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Voici l’heure à laquelle vous n’avez pas intérêt à tomber malade
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Chronobiologie

Nos horloges corporelles internes ne régissent pas que le sommeil. Elles déterminent aussi le fonctionnement de notre système immunitaire et notre façon de guérir.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Un article de la BBC revient sur l'importance de l'heure de la journée dans le traitement contre les blessures et maladies.

Vaccins, traitements contre certaines blessures ou maladies, un article de la BBC revient sur l'importance de notre rythme biologique et donc de l'heure de la journée dans la lutte contre ces maladies ? Comment fonctionne ce mécanisme et peut-on en mesurer l'impact?

La vie n'est pas linéaire, mais essentiellement fluctuante

Stéphane Gayet : La vie quelle qu'elle soit n'est pas linéaire, mais fluctuante. Cela concerne tous les modes de vie sur terre, aussi bien animaux que végétaux et microbiens. Nous savons pertinemment que certaines nuits, nous dormons bien, mais que d'autres, ce n'est pas le cas ; que certains jours, nous nous sentons pleins d'énergie avec un esprit positif et assez jovial, mais que d'autres, nous sommes un peu fatigués et plus négatifs. Aucun être vivant n'a le même tonus tous les jours. Cela contribue au charme de la vie qui, si elle était linéaire, serait assurément plus fade.

La régulation des fluctuations : le principe d'homéostasie

Les fluctuations chez un même être vivant ne peuvent s'effectuer que dans les limites de l'homéostasie : c'est le fait que la vie soit soumise à des contraintes dont le respect est indispensable à son maintien ; dès lors, pour se préserver, la matière vivante doit se corriger en permanence, afin de maintenir son équilibre. Cette notion d'équilibre biologique est réellement cruciale, elle est une règle fondamentale du monde vivant. Il en résulte que les fluctuations au sein d'un organisme vivant ne peuvent s'effectuer que dans les limites de son homéostasie, sans quoi il deviendrait déficient, donc « malade ». C'est la raison pour laquelle les fluctuations physiologiques ne sont en réalité que des oscillations se produisant de part et d'autre d'une ligne d'équilibre : elles sont naturellement bornées par des limites inhérentes à chaque type de vie ; pour le maintien de l'homéostasie, les écarts doivent être plus ou moins rapidement corrigés.

Les rythmes biologiques ou biorythmes : des fluctuations prédéterminées

Parmi les fluctuations qui se produisent chez chaque être vivant, certaines sont systématiques, car prédéterminées. Elles sont utiles et même nécessaires à la complexité de la vie et à son maintien optimal. On parle ainsi de biorythmes, notion devenue à la mode, à une époque où chacun voudrait gérer son corps de façon idéalement aussi scientifique que possible ; ce que font déjà des sportifs de haut niveau, depuis plusieurs années. C'est le domaine de la chronobiologie, de l'étude des rythmes biologiques dans l'organisme ; car nous n'avons pas un unique rythme biologique, mais en réalité plusieurs. Les rythmes biologiques qui nous viennent en premier à l'esprit sont l'alternance de veille et de sommeil et le cycle menstruel de la femme. Dans ces deux cas, des hormones interviennent : entre autres, le cortisol et la mélatonine, pour l'alternance veille-sommeil ; les œstrogènes et la progestérone, pour le cycle menstruel. Toutefois, les courbes de sécrétion hormonale des biorythmes ne sont que leur partie biologiquement dosable ; ils sont en fait gouvernés par des horloges biologiques ou horloges internes qui sont de petites structures neurologiques. Et ce sont presque toutes les fonctions de l’organisme qui sont soumises au rythme circadien (ce qui veut dire : de l'ordre d'une journée), encore appelé rythme nycthéméral (ce qui signifie : nuit et jour), donc à la succession de cycles de 24 heures (le cycle circadien est notre biorythme principal).

Le rythme circadien ou nycthéméral et son horloge interne biologique dans l'hypothalamus

Nous avons des cycles de périodes différentes (la période est la durée d'un cycle, variant en sens inverse de la vitesse avec laquelle les cycles se succèdent ou fréquence du phénomène cyclique). La période de certains biorythmes est plus courte qu'une journée pour les uns et plus longue pour les autres : la saisonnalité est un biorythme d'une période égale à un an et qui est évidente pour les végétaux persistants, mais qui existe également chez de nombreux animaux dont l'homme.

