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Voici comment les fourmis argentines ont conquis le monde et nos maisons
©Antweb.org

Petite bête, grandes ambitions

En seulement 200 ans, la fourmi argentine a quitté sa terre natale pour conquérir le monde. Focus sur une espèce dont le destin est étrangement lié au nôtre.

Vous en avez déjà sûrement croisées. Un bout de jambon qui traîne sur le carrelage de la cuisine, et le lendemain, vous faites face à un bataillon de fourmis attelées à en ramener le plus possible dans leurs galeries. Imperturbables et parfaitement rôdées à ce type d'exercice, elles empruntent toutes le même chemin jusqu'au bout de chair largement entamé. Vous n'avez qu'à remonter cet afflux entomologique pour débusquer l'endroit où ces voleuses ont stocké votre bacon. Votre premier réflexe : les contempler à la tâche. Leur rigueur de travail est tout de même admirable. Votre deuxième réflexe : les asperger de l'insecticide qui gît sous votre évier depuis des années. Parce que, quand même, c'était un jambon sans couenne. Non, mais. Malheureusement pour vous, cela ne devrait pas suffire à les éradiquer.

Alors vous passez à la vitesse supérieure : vous disposez un appât empoisonné devant leur entrée afin qu'il soit ramené à leur reine qui s'en nourrira, mourra, ce qui signera le déclin de la colonie. Mais là encore, cela n'aura pas raison de ces envahisseurs. Pourquoi ? Parce que cette espèce de fourmi, la fourmi argentine - autrement appelée Linepithema humile – dispose de nombreuses reines. La mort d'une seule d'entre elles ne changera donc pas grand-chose. C'est là l'une des nombreuses particularités de la fourmi argentine, réputée pour son adaptabilité. Si vous voulez vaincre votre ennemi, il faut d'abord apprendre à le connaître. Vous feriez bien de jeter un œil à ce que l'on sait sur elles. Annalee Newitz, journaliste au site Ars Technica, a fait face au même fléau que vous, et a décidé d'en apprendre davantage sur ces créatures. Dans un long article, elle nous livre ses enseignements.  

Des supercolonies à la colonisation

Tout d'abord, et comme dit précédemment, il s'agit d'une espèce de fourmis aux nombreuses reines : il en existe quelque 300 pour mille fourmis. Ainsi, pratiquement une fourmi sur trois est une reine capable de pondre : c'est ce qu'on appelle une société polygyne. C'est la caractéristique-clé des espèces de fourmis dites "invasives" à l'instar de la fourmi rouge ou de la fourmi de feu. Ce sont également des espèces que l'on pourrait qualifier de nomades, bien qu'elles puissent s'installer chez vous si l'endroit leur plait. Lorsqu'une colonie est surpeuplée, l'une des reines quitte le nid en embarquant avec elle une partie de la population. Ainsi naissent les colonies-filles. Mais ces différents avant-postes ne perdent pas contact pour autant, puisque les fourmis sont libres d'aller et venir entre les différents nids. Cela forme alors des supercolonies de vingt à trente nids, qui s'étendent le plus souvent sur plusieurs kilomètres à la ronde. Pour ce qui est de l'alimentation, ces fourmis sont de véritables chasseurs-cueilleurs, capables de s'attaquer à des vers de terre, à d'autres insectes plus gros qu'eux, mais également d'aller recueillir du miellat, les déjections sucrées des pucerons qu'elles protègent des autres prédateurs. Une relation gagnant-gagnant.

Mais comment en est-elle arrivée à peupler les maisons du monde entier, alors que cette espèce ne vivait autrefois qu'en Amérique du Sud ? L'homme n'y est pas pour rien. Elle n'a fait que nous suivre. Très présentes aux alentours de Rosario, au nord-ouest de Buenos Aires, certaines d'entre elles ont embarqué dans les premiers bateaux de commerce reliant la ville fluviale argentine à la Louisiane au XIXème siècle. Ensuite, elles ont profité des liaisons de chemin de fer à destination de Californie  - la liaison ferroviaire Sunset Limited - pour coloniser la côte Ouest des Etats-Unis. C'est en tout cas la théorie de certains scientifiques qui, en 2011, ont constaté que les génomes des fourmis de Lousiane et de Californie étaient semblables à ceux des fourmis environnant le port de Puerto Rosario, plus grand que celui de la capitale à l'époque. De quoi expliquer la rapidité exceptionnelle – 120 ans – à laquelle une espèce sud-américaine aurait pu coloniser l'Amérique du Nord et les seulement vingt ans de décalage entre les premières observations de la fourmi argentine en Louisiane, puis celles effectuées en Californie en 1904. De la même manière, quelques fourmis ont dû se retrouver bien malgré elles embarquées dans des trains à travers du pays, achevant ainsi la colonisation complète des Etats-Unis. Le commerce triangulaire aidant, la fourmi argentine est arrivée de la même manière en Europe, et en Afrique de l'Ouest. Avant d'arriver en Asie de l'Est avec l'émergence du commerce induit par la triade. Aujourd'hui, elle est présente sur les cinq continents. Une fois sur place, les fourmis argentines ont toujours réussi à trouver leur place, par la force. Sans réels atouts (ni venin, ni grandes mandibules), elles ont su prendre l'avantage par leur nombre, augmentant à une vitesse exponentielle, en affamant les autres espèces de fourmis. Mais surtout, elles ont marché dans les traces des hommes. Pas rompues au climat naturellement plus sec de la Californie, elles n'ont pu survivre hors de leur jungle natale que grâce à l'irrigation en eau nécessaire à la création des villes. De cette manière, l'homme a favorisé la colonisation des fourmis argentines dans les territoires indigènes.

