Vers un retour de l’austérité : mais pourquoi l’Europe reproduit-elle les erreurs de politique économique qui l’ont déjà plombée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Bruno Le Maire a révisé la croissance à 1% pour 2024 et économise 10 milliards d’euros, notamment sur MaPrimeRenov.
Bruno Le Maire a révisé la croissance à 1% pour 2024 et économise 10 milliards d’euros, notamment sur MaPrimeRenov.
©Ludovic MARIN / AFP

Restrictions budgétaires

Après quatre années particulières liées à la pandémie avec des aides massives face à la crise inflationniste, l'Europe fait face au grand retour des restrictions budgétaires et de l'austérité en France, en Allemagne et en Italie, avec un grand nombre de mesures.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Après quatre années particulières liées à la pandémie avec des aides massives face à la crise inflationniste, l'Europe fait face au grand retour des restrictions budgétaires et de l'austérité en France, en Allemagne et en Italie, avec un grand nombre de mesures. En quoi cette politique de restrictions budgétaires et de retour de l'austérité est une erreur économique ?

Don Diego De La Vega : Il ne s’agit pas complètement d’un retour de l'austérité. Les mesures annoncées sont essentiellement des coupes budgétaires forfaitaires à la petite semaine pour préserver les apparences ou pour tenter vaguement de rééquilibrer les budgets. L'austérité, c'est un vrai régime et un véritable changement de cap par rapport à la période des trois à quatre dernières années. L'austérité s'accompagne d'une réduction des dépenses qui peut éventuellement être couplée à une hausse des impôts. Cela pourrait se faire à un moment de déflation. 

Des ajustements sont appliqués à travers le programme de 10 milliards de correction budgétaire annoncé par Bruno Le Maire. Mais cela ne correspond pas vraiment à de l'austérité. En réalité, le ministre de l’Economie et des finances savait très bien qu’il n’y avait aucune chance pour que la France puisse atteindre 1,4 % de croissance. Cette annonce était un mensonge budgétaire plus que de l'austérité budgétaire et même nous ne sommes pas certains d’atteindre les 1 %. Il faudra faire à nouveau quelques corrections ou laisser filer un peu de déficit. Si nous laissons filer le déficit avec le stock de dette que nous avons et facturé à maintenant à 4 % par la BCE, cela correspond à une correction budgétaire pour arrondir les angles.

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Plus que la dette en soi, le problème n'est-il pas les dépenses publiques dont personne ne questionne véritablement l'efficacité ? A quoi faudrait-il consacrer l'argent avec lequel on s'endette ? Pourquoi la dette est devenue un produit financier et avec l'absence de perspectives de croissance, cela n’entraîne-t-il pas beaucoup moins d'investissements ?

Il faut effectivement interroger non seulement l'efficacité, mais aussi l'efficience des dépenses publiques. La dépense publique en Europe et en France a une certaine efficacité. Mais son efficience est vraiment très, très faible. La dépense publique parvient à accomplir certains objectifs, comme la paix sociale, mais le problème reste l'efficience. Des questions peuvent se poser sur le coût d’opportunité et sur ce qui aurait pu être fait avec la même somme. Est-ce qu'il ne serait pas possible de faire même éventuellement beaucoup mieux avec moins d'argent ? La France n’est pas très efficiente dans ce domaine. En dépensant 100 milliards par an, certains objectifs sont clairement atteints et cela contribue à une certaine efficacité. Par contre, l'efficience laisse franchement à désirer. 

La question de la dette soulève tout le problème de l'économiste et du financier. Il y a une certaine offre de titres publics mais il y a une certaine demande de sécurité, de produits financiers moins volatils que les actions. Il faut se poser la question de l'offre, via le déficit de l'offre de nouveaux titres publics sur le marché, mais aussi effectivement de la demande. C'est un bon réflexe à avoir, mais il fallait plutôt l'avoir dans la décennie précédente à un moment où personne n'avait malheureusement ce réflexe et où par conséquent, tout le monde pensait que tout allait monter à cause des déficits. 

Les politiciens français comme François Fillon ont sorti une formule avec laquelle ils expliquaient que si on faisait des déficits, les taux d'intérêt allaient monter. Ce raisonnement n’était pas le bon car justement il y avait ce problème d’offre et de demande. Par contre, le déni dans lequel nous sommes est différent. Les niveaux de dette ont vraiment monté et dans un pays comme la France, ce n'est pas seulement la dette publique, c'est aussi la dette privée. Et cela entraîne un problème d'indigestion. Il y a encore une demande pour les titres de dette, les titres de créances. Mais cette demande n'est pas infinie. Et l'offre a quand même beaucoup augmenté. Il ne faut donc pas avoir tout à fait le même rapport qu'il y a dix ou quinze ans où il était possible de dédramatiser la réalité des déficits via un discours sur le fait que les citoyens veulent plus de sécurité, souhaitent investir dans de l'assurance vie.

