Vendre à perte, d’où vient cette idée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne le 28 septembre 2023.
Elisabeth Borne le 28 septembre 2023.
©DAMIEN MEYER AFP

Idéologie

Elisabeth Borne a eu l'idée, pour faire baisser les prix des carburants, de demander aux entreprises concernées de "vendre à perte". Sans concertation préalable avec les entreprises du secteur, l'idée a rapidement tourné court.

Christian Semperes

Christian Semperes

Christian Semperes est coach professionnel certifié RNCP 7 en développement personnel et superviseur de coachs. Il a travaillé à EDF pendant 36 ans dans les domaines de la production d’électricité d’origine nucléaire, du management des hommes et des femmes, du management des compétences et de l’andragogie (pédagogie pour adultes).

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Mme Elisabeth Borne a eu une idée pour faire baisser les prix des carburants, à savoir, demander aux entreprises concernées de "vendre à perte". Sans concertation préalable avec les entreprises du secteur, l'idée est tombée. Et elle a rapidement tourné court, dans la bouche du Président de la République, en parlant maintenant de « vente à prix coûtant. »

Mais revenons sur cette première notion de "vente à perte". D'où provient-elle ? Alors qu'elle est première ministre d'un président qui prône le "en même temps", en quoi est-elle révélatrice de sa couleur politique ? 

Rappelons que la vente à perte est interdite par l'article L442-5 du Code du Commerce ce qui est compréhensible. Un grand groupe qui ne vend pas que du carburant pourrait se permettre de le vendre à perte et reporter cette perte sur d'autres produits. Ce qui serait une concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises qui, elles, ne vendent que du carburant. Cela reviendrait à l’organisation par l’État lui-même de l'asphyxie des petites entreprises indépendantes par les grands groupes. Étonnant quand même que tous les technocrates de Bercy et Matignon réunis n’y ait pas songé avant. Auraient-ils souffert d’un aveuglement doctrinaire ? 

Pour le savoir il nous faut trouver qui a bien pu être l’inspirateur de cette idée. Savez-vous qu'il y a en France au moins un grand groupe industriel de l'énergie, dont l'actionnaire est l'Etat, qui s'est vu imposer par pure idéologie et non pas pour le bénéfice des consommateurs, la pratique de la vente à perte depuis 12 ans, depuis 2011 ?

Le grand groupe en question, vous l’aurez devinez, c’est EDF et plus particulièrement sa branche nucléaire qui se voit obligée par son actionnaire, l’État, de vendre à perte aux entreprises alternatives, un tiers de sa production, excusez du peu, à un prix de 42€/MWh, soit un manque à gagner de 18,7€/MWh, en rapport à la dernière estimation de la CRE, Commission de régulation de l'énergie, à 60,7€/MWh. 

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Pourquoi ? Parce que l’Allemagne voyait en EDF un coriace concurrent qui, par son prix faible de l’électricité, donnait aux entreprises françaises un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises allemandes. L’Europe d’Ursula Von Der Leyen est donc venue répondre à la demande de l’Allemagne.

Pour qui ? Les entreprises alternatives qui bénéficient de ce dispositif, comme TOTAL Energie, par exemple. Rendez-vous compte, les entreprises bénéficiaires n'ont rien investi en moyen de production, ne produisent pas d'électricité, ne la transportent pas et ne la distribuent pas non plus. Ils ne font qu'un jeu d'écriture pour facturer l'électricité à leur client au prix du marché, en ce moment à 100€/MWh en moyenne. Ce qu’on appelle « faire la culbute », vendre plus du double du prix acheté, sans contrainte d’investissement, de production, de transport et de distribution. Et avant le récent bouclier tarifaire du gouvernement, à 180€/MWh, ils pouvaient revendre cette électricité achetée 42€/MWh au prix du marché 200, 300, voire 1000€ en plein hiver. Royal ! C'est ce qu'on appelle le dispositif ARENH Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique.

Vous aurez aussi noté que, comme si 1/3 de production nucléaire vendue à perte ne suffisait pas, Mr Bruno Le Maire a ajouté 20TWh supplémentaires de production nucléaire, également vendus à perte en passant de 42 à 46,2€/MWh. Vous aurez compris le bénéfice pour les entreprises alternatives, comme TOTAL Énergie, qui peuvent vendre l’électricité à 180€/MWh, soit 4 fois plus chère. 

Ce dispositif a-t-il fait baisser le prix de l'électricité ? Je vous laisse répondre à la question. Qui ont été les bénéficiaires de cette vente à perte, je vous laisse répondre aussi à cette question, j’en ai cité au moins un, Total Énergie, qui, par la voix de son PDG, Patrick Pouyanné, se refuse de vendre à perte son carburant. Somme toute logique !

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Quelle était l'intention de l’ARENH ? Là, je vais y répondre ! L'objectif était pour l'Allemagne d'affaiblir son plus grand concurrent énergétique EDF et surtout sa branche nucléaire. D'abord pour un objectif économique et concurrentiel de remonter le coût de l'électricité française aux entreprises françaises pour rétablir l'équilibre avec les entreprises allemandes pénalisées par le coût exorbitant de l'Energiewende, sa transition dite écologique. L'autre objectif, idéologique cette fois, consistait à assécher les provisions d'EDF pour le financement futur du nucléaire. D’une seule pierre deux coups !

Revenons donc à l'idée de Mme Borne. En quoi cette idée de forcer les entreprises du secteur des carburants de vendre à perte est révélatrice de sa couleur politique ? Puisqu’on a contraint le secteur nucléaire français de vendre à perte, pourquoi ne pas répéter cette mesure aux énergies fossiles ? Après avoir porté un coup au grand Satan nucléaire, on porterait un coup au grand Satan du grand capital. D’une pierre deux coups, de nouveau, là aussi, un coup VERT et un coup ROUGE. Comme la préparation du grand soir de la décroissance contrainte, ce qu'on appelle la Collapsocratie, l'implosion idéologique de la société par des mesures gouvernementales contraintes, comme dans les pays socialistes à économies planifiées. La politique de la terre brûlée, pour un ordre nouveau et un nouveau monde, ROUGE et VERT, en même temps. L’idée de Mme Borne est révélatrice de sa couleur et de son idéologie politique. 

En résumé on se rend compte que toutes les mesures actuelles, et ce, depuis 12 ans, n'ont pas été prises dans l'intérêt général - il suffit de regarder le prix de l’électricité - mais de manière idéologique. Plus grave encore, me semble-t-il, les mesures sont dictées par une puissance étrangère, certes européenne, mais qui n’agit systématiquement que pour son propre intérêt. 

On comprend mieux maintenant comment l’Allemagne gagne une guerre hégémonique sans canon, mais avec la collaboration active des États européens, dont la France.  

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