque. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il était contrôlé par le grand cheikh de la tribu des Hached, le cheikh al-Ahmar. Il apparaissait donc comme un homme de paille qui n’allait pas durer longtemps, dont le pouvoir n’était pas considérable. D’autant plus qu’il a même perdu une guerre en 1979 contre le Yémen du sud, qui était à l’époque marxiste. Il émanait donc d’un consensus entre différentes forces politiques yéménites qui voulaient se défendre contre l’ex Yémen du sud. Si l’on considère que Kadhafi a perdu son pouvoir, il est aujourd’hui le plus ancien chef d’Etat arabe.

Comment peut-on expliquer cette longévité exceptionnelle ?

Ali Abdallah Saleh a un caractère très manœuvrier et une connaissance très fine de la carte tribale yéménite. Il a su à la fois intégrer ses opposants dans les rouages de l’Etat et diviser cette même opposition en créant notamment des partis factices. Il a instauré un système clientéliste et sécuritaire assez puissant. A son arrivée au pouvoir, Il se reposait beaucoup sur ses frères qui contrôlaient différents services de sécurité et de l’armée. Aujourd’hui, il peut compter sur l’appui de son fils ainé, Ahmed Saleh, qui est le chef de la garde républicaine.

Ali Abdallah Saleh a tout fait pour que son fils Ahmed soit son successeur en 2013. C’est d’ailleurs cette volonté de transmission héréditaire du pouvoir qui a en partie conduit le général Mohsen Ali al Ahmar à déserter et combattre contre les troupes du président Saleh quand le mouvement de contestation a pris une tournure massive.

Quel genre de relation entretient le régime du président Saleh avec l’Arabie Saoudite ? Pourquoi s’est-il réfugié dans ce pays après l’attentat qu’il a subi en juin dernier ?

Pour l’Arabie Saoudite, le Yémen est une affaire intérieure. Aujourd’hui c’est le prince Nayef qui semble s’occuper des affaires yéménites dans le royaume wahhabite. L’Arabie Saoudite a toujours entretenu des liens très ambigus avec Saleh. Ils ont soutenu dès le début son régime car ils luttaient, eux aussi, contre le régime marxiste du sud. Durant la guerre de 1994, l'Arabie saoudite prend ses distances avec Saleh pour soutenir en sous-main les séparatistes socialistes. En 2000, l’accord sur les frontières entre les deux pays réchauffe les relations. L’Arabie Saoudite accroît son aide au régime de Saleh tout en finançant bien-sûr des chefs tribus yéménites. A partir de 2009, l’Arabie Saoudite est entrainé à soutenir le régime de façon accrue en raison de deux menaces : la création d’Al-Qaida dans la péninsule arabique au Yémen, les incursions de rebelles zaydites au nord qui menacent l’intégrité du territoire saoudien.

Mais l’Arabie Saoudite ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Ils entretiennent aussi des liens importants avec d’autres partis d’opposition, comme le Parti de la réforme, Al-Islah. En avril 2011, devant l’accroissement de la contestation du régime yéménite, l’Arabie Saoudite entreprend de jouer un rôle très important pour une médiation pacifiste de sortie de crise à travers le Conseil de coopération du Golfe.

Le 3 juin dernier, Ali Abdallah Saleh est grièvement blessé dans un attentat. Il trouve refuge à Ryad pour se faire administrer des soins médicaux. Le roi Abdallah a reçu Saleh mais il semble que le prince Nayef ait été beaucoup plus hésitant. Cela révèle des fractures importantes au sein du régime saoudien par rapport à la gestion de la crise yéménite. Le fait que le régime saoudien ait laissé Saleh repartir au Yémen indique quand même clairement un soutien pour ce dernier, le roi Abdallah a eu le dernier mot.

Quels sont les enjeux du retour du président Saleh au Yémen ? Quelle stratégie peut-il utiliser pour retrouver le pouvoir ?

C’est une provocation très forte pour l’opposition, d’autant plus que ce retour intervient alors que des combats très violents font toujours rage à Sanaa et à Taëz. Il ne revient pas comme un pacificateur mais comme un chef de guerre. Il devait signer le plan de sortie de crise le 22 mai dernier, certains représentants de son parti l’ont fait mais pas lui. Il a fait bombarder les résidences de ses principaux opposants à Sanaa pour tenter de transformer ce mouvement de contestation populaire en une guerre entre deux factions. Cela lui aurait permis d’isoler certains protagonistes de l’opposition et de faire disparaitre le caractère populaire et massif de cette opposition.

Son seul atout est la division de l’opposition. Diviser pour mieux régner et faire apparaitre la lutte politique comme une lutte entre rivaux pour le pouvoir (lui faisant perdre par la même occasion son "cachet" populaire et démocratique) a toujours été sa stratégie depuis le début. Il y a une division flagrante de l’opposition entre ceux qui avaient participé au régime (le Parti de la réforme et le général Mohsen Ali al Ahmar) et une constatation populaire qui ne veut pas voir sa révolution confisquée par des protagonistes qui étaient jadis partie prenante du régime.

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