Les politiques de restrictions budgétaires, menées de manière erronée (en réduisant les dépenses là où cela est le plus facile de le faire plutôt que véritablement là où il serait plus intelligent de le faire, notamment en raison des résistances sociales ou syndicales) ne sont-elles pas néfastes. Tout cela n'a-t-il pas un effet pro-cyclique qui accentue la récession ?

La procyclicité est un problème de décalage temporel. Vous ne coupez pas les dépenses au bon moment et vous n'accélérez pas les dépenses au bon moment. 

Est-ce qu'il ne faudrait pas par exemple dépenser 2 € pour vraiment avoir la paix dans la rue et la sécurité publique plutôt que de dépenser 1,2 € et avoir plein de délinquants dans la rue? Il faut se poser la question des effets, au-delà de l'efficience, de la dépense publique. Est-elle efficace ou efficiente ? Est-ce que nous aurions plutôt intérêt à dépenser plus à certains endroits afin d’obtenir vraiment des résultats pérennes, quitte éventuellement à dépenser moins, voire pas du tout, dans des domaines où l'initiative privée ou d'autres dispositifs peuvent remplacer la dépense publique. Cette voie a été tentée, notamment en Nouvelle-Zélande. Cette stratégie visait à essayer de faire une vraie évaluation des politiques publiques et de dépasser la logique comptable ordinaire pour aller vers une logique patrimoniale et des effets concrets des dépenses publiques, par exemple avec des indicateurs sur la sécurité.

S’il faut faire un gros chèque pour avoir la sécurité publique, faisons un gros chèque, mais de façon transparente, avec des objectifs, des critères et en obtenant vraiment la sécurité quitte, dans ce cas-là, a moins dépenser sur d'autres domaines jugés moins prioritaires. Il serait crucial de pouvoir évaluer, étape par étape, les effets des investissements réalisés tout en essayant d’imposer les bonnes incitations pour les agents publics, sans leur renvoyer toujours l'idée qu’ils n’ont pas une obligation de moyens mais qu’ils ont une obligation de résultats, même si cela coûte cher. Si véritablement on considère que la sécurité publique coûte cher mais que l’investissement sera bénéfique, il est possible de laisser dériver un peu le déficit, au moins temporairement, mais au moins sur ce terrain-là, des résultats seront obtenus.

Cette logique va totalement à l'encontre de la tradition française qui consiste à ne jamais évaluer et qui consiste à laisser des gens qui n'ont aucune compétence faire semblant de faire de l'évaluation, je pense notamment à la Cour des comptes, au fait de ne surtout pas laisser les parlementaires enquêter et à laisser l'administration seule juge et partie. Avec cette tradition française, il est très difficile de s'améliorer, de poser les bonnes incitations, d'aller vers une comptabilité patrimoniale et il est très difficile d'aller vers véritablement l'efficience de la dépense publique. Cela ne correspond pas à la tradition européenne et encore moins française. La tradition française est plutôt de l'ordre de la ligne Maginot. On dispose nos dépenses publiques un peu partout, on les disperse et on n'évalue rien.

Est-ce que par le passé, il n'y a pas eu des erreurs qui ont été commises partout en Europe après la grande crise de 2008-2009 ou pendant la crise des dettes souveraines en Grèce, notamment avec les politiques d'austérité ?

Les observateurs souhaitent absolument un narratif qui pose comme conclusion que la crise des années 2010, un peu partout en Europe du Sud, était liée à un certain nombre de mesures d'austérité. Ils veulent absolument budgétiser cette question, en faire un problème d'austérité budgétaire. Ce n'est pas complètement faux, mais à certains endroits, à certains moments, cela a été effectivement le cas. Il y a eu des politiques procycliques qui étaient des politiques de rigueur à un moment où il ne fallait pas être spécialement rigoureux. Il aurait fallu être rigoureux en 2005 et moins rigoureux en 2012. Le fond du problème de ces pays-là était la politique monétaire de la BCE qui correspondait à une stratégie de terreur politique avec un euro beaucoup trop cher. Suite à cette politique, les Grecs, les Italiens, les Espagnols, les Portugais n'avaient aucune chance de s'en sortir parce que l'euro était à des niveaux stratosphériquement trop élevés par rapport au dollar et au yen. Il y avait un problème de politique monétaire. Les taux d'intérêt avaient été maintenus trop longtemps et trop haut. La démographie, les difficultés budgétaires, le fait que les armateurs grecs ne payent pas leurs impôts ont participé à ce phénomène. Mais 90 % de l'explication repose sur la responsabilité de la BCE, trop lente à déclencher le quantitative easing, à baisser les taux, à faire baisser l'euro. La politique de la BCE est l’explication centrale. 

