Vote du budget : la France, démocratie dégradée<!-- --> | Atlantico.fr
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« Ce n'est pas une remise en cause de la démocratie », a justifié le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave (à droite) concernant le recours au 49.3.
« Ce n'est pas une remise en cause de la démocratie », a justifié le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave (à droite) concernant le recours au 49.3.
©Bertrand GUAY / AFP

PLF 2024

Sans surprise, la carte du 49.3 a été utilisée pour faire adopter la première partie (volet des recettes) du Projet de loi de Finances 2024.

Nathalie Coutinet

Nathalie Coutinet

Nathalie Coutinet est économiste à l'université de Sorbonne Paris Nord et chercheuse au Centre d'économie de l'université de Paris-Nord.

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Le gouvernement a recours au 49.3 pour voter le budget. Une fois de plus le Parlement n'est pas associé. Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des comptes publics, explique que ce n'est pas "une remise en cause de la démocratie". Êtes-vous d'accord ?  

Nathalie Coutinet : Dans l’absolu, nous ne sommes pas très contents de la façon dont le budget a été établi, car il n’est pas sincère. Le gouvernement va faire peser sur les collectivités locales une très grosse charge, comme si le déficit sur les finances publiques absolument abyssal était de la responsabilité des collectivités. Le gouvernement est en train de se défausser sur les collectivités et je peux affirmer que cela ne fonctionnera pas au Sénat. Ce n’est pas juste, car les collectivités sont obligées de présenter des budgets en équilibre. C'est absolument scandaleux de faire peser sur les collectivités l’incurie du "quoiqu'il en coûte". Nous avons proposé au gouvernement de vraies économies de fond l’année dernière, il s’y est opposé et puis surtout rien n'est proposé sur la fraude fiscale. 

Raul Magni-Berton : Le 49.3 est une mesure bien particulière, qui permet au gouvernement de dire au parlement: "soit vous acceptez ma mesure, soit vous acceptez ma démission". C'est donc une procédure conçue pour des situations critiques, lorsque le gouvernement se retrouve face à une urgence, où retarder une décision peut avoir des conséquences difficiles pour le pays. Typiquement, le vote du budget, si les partis n'arrivent pas à se mettre d'accord, pourrait être validé par 49.3, ce qui est, d'ailleurs, explicitement prévu dans cet alinéa. Le problème, donc, ce n'est pas ce 49.3, mais l'avalanche de 49.3 qui submerge en ce moment la politique française. Cela révèle tout d'abord que le gouvernement n'est pas capable de composer avec l'opposition pour faire passer des lois normalement, avec la majorité du parlement après un débat parlementaire et une série d'amendements qui ne sont actuellement presque jamais acceptés.  Aussi, il révèle que le gouvernement se retrouve toujours en situation d'urgence, soit parce qu'il traite les dossiers tardivement, soit parce qu'il a tendance à voir des urgences partout. Cela produit aussi un parlement inutile et une mainmise du gouvernement sur la politique. Compte tenu du fait qu'une démocratie au sens où l'entend Thomas Cazaneuve, est un système dans lequel le parlement est au cœur des décisions prises dans le pays, la situation actuelle est clairement une démocratie dégradée. Mais elle ne l'est pas parce que le gouvernement a utilisé le 49.3 pour voter le budget. Elle l'est parce qu'il ne cesse d'utiliser des outils - dont le 49.3 - pour appauvrir le rôle du parlement. 

Comment le gouvernement constitue-t-il un budget dans les grandes lignes pour que nos lecteurs puissent se faire une idée, c’est un exercice très complexe, comment cela se passe-t-il ?

Nathalie Coutinet : C’est comme une ménagère, vous avez des rentrées et des sorties, et un certain nombre de personnes qui viennent à Bercy. Chaque ministère passe un contrôle pour des arbitrages. Quant au budget, c'est vraiment le choix politique prépondérant, car c’est la signature politique d’un gouvernement, l’ADN d’un gouvernement, d’une politique. Si vous mettez beaucoup d’argent sur les prisons ou beaucoup d’argent sur l’asile et l’immigration, dans les quartiers, dans l’agriculture ; alors vous en faites des sujets prioritaires. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le budget pour un gouvernement, pour un Etat ; c'est sa signature ! C’est ce qui marque sa volonté. 

C’est sa marque de fabrique ou sa feuille de route ?

