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Voiture autonome : qui sera responsable en cas d'accident puisque le conducteur ne le sera plus ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Changement majeur

Au-delà de l'aspect purement technique, l'apparition de la voiture autonome dans nos sociétés touche le problème de la responsabilité, et donc la réglementation.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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La circulation routière de plus d’un milliard de véhicules n’est pas une activité banale. Elle est encadrée par une convention internationale conclue à Vienne le 8 novembre 1968 qui remplace les textes antérieurs de 1926, 1943 et 1949. C’est un document central qui rend la circulation possible sur l’ensemble de la planète avec des règles communes. Son article 8 définit le rôle particulier du conducteur que la technique promet d’éloigner prochainement du volant.

La modification de cette convention sera un chantier est complexe car les recherches sur la voiture autonome mettent en évidence ce qui avait finalement été banalisé par plus d’un siècle d’usage, c’est que la conduite automobile est une activité multitâche exigeante, nécessitant le recours à de multiples mécanismes cérébraux et musculaires, stimulés en temps réel. L’homme, au terme d’un apprentissage initial souvent sommaire, finit par en venir à bout de façon assez performante même si c’est un processus coûteux en vies humaines. Selon l’OMS, c’est en effet plus d’un million de personnes qui meurent en effet chaque année dans un accident automobile sur la planète.

Confier cette mission périlleuse à une machine suppose que l’on soit capable d’obtenir en toutes circonstances, de façon fiable et répétitive, moins coûteuse en temps, en énergie et en erreurs un résultat performant supérieur à celui atteint par l’homme. Et ceci pour un coût acceptable !

La longue marche de la voiture autonome : quelle échéance crédible ?

L’ambition qui n’est pas nouvelle puisque dès 1939 General Motors avait imaginé pour la Foire internationale de New York, « The World of Tomorrow », des autoroutes où circuleraient des voitures dont la vitesse et l’espacement étaient régulés. Depuis 1980, les expériences, isolées, ont stimulé la recherche et le fameux challenge du DARPA, agence de recherche du Ministère de la Défense des États-Unis, a mis en concurrence plusieurs équipes pour faire circuler, laborieusement, un véhicule autonome entre 2003 et 2007. C’est l’équipe gagnante du défi 2005, issue de Stanford, qui est à l’origine du projet de Google.

Cependant, la ruée actuelle vers ce concept est apparue en sortie de la crise de 2009 comme une réponse de l’industrie automobile au besoin ressenti de renouvellement et d’imaginaire, incarné de façon dominante par l’industrie numérique. Quand Google a annoncé en 2010, de façon très prématurée, être capable de produire une voiture autonome, les constructeurs automobiles ont été piqués au vif. Il est paradoxal que, soudain, ceux qui exaltent le plaisir de conduire, qui à lui seul déclencherait le désir d’achat du véhicule, nous promettent d’en être prochainement débarrassé en confiant à une cohorte de robots le soin de s’acquitter de cette tâche.

Mais quelle est la finalité d’une voiture autonome ?

Il est clair que le maillon faible de la conduite automobile, c’est l’homme : 90% des accidents automobiles sont dus à des facteurs humains. La motivation est noble : tendre vers le zéro accident et le zéro mort. Plus d’un million de personnes meurent dans un accident de la route sur la planète chaque année. Au CES 2018, les intervenants ne parlaient que des 35000 morts sur les routes américaines pour justifier la voiture autonome. L’inattention, l’utilisation d’un téléphone ou d’un smartphone au volant, la surestimation de ses capacités poussant à des vitesses excessives, la fatigue, comme la drogue et l’alcool qui dégradent les réflexes sont les multiples causes humaines, souvent additives, à l’origine des accidents. Par ailleurs, les personnes âgées ou handicapées perçoivent leur impossibilité de conduire comme une aggravation de leur isolement.

Mais on attend aussi de l’automatisation de la conduite des économies d’énergie, une réduction des embouteillages et un gain de temps considérable. On peut aussi imaginer que la voiture relaie et soulage le conducteur dans des situations fatigantes et sans intérêt, comme la conduite dans un embouteillage, les longs parcours sur route dégagée ou encore les manœuvres urbaines comme le stationnement. A plus long terme, il suffira d’une flotte limitée de voitures sans conducteur, roulant en permanence, pour assurer un service personnalisé à domicile.

Les perspectives sont séduisantes et emballent le milieu automobile même si des voix prudentes, comme celle du responsable de la recherche de BMW, expliquent que la technologie est loin d’être en mesure de résoudre sans risque tous les problèmes de la conduite. Une voiture autonome n’est qu’un robot aveugle et ignorant auquel on chercher à donner une intelligence contextuelle pour sentir, planifier et agir. Il faut donc apprendre à ces robots à prendre des décisions saines dans un contexte varié où les risques potentiels sont très différents. Une autoroute du Nevada n’est pas une petite route enneigée de l’Ardèche ni la place de l’Etoile. Comme il est impossible de modéliser a priori la diversité de situations possibles, on éduque les logiciels en leur faisant absorber le plus grand nombre possible de données et de règles de conduite. Le travail du conducteur est dans les voitures modernes assisté par de multiples copilotes prévenants. Or il faut infuser dans les ordinateurs de bord l’expertise du conducteur. C’est le pari de l’intelligence artificielle qui va permettre aux véhicules d’apprendre la complexité de la conduite par l’expérience. Ceci prendra donc des années et l’apparition de la voiture autonome sera graduelle, limitée à certains sites et cas d’usage. Dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas envisageable d’en imaginer un développement de masse avant au moins une décennie. Mais les véhicules commercialisés dans les prochaines années bénéficieront des retombées de ces recherches, apportant au conducteur une assistance à la conduite de plus en plus riche.