Cela a conduit à une austérité monétaire et cela s’est couplé à une austérité budgétaire malvenue. Mais l'essentiel de l'explication repose sur le fait, qu'à un moment, les Italiens, les Espagnols, les Grecs auraient eu besoin de taux d'intérêt négatifs. À ce moment-là, ils étaient à 4 %. Ils auraient eu besoin d'un euro en dessous de la parité avec le dollar. Ils auraient eu besoin d'une politique d'abandon de créances, de rachats de créances par la BCE ou de quantitative easing. Il a fallu attendre 2015 pour que la BCE daigne enfin vouloir défendre son bilan et monétiser certaines dettes.

Pourquoi est-ce une erreur politique ? Et pourquoi l'Europe reproduit-elle les erreurs de politiques économiques qui l’ont déjà fragilisé ?

Il est de coutume de reproduire toujours les mêmes erreurs. Il est logique que cela concerne aussi les états. Lorsque l’on ne reproduit pas les mêmes erreurs, c'est généralement lié au fait qu’une sanction soit intervenue. Or, ce n’est pas encore arrivé aux élites européennes. Elles sont toujours en place et s'échangent toujours les places. Des dirigeants de la génération de Mitterrand ont encore des places importantes dans l'Etat en France. Il n'y a pas eu de sanctions.

En règle générale, les erreurs se reproduisent dans le silence institutionnel. Cela gangrène et se métastase pendant très longtemps. Les erreurs ne sont vraiment corrigées que lorsque l’on est confronté au choc de réalité de manière frontale. Mais tant qu'il n'y a pas de sanctions, tant qu'il n'y a pas d'incitation à ne pas recommencer les mêmes erreurs, il n’y a pas de changements. 

Isabel Schnabel, la représentante allemande au directoire de la BCE, a produit un nouveau texte où elle commence par dire que l'euro est unanimement respecté et unanimement accepté et considéré comme le fin des fins de la politique monétaire. Elle indique donc qu’il n'y a pas de problème macro, que la BCE fait toujours très bien et que l'euro est parfait. Et elle a l’intention de nous expliquer pourquoi l'Europe ne fonctionne pas bien. C'est un problème de micro-économie, de nullité managériale dans les entreprises et de manque d'incorporation du progrès technique par les PME. Voilà le problème, voilà pourquoi l'Europe échoue et pourquoi la zone euro ne va pas toujours très bien. Selon eux, le problème ne vient jamais de Francfort. Lorsque l’on est dans cette logique là et qu'on est contredit par personne parce qu'on est un banquier central, indépendant, que les politiques ne challengent plus la BCE et qu'il n'y a pas d'élections pour la BCE, que les médias ne font pas leur travail, il n’y a pas de concurrence, on continue à dire n'importe quoi en toute impunité et on reproduit ad nauseam les mêmes erreurs, les mêmes fautes.

Retrouvez ci-dessous un extrait de l’article “L’analyse du résultat de plus de 200 élections en Europe dresse une sombre image de la facture politique des politiques d’austérité” :

Ricardo Duque Gabriel et Mathias Klein : Nous constatons que les consolidations fiscales entraînent une augmentation significative de la part de voix des partis extrêmes, une baisse de la participation électorale et une augmentation de la fragmentation politique. Les partis d'extrême droite et d'extrême gauche profitent des réductions des dépenses publiques. En outre, les mouvements vers des partis plus extrêmes sont présents pour les élections régionales, nationales et européennes. L'augmentation de la part de voix des partis extrêmes est plus importante lorsque l'assainissement budgétaire est mis en œuvre en période de récession plutôt qu'en période d'expansion. En outre, les effets sont un peu plus marqués dans les régions rurales et pauvres. Les coûts politiques de l'austérité dépendent également de manière significative de l'orientation politique du parti qui met en œuvre la mesure de consolidation. Nous constatons que l'augmentation du vote extrême est beaucoup plus importante lorsque la consolidation est mise en œuvre par un gouvernement de centre-gauche. En revanche, l'effet est à peine significatif lorsque les partis de centre-droit réduisent les dépenses publiques.

(...)

Nos résultats suggèrent en outre que les consolidations fiscales entraînent une baisse de la confiance des citoyens dans le gouvernement, ce qui explique en partie le mouvement de désaffection pour les partis plus traditionnels. Il est intéressant de noter que la méfiance à l'égard du gouvernement augmente plus fortement lors des récessions économiques provoquées par des consolidations fiscales que lors des récessions non liées à des consolidations fiscales. Les récessions dues à l'austérité sont particulières car elles amplifient considérablement les coûts politiques des récessions économiques en créant plus de méfiance dans l'environnement politique.

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