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Villes vertes : mais que se passe-t-il dans la tête de ces cadres qui votent contre leurs propres modes de vie ?
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Névrose de la culpabilité

De nombreux maires écologistes ont été élus lors des élections municipales soulignant l'importance des préoccupations environnementales au sein des populations urbaines. Quels sont les éléments amenant les cadres urbains à voter pour un parti qui va à l'encontre de leur style de vie ?

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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Florian  Silnicki

Florian Silnicki

Florian Silnicki est Expert en communication et Président Fondateur de l'agence de communication de crise LaFrenchCom (https://www.lafrenchcom.fr)

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Atlantico.fr : Suite aux élections municipales, un grand nombre de villes ont élu des maires écologistes caractérisant l'importance des préoccupations environnementales dans les populations urbaines. Quels sont les éléments amenant les cadres urbains à voter pour un parti qui va à l'encontre de leur style de vie ?

Michel Debout : Les politologues nous expliquent qu’il y a une dimension émotionnelle dans chaque vote alors que l’on considère souvent qu’ilrelève de la seule rationalité d’une décision réfléchie et tenant compte de convictions ancrées dans l’histoire de chaque électeur. Quand aux élections locales qui répondent à priori à des problématiques spécifiques, elles s’inscrivent aussi dans un mouvement plus large du corps électoral qui concerne l’ensemble de la population.  Ainsi se construit  une vague électorale dont la couleur peut passer  du rose au bleu puis du bleu au vert. 

Alors que chaque électeur se croit libre de son vote dans le secret de l’isoloir -et il l’est évidemment- ce vote s’inscrit dans une dynamique de groupe qui adresse un message à la société tout entière ; ce corps électoral n’est pas un corps sans tête ! Il fait des choix, et pour ces élections municipales il en a fait trois : l’écologie, portée par EELV, le social porté par la gauche et le rejet des candidats se réclamant du Président de la République.

Cette orientation verte a été observée principalement dans les grandes collectivités urbaines, avec comme conséquence le nombre de maires  défendant un projet écologique dans les grandes villes de notre pays.

Une large part de la population urbaine appartient à la catégorie des cadres  ,voire cadres supérieurs, des universitaires, des professions libérales, des lanceurs de start up ce que le Président désigne souvent comme les premiers de cordée .Il est légitime de se demander si ces électeurs là se donnent bonne conscience en votant pour des candidats dont les chois politiques vont remettre en cause leur mode de vie qui les amène souvent à utiliser les transports les plus rapides et performants c’est-à-dire voiture et avion,  ceux - là même qui produisent le plus de CO2 ,aggravant ainsi le risque climatique. 

Mais avant d’évoquer leur culpabilité il faut savoir si ces cadres ont véritablement choisi leur mode de vie, ou si en fait ils ne le subissent pas ?

Etre cadre aujourd’hui oblige à s’impliquer dans une réalité quotidienne faite de vitesse, de performance et de concurrence , qui en permanence d’être disponibles réactifs et mobiles.

Quel sens a leur travail aujourd’hui lorsqu’il se résume à la course à la productivité ? Quel sens a leur travail lorsqu’il oblige des déplacements qui ne permettent même pas la découverte de lieux nouveaux ou différents ?

Quel sens a leur travail lorsqu’il cannibalise le temps disponible, celui consacré aux enfants, à la famille, aux activités culturelles et sociales ?  

Le vote vert est bien un vote de dénonciation de ce mode de vie contraint et qui met en perspective le bien-être personnel et collectif.

Florian Silnicki : Nous sommes régulièrement interrogés par nos clients sur ce sujet qui interrogent les grandes entreprises comme les hommes politiques sur les véritables attentes prioritaires de l'opinion publique.

A première vue, on pourrait penser que les Français souffrent en matière d'écologie du complexe de Janus, le dieu romain aux deux visages et qu'ils seraient encore aujourd'hui dans leur vie privée et dans leur vie publique et politique, des hommes et des femmes à double face. Exemplaires en principe, énergivores en pratique. La réalité est plus complexe que cela. Elle est d'abord celle d'une transition, d'un processus de détoxification sur lequel nous reviendrons.

Les hommes et les femmes politiques sont régulièrement accusés de ne pas incarner au quotidien la société qu'ils défendent politiquement.

Les Français les accusent ainsi régulièrement de ne pas être authentiques. Les communicants de crise que nous sommes voyons chaque jour les médias s'amuser à dénoncer quotidiennement notamment dans des formats d'infotainment, la dissociation de la pensée politique et de l'action personnelle des hommes et femmes politiques (je lutte contre la fraude fiscale comme homme politique alors que je suis en privé un fraudeur, j'appelle de mes voeux la justice mais je tente d'y échapper comme politique, je lutte comme femme politique contre le réchauffement climatique mais pour mon plan compol perso je vais prendre l'avion juste pour une photo sur les pôles… les exemples ne manquent pas).

Aujourd'hui, que vous soyez une grande entreprise ou un politique de premier plan, vous devez bien comprendre que la société a changé.

L'opinion publique se structure désormais par clan. Nous sommes dans l'ère de la meute (ou de la horde). Il est devenu essentiel pour chacun des Français pour bien vivre de revendiquer l'appartenance à une horde sociale répondant à un système de valeurs affichées pour exister et trouver sa place. Les Français sont de plus en plus nombreux à souhaiter se refléter dans une horde bien déterminée qui structure son quotidien, ses aspirations, ses objectifs, ....

