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Vincent Coussedière : « Il faut sortir de la honte que l’idéologie migratoire a réussi à faire peser sur notre tradition assimilationniste »
Vincent Coussedière : « Il faut sortir de la honte que l’idéologie migratoire a réussi à faire peser sur notre tradition assimilationniste »
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Entretien bonnes feuilles

Vincent Coussedière publie « Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire » aux éditions du Rocher. Il n'y a pas lieu de rougir de l'assimilation. Il y a lieu au contraire de renouer avec ce qu'elle signifie : sans un minimum d'homogénéité nationale, la démocratie ne peut pas fonctionner.

Vincent Coussedière

Vincent Coussedière

Vincent Coussedière est agrégé de philosophie, collaborateur du Figaro et du Figaro Vox. Enseignant, élu local, il a été révélé au grand public avec son premier livre Eloge du populisme (2012). 

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Atlantico : Vous publiez « Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire » aux éditions du Rocher. Un tabou pèse sur la notion d'assimilation des étrangers, poussant la classe politique à l'abandonner au profit de termes comme l'intégration ou l'inclusion. Comment parvenir à plaider pour la tradition française d’assimilation et à réhabiliter l’assimilation ?

Vincent Coussedière : La première chose à faire si on veut réhabiliter l’assimilation, c’est  comprendre pourquoi et comment elle a été abandonnée. Il ne s’agit pas de proposer un retour pur et simple à l’assimilation, qui ferait l’économie de la manière dont une certaine idéologie, que j’appelle l’ « idéologie migratoire », a réussi à la déconsidérer.

Mon livre se propose donc d’abord de déconstruire la critique radicale de l’assimilation opérée dans le cas Français par la métamorphose gauchiste du marxisme. Le marxisme, au fur à mesure qu’il se décomposait en France, a cherché à se survivre dans une forme de défense abstraite des identités opprimées, remplaçant la défense du prolétariat. Sartre est l’artisan essentiel de cette métamorphose du marxisme. Il est à l’origine de ce que j’appelle le « transfert victimaire ».

Je montre que c’est dans Réflexions sur la question juive, publié en 1946, que vient se nouer le triple verrouillage sur lequel repose l’idéologie migratoire : la honte de la nation et de sa tradition assimilatrice, la promotion de l’ « identité » des victimes de l’assimilation, l’engagement politico-médiatique en faveur de leur « reconnaissance ». Sartre est le fondateur de ce que j’appelle le « programme de la honte ». A partir de la honte du sort fait aux juifs sous l’occupation, Sartre engage une critique de la démocratie assimilationniste. C’est en effet tout le programme assimilationniste porté par la révolution française que Sartre vient inverser. On se souvient de la phrase de Clermont Tonnerre : « il faut tout refuser aux juifs comme nation, et accorder tout aux juifs comme individus ». Cela signifie que la France reconnaît les juifs en tant que citoyens, ayant les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens, et  devant par conséquent mettre leur judaïsme au second plan. La France reconnaît des Français juifs et non des Juifs français. Sartre vient faire peser le soupçon d’antisémitisme et de racisme sur ce programme assimilationniste qu’il voudrait inverser. Pour lui la reconnaissance de l’ « identité » doit primer sur l’appartenance citoyenne à la nation, c’est ce qu’il appelle le « libéralisme concret » dont je montre qu’il est en réalité une ébauche de programme multiculturel. Ce qui est « concret » pour Sartre c’est l’identité définie par la religion, la race ou le sexe, ce qui est abstrait et aliénant, ce qui vient détruire et menacer cette identité concrète, c’est l’assimilation à la démocratie nationale.

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Je ne suis pas sûr qu’il faille parler de « modèle français de l’assimilation ». Je préfère parler de tradition de l’assimilation, car une tradition n’est pas un pur modèle idéal qu’il suffirait de recopier. Une tradition est vivante dès lors qu’on cherche à l’interroger, à l’adapter aussi en la repensant.

D’abord, il faut sortir de la honte que l’idéologie migratoire a réussi à faire peser sur notre tradition assimilationniste, d’où la déconstruction nécessaire de ce que j’ai appelé plus haut le programme de la honte inauguré par Sartre. Ensuite il faut montrer que l’assimilation n’est justement pas exclusivement un « modèle français » mais un phénomène anthropologique et politique fondamental. Assimiler et s’assimiler ce n’est rien d’autre que l’effort fait pour se rendre suffisamment similaires et semblables, afin de pouvoir « agir ensemble », qualité d’un peuple politique, et non simplement « vivre ensemble », comme une simple collection d’individus qui n’ont rien en commun.

L’assimilation est un processus d’abord social puis proprement politique : on s’assimile par les moeurs puis par la loi. Je distingue en ce sens l’assimilation de la simple intégration. Nous avons cru que nous pouvions intégrer par la loi sans assimiler par les mœurs. Nous avons séparé la sphère privée des mœurs de la sphère publique de la loi. Nous avons demandé aux immigrés de respecter la loi en contre-partie de quoi nous respecterions leurs mœurs. Cet idéal d’intégration républicaine est abstrait et ne pouvait fonctionner, car la loi est préparée par les mœurs, et est davantage le reflet de celles-ci qu’elle ne peut prétendre les former à elle seule. La question est donc de savoir comment on assimile par les mœurs ?