Nathalie Coutinet : Non, c'est plus que sa feuille de route ! Cela peut être les deux à la fois, mais la feuille de route, c’est ce que l’on aurait pu voir sur la loi de finance prévisionnelle triennale qui ne sert à rien, et que nous venons de voter. Le budget est plus qu’une feuille de route, car il fixe les objectifs et les priorités d’un gouvernement. Lorsqu’on a beaucoup augmenté le budget du ministère de l’Intérieur, du ministère de la Justice, du ministère des Affaires étrangères ; ce sont des signaux. C'est ce qui va permettre de transformer ou de réaliser une politique. C’est vraiment le marqueur.

Pourquoi les parlementaires sont très peu associés au budget, y compris les parlementaires de la majorité ?

Nathalie Coutinet : C'est contraire à la constitution, car normalement, c'est le parlement qui vote le budget, donc on devrait les associer. Cependant, lorsque vous avez 2500 amendements sur la première partie, vous pensez bien que cela va poser des problèmes. Ainsi, le budget constitue un acte fondamental. J’aime beaucoup la loi de finance, et siéger pendant le vote du budget, parce que c’est très intéressant. Cela permet de voir si vous créez des recettes complémentaires, si vous supprimez ou limitez les impôts ou si vous avez une politique au regard de la fraude fiscale. C’est au moment du budget que cela s’imprime. Le déterminisme d’une politique ne se marque pas dans une loi X ou Y, il se marque au moment du budget, de la loi de finance et éventuellement d’une loi de finance rectificative comme on en a eu beaucoup ces temps-ci.

Le Parlement devrait être beaucoup plus associé. Nous avons énormément de problèmes. Nous en avons sur les engagements financiers de l’Etat, c’est-à-dire sur la dette. Nous n'avons pas du tout de vision sur les engagements hors-bilan, autrement dit les garanties que donne l’État pour telle ou telle organisation, pour tel ou tel sujet et qui ne figure pas au budget. Mais si jamais, à l'instar des garanties, ou des cautions bancaires, le risque est avéré, il va falloir que l’État français paye. C'est ainsi que nous avons plusieurs centaines de milliards d'€ comme engagements hors-bilan. Nous avons aussi un problème extrêmement important qui est le délai absolument délirant dans lequel le Parlement doit voter ce budget, car il doit être voté dans un temps limité. Nous avons très peu de temps en séance pour débattre des missions. Cela explique l'usage du 49.3 à l'Assemblée. Mais au Sénat, nous n'avons pas d'article 49-3. 

Le 49,3, c'est un abus ? 

Raul Magni-Berton : La plupart des pays européens n'ont pas d'équivalent du 49.3 et fonctionnent très bien. C'est donc une procédure dont on pourrait aisément se passer. Pour autant, le 49.3 en lui-même n'est pas un abus, c'est juste une procédure, conçue pour être rare, qui permet au gouvernement de passer en force. Par contre, il est vrai que cette procédure crée une tentation à en abuser. La Constitution n'interdit pas formellement au gouvernement d'utiliser que des 49.3, et un gouvernement peut être tenté de le faire, surtout lorsqu'il a beaucoup d'opposition au parlement. Un gouvernement qui ne le fait pas est un gouvernement particulièrement soucieux des institutions et du respect de l'opposition, ce qui n'est pas le cas de notre gouvernement actuel. 

Je pense qu'une règle qui présuppose que les joueurs soient fair play, n'est pas une bonne règle. Il est toujours bon d'envisager qu'il y aura la tentation d'abuser du pouvoir, c'est pourquoi je pense que le 49.3 est une mauvaise règle. 

Utiliser le 49.3 sur différentes parties du budget, cela empêche d'avoir des débats ? 

Nathalie Coutinet : C'est effectivement très important. Au moment où nous avons réformé la loi d'orientation, la LOFB, la loi organique des finances publiques, il y a 2 ans avec Monsieur Saint-Laurent, leur rapporteur du budget à l'Assemblée nationale et que je m'occupais des engagements financiers de l'État à l'époque, nous avions effectué début octobre, une proposition au président Larcher qui l'avait accepté. Nous demandions qu'au début de chaque session parlementaire, un débat se tienne sur la dette, de façon à associer les parlementaires et avoir un éclaircissement du gouvernement sur la dette. En effet, vous comprenez bien que le déficit annihile la liberté. Nous ne pouvons rien faire si nous sommes endettés. Nous n'avons pas eu de débat sur la dette alors que c'était important. Nous aurions dû l'avoir. Nous ne l'avons pas, même si nous l'avions programmé. Dans tous les cas, parmi toutes les préconisations que nous avions faites il y a quelques années, il y avait cette possibilité, ce souhait, d'avoir un débat sur la dette en début de session, mais nous n'avons toujours rien. Nous le réclamons chaque année.

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