Comportement saisonnier

Les fourmis argentines se comportent différemment selon la saison. En hiver, ces supercolonies se divisent, et il ne reste qu'au maximum deux nids par réseau, situés au chaud dans des troncs d'arbres. Pendant ce temps, les autres espèces de fourmis capables de lutter contre le froid reprennent possession du territoire. Mais lorsque le printemps arrive, il se déroule un phénomène que les scientifiques ne s'expliquent toujours pas : le régicide massif de 90 % des reines par les autres fourmis. La population royale est ainsi réduite de 30% à moins de 5%. Il s'agirait peut-être d'une manière de renouveler leur patrimoine génétique. Autre évènement pour le moins étrange : lors de la saison de reproduction, on peut voir errer les mâles aux alentours du nid, faire des allers-retours en attendant une femelle. Mais parfois, il arrive que ces célibataires endurcis ne trouvent pas leur âme sœur. Pas abattus pour autant, ils développent alors des ailes afin de pouvoir parcourir de plus grandes distances, à la recherche d'une autre femelle d'un autre nid, voire d'une autre colonie. Comme quoi, l'amour donne des ailes.

Vous l'avez peut-être remarqué si votre maison est envahie depuis quelques années par ces fourmis : il y en a surtout quand il fait très chaud, et quand il pleut. Cela s'explique par le fait qu'en été, les fourmis vont trouver l'eau dont elles ont besoin dans nos canalisations, où elle est condensée. En hiver, elle se protège de la pluie et de la neige en se réfugiant dans nos maisons. Au moins, quand elles sont chez nous, elles ne dérangement pas l'écosystème. En effet, ces fourmis n'ont pas vraiment d'intérêt pour la biodiversité. En Californie par exemple, où vivaient une espèce de fourmi qui en enfouissant des graines sous terre, rendait cette dernière plus meuble et propice au ruissellement de l'eau et donc au développement des arbres, l'arrivée des fourmis argentines a largement diminué la population de l'espèce locale en l'affrontant, a limité le développement de la végétation, et a même eu un impact sur les lézards, qui avaient pour habitude de se nourrir de ces fourmis indigènes.

Communication et cohabitation

Enfin, penchons-nous sur la manière dont ces fourmis communiquent. Car oui, elles le font. Pas douées de parole, non, mais capables d'échanger des informations grâce aux phéromones, des hormones qu'elles relâchent dans l'air. Cette substance chimique constitue en quelque sorte la carte d'identité de la fourmi, qui sans elle, se retrouverait attaquée par ses propres congénères. Comme l'explique la biologiste Deborah Gordon de l'Université californienne de Stanford (Etats-Unis), interrogée par Ars Technica, ces fourmis indiquent également quelle tâche elles sont en train de réaliser, qu'il s'agisse de nettoyage, de recherche de nourriture, ou du stockage des larves. Car contrairement à l'idée véhiculée – notamment dans le film d'animation Fourmiz – que les fourmis ont une seule tâche à laquelle elles sont assignées leur vie entière, elles peuvent bel et bien s'occuper de différents travaux selon la nécessité. Ces échanges de phéromones peuvent d'ailleurs les mener à leur propre perte. En effet, elles en produisent constamment, et dans une tendance de mimétisme, vont aider leurs congénères dans leurs tâches. Lorsqu'une fourmi s'aventure dans votre frigidaire à la recherche de nourriture, il y a des chances pour que plusieurs autres s'empressent de la rejoindre, pour finir ainsi congelée à côté du poulet rôti qui les intéressait. Notre haleine elle-même contient des informations chimiques. Il n'y a qu'à souffler sur ces fourmis pour s'en rendre compte : elles s'affolent et se dispersent. Les scientifiques n'ont pour l'instant pas encore découvert quel était le composant chimique qu'elles réussissaient à capter dans notre souffle.

Alors comment empêcher l'invasion des fourmis argentines dans nos foyers. Vous ne pouvez pas. En revanche, il est toujours possible de la limiter en bouchant les entrées par lesquelles elles se faufilent, éviter d'arroser votre jardin trop abondamment, ou encore mettre à disposition quelques appâts empoisonnés qui auront le mérite de les détourner des aliments que vous voulez préserver et de réduire quelque peu leur nombre.

Ou sinon, vous pouvez très bien vivre en harmonie avec elles. Elles ne sont pas plus chez vous que vous n'êtes chez elles. Et comme on dit : ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse.

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