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Varoufakis contre Schäuble : comment le ministre grec des Finances a expliqué à son homologue allemand ce qu’il ne voulait surtout pas entendre
©REUTERS/Fabrizio Bensch

David contre Goliath

Très attendue, la rencontre entre les ministres grec et allemand des finances a eu lieu ce jeudi 5 février. Face au discours bien rôdé de Wolfgang Schauble, Yanis Varoufakis ne s’est pas contenté de chercher une solution pour son seul pays. C’est la stratégie globale européenne qu’il cherche à remettre en cause.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Pour les amoureux du sport, aucune inquiétude, le match a bien eu lieu. Ce jeudi 5 février, le célèbre et emblématique Wolfgang Schäuble, ministre des finances d’Angela Merkel, recevait son homologue grec, nouvelle coqueluche économique de la zone euro, Yanis Varoufakis. Après un échange de deux heures, qualifié "d’intense", les deux hommes se sont livrés à l’exercice de la conférence de presse. Un véritable show qui n’aura déçu personne.

Wolfgang Schäuble brisa immédiatement un suspens inexistant en annonçant leur désaccord : "Nous sommes d’accord pour dire que nous sommes en désaccord". Le ton était donné. Le respect des règles européennes, de la parole donnée, des engagements pris, a été l'argument logique et consensuel avancé par le ministre allemand pour défendre une position bien connue. Et l’analyse de fond resta inflexible; les problèmes grecs viennent uniquement de la Grèce, et l’Europe n’a rien à voir là-dedans. L’Allemagne encore moins. La ligne Schäuble est tracée, aussi droite que dure. La Grèce doit payer ses excès passés, il n’y a rien à discuter.

La proposition faite, aussi absurde qu’humiliante, d’envoyer 500 inspecteurs du fisc allemand en Grèce, afin de restaurer l’état de droit fiscal fut ignorée par Yanis Varoufakis. Mais elle en a dit long sur le mépris de son homologue de Berlin.

Puis, ce fut au tour du ministre grec de prendre la parole : "Nous voulons mettre en place les conditions permettant de sortir de cette crise apparemment sans fin". En l’occurrence, Yanis Varoufakis ne parlait pas ici que du cas grec. Son ambition, sans doute démesurée, n’est pas simplement de changer la donne pour son pays; il cherche à modifier l’ensemble de la doctrine économique européenne. La mendicité n’est pas au programme.

Car ce que le nouveau ministre de Syriza a compris, c’est qu’un énième plan de sauvetage ne changera rien à la situation de la Grèce. C’est l’intégralité de la stratégie macroéconomique de la zone euro qui doit être modifiée pour que des résultats tangibles puissent être obtenus. Afin d’argumenter son propos, Yanis Varoufakis va alors se lancer dans une critique profonde de la politique menée par la zone euro depuis 6 ans. La Troïka a échoué car elle a agi en répondant à une crise de liquidité alors qu’il s’agissait d’une crise d’insolvabilité. Elle s’est trompée.

En effet, l’erreur économique du plan mis en place par la Troïka, c’est-à-dire du FMI, de la Commission et de la Banque centrale européenne, réside dans le fait d’avoir prêté davantage de fonds à un pays qui ne pouvait pas les rembourser. C’est ainsi que 90% des nouvelles sommes allouées à la Grèce n’auront servi qu’à rembourser la dette existante. Puis, afin de souligner encore un peu plus l’absurdité du plan, le ministre a fustigé la stratégie unique et absolue de l’austérité. Et dont le seul objectif est de redresser la "compétitivité" du pays. Car cette stratégie n’aura eu pour résultat que de produire une baisse considérable des revenus du pays. En réalité, le bilan est une chute de 25% du PIB. Rendant évidemment impossible toute amélioration de la situation du débiteur, comme de celle du créancier. Comment rembourser une dette qui augmente avec des revenus qui baissent ?

Pour Yanis Varoufakis, L’enjeu n’est donc pas de remettre une pièce dans la machine. Mais de changer la stratégie de fond en comble. Pour Wolfgang Schäuble, ce discours fut insupportable. Comment la Grèce peut-elle oser remettre en cause ce qui est l’alpha et l’oméga de la politique économique européenne ? A savoir, la recherche de la compétitivité comme seule perspective, et ce, sans aucun soutien. Ni du pouvoir budgétaire, ni du pouvoir monétaire. Un chemin de croix.

Mais dans le contexte politique européen, le débat est évidemment totalement déséquilibré. Le fait objectif, que l’analyse de Yanis Varoufakis soit correcte, n’a que peu de poids face à la suprématie actuelle de l’Allemagne au sein de la zone euro. Le plus faible ne peut avoir raison, c’est une question de principe.

Afin de tenter de provoquer une ultime prise de conscience de Wolfgang Schäuble, Yanis Varoufakis va alors tenter d’inviter les années 30 dans le débat. Qui d’autre que l’Allemagne connaît mieux les dégâts provoqués par une situation de déflation par la dette ?

"Si vous humiliez une nation fière pendant trop longtemps et la soumettez aux affres d'une déflation par la dette, sans lumière au bout d'un tunnel, alors les choses arrivent à ébullition." "Quand je vais rentrer au pays ce soir, je vais retrouver un Parlement dans lequel le troisième parti n’est pas un parti néo nazi, c’est un parti nazi"

Mais là encore, pour être compris, il y a des passés qui ne méritent sans doute pas d’être rappelés.

La suite de la tentative de conciliation entre les deux pays se déroulera le 12 février prochain, lors du prochain sommet de l’Union européenne, à Bruxelles. Et c’est à cette occasion qu’Angela Merkel rencontrera Alexis Tsipras. Les dirigeants grecs, aussi "Syriza" soient-ils, sont en train de porter un débat courageux au sein de la zone euro. Ils peuvent être considérés comme des "extrémistes", mais cela serait faire obstruction à la réalité. Les diagnostics proposés par Yanis Varoufakis ne sont pas différents de ceux qui ont été établis aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. C’est le sens de ce qu’est l’extrémisme économique qui est peut-être à revoir.

Mais pour le moment, aucune inflexion réelle de la position allemande ne semble être à l’ordre du jour. Seul le plan de relance monétaire mis en place le 22 janvier dernier par la Banque centrale européenne pourrait offrir un avenir à la Grèce. Encore faudrait-il qu’elle ait le temps d’en profiter.

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