L'essor des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de socialisation ont accéléré ce mouvement en offrant des moyens de mise en relation de groupes qui ne se rencontrent pas forcément dans la vie réelle mais qui constituent des hordes sociales virtuelles.

Assez souvent, l'étude de leurs échanges publiés sur les réseaux sociaux révèlent que les membres d'une horde sociale sont insensibles aux critiques émises vis-à-vis de leur propre incohérence. 

Est-ce que ces personnes sont prêtes à changer réellement de style de vie ou ce n'est qu'une façade ?

Michel Debout : Il n’y a pas que certains électeurs qui soient prêts à un changement de façade (mais qui souhaitent au fond que rien véritablement  ne change), c’est aussi le cas de certains élus qui, parfois pour des raisons acceptables, ne mettent pas en œuvre le programme sur lequel ils se sont engagés, ce qui crée le malaise démocratique que constaté aujourd’hui par la montée des abstentionnistes.

A l’inverse beaucoup d’électeurs s’engagent réellement pour un changement des conditions de travail, des relations sociales et surtout des relations nouvelles avec la nature et la biodiversité. Les cadres ont conscience, parce que souvent très informés, que la menace du réchauffement climatique n’est pas à ranger dans la catégorie des fakenews, mais qu’au contraire elle pèse sur le destin humain lui-même. 

Ce n’est pas la planète qui est en cause. Elle survivra aux hommes comme elle a longtemps existé sans eux ! C’est bien la vie humaine qui est soumise aux variations du climat, qui rendra demain la vie humaine impossible sur de vastes territoires, entraînant ainsi des mouvements migratoires, eux-mêmes sources de conflits et peut-être même d’exterminations, si le réchauffement dépasse les 2 degrés.

La COP 21 réunie à Paris en 2015, a engagé les nations du monde vers la transition énergétique, elle a tracé un chemin nouveau dans lequel chaque pays s’est engagé -mais sans contrainte- pour une nouvelle économie moins productive en carbone ;  mais, même en France les changements politiques économiques et sociaux n’ont pas suivi et la production du gaz carbonique reste à un niveau inacceptable.

Et si les cadres voulaient vraiment changer de vie pour préserver la vie ?

Florian Silnicki : Chacun pense qu'il fait déjà beaucoup d'efforts. Chacun pense que l'effort déterminant peut ou doit être fait par le voisin qui a un plus grand impact dans l'accélération de la transition écologique. Il faut
remarquer que la force et la faiblesse de ces tribus c'est que la solidarité entre les membres de la horde sociale l'emporte toujours sur la réalité des comportements individuels.

Les Français naviguent aujourd'hui entre des systèmes de valeurs différents. Les choix des hordes sociales sont encore immatures. C'est cette superposition de valeurs qui peut rendre illisible la réalité de l'engagement des Français en matière d'écologie par exemple. Les Français ne sont pas insincères, ils sont encore tiraillés entre des systèmes de valeurs différents et des hordes sociales qui appellent parfois une remise en cause de leur vie personnelle.

Il faut d'ailleurs remarquer que ces hordes sociales sont l'une des clés de la violence dans le débat public. Le système de hordes sociales qui oblige chacun à se définir en revendiquant l'appartenance à un groupe (les gays, les cathos, les écolos, les policiers, les antifas...) organise la simplification de la lecture du monde et des enjeux politiques mais elle entraine également une multiplication des oppositions et des affrontements et une décomplexion de la violence qui va avec dans l'espace public.

Lors des Gilets Jaunes, comme communicant de crise, nous avons eu à faire à une multiplication des sollicitations par les multinationales comme par les grands responsables politiques qui n'arrivaient pas à lire les enjeux de la société. Ils ne comprenaient pas que des Français sensibilisé aux questions écologiques rejettent dans le même temps les mesures de taxation verte. Nous vivons une transition sociale. Comme dans toutes les transitions, il y a une période de désintoxification et de d'hésitation (de remise en cause).

Pour un observateur lambda, ne plus être alcoolique est simple : il suffit de ne plus boire. Toutes les familles et tous les addictologues ayant eu à soutenir et à sevrer une personne alcoolique savent pourtant que la réalité est bien plus complexe que cela. Le comportement alcoolique peut perdurer bien après avoir affirmé sa volonté de vivre normalement. Il en est de même sur cette question écologique. Les Français s'affirment progressivement une identité écolo ou non par le rattachement à une horde sociale. Dans le même temps, ils mesurent la difficulté de la mise en cohérence de la
réalité de leur train de vie avec celles de leurs aspirations sociales.

L'enjeu est donc le suivant : comment renoncer à afficher sa réussite en roulant dans une belle voiture de luxe polluante ou partir découvrir le monde en avion mais dans le même temps tenter de manger bio, sain et local comme ma horde sociale dénonce l'industrie agroalimentaire et ses dérives ? Comment renoncer à mes douches qui s'éternisent mais tenter de lutter contre les sacs plastiques qui polluent les océans et que ma horde sociale dénonce (et j'aime m'identifier à cette horde sociale luttant pour la préservation des petits mammifères marins trop mignons à partager sur les réseaux sociaux pour faire du like)

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