Le rythme circadien ou nycthéméral reste, avec le rythme génital de la femme, le rythme physiologique essentiel de la vie humaine : il est régi par une horloge interne, située au cœur du cerveau, qui impose ce rythme circadien à l’organisme, tel un chef d’orchestre. Sur le plan anatomique, cette horloge biologique se trouve plus précisément dans l’hypothalamus qui est une petite formation profonde du cerveau, ayant des fonctions régulatrices essentielles. L'horloge interne circadienne est constituée de deux noyaux, contenant chacun de l'ordre de 10 000 neurones, dont l'activité électrique oscille avec une période d'environ 24 heures ; cette activité électrique (synchrone) est contrôlée par l’expression également cyclique d’une quinzaine de gènes souvent appelés gènes « horloge ».

La régulation et les perturbations du rythme circadien ou nycthéméral

Au cours de ces dix dernières années, on a découvert de nombreux mécanismes de régulation des horloges biologiques et on est de plus en plus capable d'évaluer l’impact – souvent majeur, il faut le souligner - de leur dérèglement sur la santé.

Car le rythme circadien peut être, soit défaillant du fait d'un processus pathologique ou d'une substance introduite dans l'organisme, soit simplement perturbé en raison d'un comportement qui le bouscule (horaires d'activité, consommations d'excitants ou d'hypnotiques, horaires des repas et leur composition, stimulations psychiques ou sensorielles, etc.). On a trop souvent tendance à minimiser les troubles du rythme circadien, alors qu'ils peuvent avoir des conséquences – sur le sommeil évidemment - sur le métabolisme général, l'appétit, la température corporelle, le fonctionnement du système cardiovasculaire, de l'appareil digestif et du système immunitaire, ces processus étant au moins en partie gouvernés par des hormones secrétées par des glandes endocrines, elles-mêmes soumises à la régulation circadienne.

La chronobiologie : un nouveau champ immense de recherche et d'applications thérapeutiques

Le terme de chronobiologie correspond à l'étude de l'ensemble des rythmes biologiques de l'organisme, ainsi qu'à celle des fluctuations de la réponse de cet organisme à différents agents physiques ou chimiques ; car notre corps ne réagit pas de façon identique selon l'heure du jour ou de la nuit, ce qui est une notion à connaître. Le domaine de la chronobiologie est aujourd'hui très étudié, car on s'aperçoit que ses applications sont fort utiles et nombreuses. C'est ainsi que l'on distingue la chrono-physiologie, ainsi que la chronopathologie, la chronotoxicologie, la chronopharmacologie et la chronothérapie ; cette dernière n'est pas la chronobiologie appliquée en général à la thérapie, mais une méthode de régulation du sommeil consistant à agir uniquement sur l'horaire d'alitement et de mise dans des conditions favorisant l'endormissement.

Les avancées en chronobiologie ont valu un prix Nobel à trois généticiens américains en 2017. Une équipe de l’unité mixte internationale de recherche Inserm-Université de Californie, située à Irvine aux Etats-Unis, vient d'établir – mais chez la souris - un atlas de la régulation du métabolisme au cours des 24 heures de la journée : il révèle notamment qu’un régime riche en graisses perturbe le fonctionnement des organes, probablement en désynchronisant leurs horloges biologiques.

Quelques exemples d'application des connaissances récentes en matière de chronobiologie

Celui que nous sommes physiologiquement pendant la journée est différent de celui que nous sommes pendant la nuit. Si par exemple on se blesse la peau pendant la nuit, elle semble cicatriser plus de deux fois moins vite que si l'on se blesse en journée. Autre exemple analogue : les brûlures survenant de nuit mettraient environ 11 jours de plus à cicatriser que celles survenant de jour. Troisième exemple, un vaccin contre la grippe saisonnière qui est injecté entre 9 et 11 heures susciterait au minimum quatre fois plus d'anticorps protecteurs que le même vaccin injecté six heures plus tard. Autre exemple : une intervention de chirurgie cardiaque pratiquée l'après-midi augmenterait beaucoup les chances de survie à long terme, par rapport à la même intervention pratiquée le matin (exemples donnés dans l'article de la BBC).

Ces exemples sont issus d'études épidémiologiques et les résultats sont à mettre au conditionnel : ils demandent encore à être confirmés et analysés. Mais leur connaissance a déjà l'intérêt de confirmer l'existence de fluctuations nycthémérales de notre sensibilité aux agressions diverses et variées, ce qui est une information relativement récente. Sachant que, dès l'instant où notre corps réagit à une agression quelconque, cela fait intervenir notre système immunitaire, nous sommes ici dans le domaine de la chrono-immunologie.

Y a-t-il une heure particulièrement néfaste pour tomber malade au cours d'un cycle de 24h?