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En tant que processus social et politique, l'assimilation est à penser de manière relationnelle et intersubjective. Elle n’est pas un processus comparable à la digestion qui détruit les aliments qu’elle ingère. Elle est imitative et suppose donc une relation d’imitation. On ne peut forcer l’assimilation. « A Rome fait comme les romains », phrase qu’on cite souvent pour illustrer l’assimilation repose sur une conception mécanique et insuffisante de celle-ci. On assimile la langue maternelle par imitation d’un modèle fourni par des locuteurs qu’on aime et admire. L’assimilation imitative va de l’inférieur vers le supérieur (le copiste admire le modèle), de l’intérieur vers l’extérieur (le copiste désire s’approprier le modèle pour le faire sien), elle est d’abord unilatérale et non réciproque (ce n’est pas le modèle qui imite le copiste). J’insiste depuis longtemps sur la fertilité des analyses de Gabriel Tarde en ce domaine. Tout ceci veut dire qu’il y a des conditions de possibilités de l’assimilation qu’il faut réunir si on veut qu’elle fonctionne. C’est le rôle de la politique au sens noble qui doit chercher à favoriser et à orienter les processus d’assimilation pour les nationaux comme pour les étrangers. La nation se construit et se conserve autant par un travail d’assimilation sur elle-même que par un travail d’assimilation des étrangers. C’est ce travail sur soi qui donne à un peuple l’unité nécessaire pour se gouverner de manière démocratique.

L’idéologie migratoire et les failles du modèle d’assimilation fragilisent-elles notre pays ? Comment parvenir à ne pas être prisonnier de cette crise ? Comment sortir des débats idéologiques et apporter des solutions concrètes sur la question de l’assimilation, un enjeu clé pour la sauvegarde de notre démocratie ?

Une politique qui réhabilite l’assimilation doit avoir en vue sa nécessité mais aussi sa fragilité et sa difficulté. L’assimilation se fait naturellement dès lors que les conditions sont réunies : force du modèle national, désir de l’étranger, supériorité quantitative et ou qualitative du modèle par rapport au copiste. La force du modèle doit se décliner à tous les niveaux de la construction sociale de soi : famille, école, travail, culture. Toutes ces institutions reposent sur des hommes qui transmettent la richesse des modèles. L’assimilation ne peut fonctionner que si chaque niveau se ressaisit collectivement. Politique de la famille, de l’école, du travail, de la culture, le chantier est gigantesque et doit s’inscrire dans la durée. On n’assimilera pas de nouveau les étrangers par de simples coups de mentons volontaristes ou en répétant « identité nationale », « identité nationale »… Consciente de la difficulté de l'assimilation, une politique voulant relancer celle-ci doit limiter ses ambitions : elle doit limiter le nombre de ceux qu’elle veut assimiler et assumer que tout étranger ne peut l’être et donc ne peut devenir un national. Une véritable politique de l’assimilation doit donc garder deux fers au feu : refonder un véritable droit des étrangers en tant qu’étrangers et non en tant qu’étrangers automatiquement promus à devenir nationaux et une politique de naturalisation beaucoup plus réduite et exigeante pour ceux qui veulent et peuvent s’assimiler.

Est-il possible de retrouver une forme d’exigence de l’accès à la citoyenneté ?

C’est la question clef : que veut dire être citoyen et avoir droit de cité pour nous aujourd’hui ? Pour l’idéologie migratoire, si l’on veut pousser un peu les choses au bout de sa logique : a droit de cité quelqu’un qui stationne dans un pays. C’est le passage de l’immigré au migrant : lorsqu’elle promouvait l’immigré, l’idéologie migratoire faisait du travail la condition de la nationalité et de la citoyenneté, lorsqu’elle promeut aujourd’hui le migrant, elle fait de la simple « résidence » (c’est le terme européen) le sésame de la nationalité et de la citoyenneté. Nous serions ainsi citoyens potentiels de n’importe quel pays en tant que nous aurions le droit universel de circuler sur la planète Terre.

Retrouver l’exigence de la citoyenneté, c’est retrouver l’exigence de la politique, c’est à dire de l’action en commun. Qu’est-ce qui nous permet et nous donne le désir d’agir collectivement et de nous reconnaître les mêmes droits et devoirs ? Une seule réponse : l’amitié politique. Et qu’est ce qui construit cette amitié politique ? Une seule réponse : le lent processus pour se rendre similaire : l’assimilation.

Toute la question est alors de savoir si un commun national est resté suffisamment puissant en nous pour faire renaître une véritable exigence de citoyenneté ?

Retrouvez deux extraits de l'ouvrage, publiés sur Atlantico :

Vincent Coussedière publie « Eloge de l'assimilation : Critique de l'idéologie migratoire », aux éditions du Rocher

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