Mais le problème n’est pas que technique, il touche la responsabilité et donc la réglementation.

Un changement majeur dans la réglementation mondiale

Il est important de citer quelques extraits du texte de l’article 8 de la convention de Vienne.

1. Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur.

3. Tout conducteur doit posséder les qualités physiques et psychiques nécessaires et être en état physique et mental de conduire.

4. Tout conducteur de véhicule à moteur doit avoir les connaissances et l'habileté nécessaires à la conduite du véhicule ; cette disposition ne fait pas obstacle, toutefois, à l'apprentissage de la conduite selon la législation nationale.

5.2  Tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule …/….

5bis. Les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite du véhicule sont réputés conformes au par. 5 du présent article et au premier paragraphe de l'art. 13 s'ils sont conformes aux prescriptions en matière de construction, de montage et d'utilisation énoncées dans les instruments juridiques internationaux relatifs aux véhicules à roues et aux équipements et pièces susceptibles d'être montés et/ou utilisés sur un véhicule à roues.4

Les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite d'un véhicule qui ne sont pas conformes aux prescriptions en matière de construction, de montage et d'utilisation susmentionnées sont réputés conformes au par. 5 du présent article et au premier paragraphe de l'art. 13 pour autant qu'ils puissent être neutralisés ou désactivés par le conducteur.5

6. Le conducteur d'un véhicule doit éviter toute activité autre que la conduite. La législation nationale devrait prescrire des règles sur l'utilisation des téléphones par les conducteurs de véhicules. En tout cas, la législation doit interdire l'utilisation par le conducteur d'un véhicule à moteur ou d'un cyclomoteur d'un téléphone tenu à la main lorsque le véhicule est en mouvement

Cette énumération contraignante éclaire le champ de la rupture qu’implique la mise sur le marché de véhicules autonomes. Il faut en effet détricoter cette réglementation qui supporte des textes d’application partout dans le monde. Le marché de l’automobile étant international, il faut pour vendre ces voitures, qu’elles puissent être utilisées partout. Plus encore, l’annexe 5 de la convention de 1968 définit les prescriptions techniques détaillées auxquelles doivent satisfaire les véhicules pour obtenir leur immatriculation. C’est aussi un élément majeur de définition de la responsabilité, les autorités devant s’assurer que les règles nouvelles de conformité seront respectées par les constructeurs. C’est pourquoi ne circulent aujourd’hui dans le monde que des véhicules autonomes supervisés par des conducteurs humains, les États ayant délivré des autorisations provisoires de circulation. Il n’y a donc pas de « vraie » voiture autonome sur route ouverte. Toutefois des véhicules autonomes peuvent circuler sur des sites protégés, à petite vitesse, comme la navette Navya sur le site de la Défense. La législation française -loi Badinter de 1985-  prévoit l’indemnisation de la victime d’un accident impliquant un véhicule motorisé par l’assurance de ce véhicule. Mais se pose alors la question de la responsabilité : est-ce une défaillance du véhicule, du propriétaire, de l’occupant ? Or en droit actuel les machines ne peuvent être tenues pour responsables. Ce vide juridique implique de nombreux travaux impliquant juristes, compagnies d’assurance et autorités de réglementation et de certification. 

Quelles sont les motivations qui explique cet engouement du gouvernement et de certains politiques et acteurs économiques pour la voiture autonome ?

La rationalité de cette démarche n’est pas, a priori, évidente : la technique n’est pas au point, le coût inconnu, la demande ignorée et donc le modèle économique aléatoire. Mais l’automobile est le plus sophistiqué des marchés de masse. C’est une industrie capable de produire cent millions de véhicules par an qui génère un chiffre d’affaires et des dépenses récurrentes considérables. Ignorer que cette industrie puisse connaitre une révolution majeure sans en faire partie serait, pour les constructeurs comme pour les grands pays qui les abritent, suicidaire.

La motivation est bien d’abord d’embarquer dans une aventure humaine qui touche la vie au quotidien et a donc des conséquences environnementales, économiques et sociales considérables. C’est un changement majeur du modèle de mobilité qui ferait clairement de la voiture un composant d’un système collectif de transport. C’est de plus une transformation radicale du modèle d’affaires de l’industrie automobile qui passerait de la possession à l’usage, les voitures autonomes ayant vocation à être partagées car leurs capacités leur permettraient de circuler constamment.

C’est enfin un pari technique qui embarque constructeurs et les équipementiers de l’industrie automobile, mais aussi tous les acteurs de la filière numérique et de la recherche puisque le défi porte plus sur les logiciels que sur la technique automobile. Il est estimé qu’un véhicule autonome exploitera 4000 Gbits de données par jour, entre les caméras, radars, sonars, lidars, GPS dont il sera équipé. Confier sa vie à des automates et des algorithmes impose le zéro défaut, donc une validation du code informatique et des modèles de décision comme la protection des données personnelles et la robustesse contre les cyberattaques.

C’est la condition majeure de l’acceptabilité du véhicule autonome qui est la base de la démarche préconisée par Anne-Marie Idrac et qui implique du temps, de l’expérimentation et un travail coopératif entre tous les acteurs impliqués, dont l’Etat.

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