Visite à Vladimir Poutine : quel impact pour l’influence de la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine à Moscou, le 7 février 2022.
Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine à Moscou, le 7 février 2022.
©SPOUTNIK / AFP

Diplomatie

Vladimir Poutine a affirmé, à l'issue de sa rencontre avec Emmanuel Macron, à Moscou, être disposé à tout faire pour trouver des compromis et éviter une escalade militaire dans la crise avec l'Ukraine. Quel bilan peut-on tirer du déplacement d'Emmanuel Macron en Russie et en Ukraine ?

Paul Melun

Paul Melun

Paul Melun est essayiste, chroniqueur, conseiller en stratégie et président de « souverains demain ! ». Il est l'auteur, avec Jérémie Cornet, de Les enfants de la déconstruction. Portrait d’une jeunesse en rupture (éd. Marie B., 2019).

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Fidèle à ses habitudes, le président de la République s’est livré à un autosatisfecit dans l’avion le menant à Kiev, à l’issue de sa visite au Kremlin. Emmanuel Macron considère avoir rempli son objectif de « bloquer le jeu pour empêcher une escalade et ouvrir des perspectives nouvelles ». D’évidence, il s’agit là d’un énième coup d’esbroufe, davantage destiné à rehausser la stature du chef de l’Etat à l’approche de la Présidentielle, que de faire face à un réel péril pour la paix en Europe.

A cet égard, il est légitime de se poser la question suivante : l’influence de la France sort-elle renforcée de cette entrevue avec Vladimir Poutine ? Quelles sont les « avancées concrètes » ? Qu’est-ce qui permet à Emmanuel Macron d’affirmer qu’il a obtenu de Vladimir Poutine « qu'il n'y ait pas de dégradation ni d'escalade » ? Le bilan de cette rencontre est limpide : il n’en ressort aucun accord de désescalade, ni même une déclaration conjointe. Une fois encore, le président semble confondre coup diplomatique et coup de communication. Comme en politique intérieur, l’emballage est attrayant mais le fond n’y est pas. On ne bâtit pas une relation de confiance avec la Russie sur un coup de tête, motivé par des ambitions électorales.

La rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine était aussi un choc culturel. D’un côté de cette longue table, un Président Français jouant le rôle de messager de l’OTAN et de l’UE, déraciné et post national, et de l’autre un dirigeant politique enraciné aux accents historiques, héritier de « la grande Russie ».

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Fidèle à son idéologie post-nationale et déracinée, Emmanuel Macron s’est logiquement employé à détricoter l’influence française depuis 5 années, tout en acceptant de se ranger aux intérêts américains.  Bomber le torse en affirmant que « l’OTAN est en état de mort cérébrale » et annoncer dans son programme de 2017 le retour d’une « France indépendante » n’y changent rien. Le projet d’Emmanuel Macron est bien de dissoudre la diplomatie nationale dans une diplomatie européenne et atlantiste. A l’instar de sa conférence de presse avec M. Poutine, ou le président n’a que peu mentionné la France et sa relation bilatérale avec la Russie, préférant se poser comme négociateur en chef de l’UE et de Washington.

Ce mépris pour la politique étrangère au niveau national se traduit par un cruel manque de moyens, qui s’est nettement aggravé sur ce quinquennat. En préférant une « diplomatie agile[1]  » au détriment d’une diplomatie d’influence, Emmanuel Macron aura laissé le Quai d’Orsay exsangue : le budget de l’action extérieure de l’Etat a subi un brutal rabot de 150 millions d’euros en 2019[2] , accompagné de l’annonce de la suppression pure et simple de 10% des effectifs à l’étranger. Si cette dernière mesure n’a finalement été que partiellement mise en œuvre en raison de la crise sanitaire, nos ambassades deviennent les vestiges d’un passé glorieux. Les gendarmes qui assurent la sécurité de nos emprises sont remplacés par des agents de sécurité privée. Les bâtiments diplomatiques sont vendus à la découpe pour des économies de bout de chandelle : après avoir fermé les instituts Français de Naplouse, en Cisjordanie, et de Valence, en Espagne, la prestigieuse Maison de France, à Rio de Janeiro, est sérieusement menacée[3] . Enfin, alors que le général de Gaulle créait la direction générale de l’Armement pour entretenir l’influence des armées et de la diplomatie française dans le monde, la privatisation de notre diplomatie commerciale, confiée aux chambres de commerce et d’industrie dans six pays, au détriment de l’opérateur public historique Business France, acte définitivement l’abandon d’une diplomatie d’influence et régalienne.

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Pour renouer avec une France forte et indépendante, trois mesures fortes sont nécessaires : se donner les moyens financiers de ses ambitions, dessiner une troisième voie en rompant avec la vision manichéenne du monde selon laquelle il y aurait les « bons » et les « mauvais » et sortir de l’OTAN pour créer, enfin, une Europe des nations de la défense.

Le renforcement des moyens, mais surtout, la préservation de notre réseau, le troisième au monde, la revalorisation du métier de diplomate, la réaffirmation de l’autorité de l’ambassadeur sur l’ensemble de ses services est nécessaire pour une véritable « autonomie stratégie », non pas « européenne », mais nationale. 

Renouer avec la tradition gaulliste, héritée de Talleyrand, de l’influence française dans le monde nécessite également de tracer une troisième voie en remettant en cause la doctrine du couple franco-allemand aligné sur les intérêts américains. Les Etats-Unis sont certes un allié, mais un allié qui a fait à la France un bébé dans le dos dans l’affaire des sous-marins australiens, dont l’agence de sécurité nationale (NSA) espionne les communications téléphoniques de notre président depuis 2004 et qui fait tout pour empêcher l’émergence de concurrents européens au GAFAM. Bref, un allié qui sert d’abord et avant tout ses propres intérêts… comme un certain Vladimir Poutine. Il est inutile de diaboliser la Russie et d’en faire notre adversaire systémique. La Russie ne menace pas directement nos intérêts, et peut constituer une nation tampon entre la Chine et l’occident, de par sa position géographique et son indépendance diplomatique. En outre, imposer des sanctions aux Russes desservirait non pas les Américains, mais l’économie européenne, tributaire du gaz russe.

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Engager la France dans une troisième voie en rompant notre exclusivité diplomatique en faveur des Etats-Unis nécessite de sortir de l’OTAN pour construire une véritable défense à l’échelle de l’UE. D’une part, cela évitera les crises liées à l’élargissement infini de l’OTAN. D’autre part, l’Alliance n’est pas réellement au service des intérêts de tous ses Etats membres. A l’instar des agressions de la Turquie dans les eaux territoriales grecques, où c’est la France, et non les Etats-Unis, qui a volé au secours de la Grèce. Dans la lutte contre le terrorisme islamiste en Afrique, c’est encore une fois la France, aidée des forces spéciales européennes dans le cadre de la task force Takuba, qui est à l’œuvre.

Ce 7 février, au Kremlin, Emmanuel Macron était peut-être le représentant de l’UE, le télégraphiste de l’OTAN, ou encore un « médiateur » apatride. Mais il n’était sûrement pas le chef d’une diplomatie forte, au service des intérêts du peuple français.

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