Dans l'ensemble, il ressort de ces études épidémiologiques que nous sommes plus vulnérables pendant la nuit que nous ne le sommes au cours de la journée. Si cette information devait être confirmée, elle devrait nous inciter à éviter les activités de nuit. Cette notion devrait également être prise en considération pour faire encore davantage bénéficier les personnes travaillant de nuit, de primes de risque liées uniquement à l'horaire de travail.

En matière de risque infectieux, il semble bien que la multiplication et l'invasion bactériennes, ainsi que la réplication des virus, soient nettement plus actives de nuit que de jour. On peut supposer que, d'une part, notre système immunitaire soit plus permissif de nuit que de jour et que d'autre part, les bactéries (microorganismes vivants) aient leur propre biorythme. Là encore, si ces informations devaient être confirmées, il serait utile de réfléchir à une optimisation de l'administration au cours du nycthémère des antibiotiques et des antiviraux.

Cette particularité était-elle déjà connue ou suspectée par la médecine ? Etait-elle déjà prise en compte dans la prescription de certains traitements?

La chronopharmacologie est un domaine connu et étudié depuis plusieurs années déjà, dans le domaine cancérologique.

Ce concept est en particulier mis en application en cancérologie, à l’hôpital Paul Brousse (Assistance publique – Hôpitaux de Paris ou APHP), par le Dr Francis Lévi, ancien directeur de l’unité Rythmes biologiques et cancers (unité 776 Inserm et université Paris Sud), et aujourd'hui directeur du groupe Chronotherapy à la faculté de médecine de Warwick (Royaume-Uni). Il l’applique chez ses patients atteints de cancer digestif. Par exemple, le médicament anticancéreux fluoro-uracile s’avère plus efficace et cinq fois moins toxique s'il est perfusé la nuit autour de 4 heures du matin, plutôt qu'à 16 heures.

Une étude récente montre que l’expression de deux tiers des gènes est fortement rythmée au cours du nycthémère et que plus de 80 % de ces gènes sensibles au nycthémère codent pour des protéines qui, soit sont déjà des cibles de médicaments, soit sont des cibles thérapeutiques potentielles pour de futurs médicaments.

La chronopharmacologie a donc de beaux jours devant elle et plusieurs essais cliniques sont en cours, par exemple pour tester les rythmes d’administration d’anticholestérolémiants et d’anti-inflammatoires.

Mais cette approche reste encore sous exploitée : elle est manifestement amenée à se développer.

Quelles perspectives ouvrent ces découvertes sur l'importance de des rythmes biologiques dans l'organisme?

La chronobiologie reste un domaine « relativement récent ». Ce champ d'étude est à l'évidence plein d'intérêt, et aussi bien sur le plan théorique que sur le plan de ses applications pratiques.

Déjà, la connaissance du fait que nous sommes plus vulnérables à tous égards de nuit que de jour, devrait nous permettre d'envisager différemment le travail et toutes les activités de nuit. La nuit est pour l'Homme une période physiologique de repos et les activités de nuit sont, à part quelques exceptions, des activités que l'on peut qualifier de contre-nature. Et elles sont plus dangereuses par le seul fait qu'elles se déroulent la nuit.

En matière de thérapeutique médicamenteuse – mais aussi chirurgicale comme on l'a vu avec un exemple -, il y a à ce jour trop peu de travaux. Cette indigence de recherche – surtout privée - s'explique par le fait qu'il n'y aura très probablement pas de débouchés lucratifs dans ce domaine : les résultats ne devraient permettre que d'administrer les médicaments de façon plus efficiente, voire d'en diminuer les doses (donc, le contraire d'un effet lucratif).

Il faut tout de même avoir à l'esprit la difficulté de mener des travaux dans ce domaine : les phénomènes étudiés sont à l'évidence d'une grande complexité ; nous n'avons peut-être pas encore les outils de recherche vraiment adaptés à cette approche chronobiologique, car c'est très différent de ce que nous avons toujours étudié jusqu'alors.

C'est un peu comme pour le microbiote intestinal : c'est sur le plan théorique très excitant, mais c'est tellement complexe que l'on ne progresse que très lentement.

On peut retenir à ce jour que deux domaines thérapeutiques sont porteurs d'espoirs concernant la chronopharmacologie : la chimiothérapie anticancéreuse et les traitements antimicrobiens. Mais d'autres domaines, tels que les traitements des états inflammatoires chroniques et ceux de la formation de l'athérome artériel, suscitent également des travaux. Il reste manifestement encore beaucoup de progrès à faire : nous sommes en fait trop peu avancés dans ce domaine, certes tout à fait passionnant et prometteur.

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