Une taxe financière pour permettre d’augmenter les salaires de 20% ? Radioscopie de quelques lourdes erreurs de calcul<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Une taxe financière pour permettre d’augmenter les salaires de 20% ? Radioscopie de quelques lourdes erreurs de calcul.
Une taxe financière pour permettre d’augmenter les salaires de 20% ? Radioscopie de quelques lourdes erreurs de calcul.
©bertrand GUAY / AFP

Solutions alternatives ?

Dans le cadre de l'élection présidentielle, Guillaume Peltier, vice-président délégué des Républicains, a proposé dans les colonnes du JDD l'idée de la suppression intégrale de l’ensemble des cotisations sociales pour les salariés et les employeurs afin de faire augmenter les salaires de 20%. Guillaume Peltier estime que l’ensemble des coûts de la protection sociale pourraient aussi être assurés par une "microtaxe" de 2% sur les transactions financières et sur les paiements électroniques.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »
Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico : Dans sa récente projection pour le JDD des cent premiers jours d’une présidence LR à l’Elysée, Guillaume Peltier, vice-président délégué des Républicains, propose la suppression intégrale de l’ensemble des cotisations sociales pour salariés et employeurs afin de faire augmenter les salaires de 20%, et d’ainsi faire coïncider salaires brut et net pour l’ensemble des Français. Cette proposition est-elle réaliste, ou du moins souhaitable ?

Philippe Crevel : Que les salaires soient faibles en France et qu’ils stagnent depuis de trop nombreuses années est un constat amplement partagé. Les causes en sont multiples. Le haut niveau des prélèvements, cotisations sociales et impôts de production, ainsi que les multiples systèmes d’allègement générant des effets de seuil constituent un frein à la création d’emplois et à l’augmentation des rémunérations. Les faibles gains de productivité, la durée réduite du temps de travail contribuent également à la situation française. Le déclin de l’industrie, industrie qui est générateur de salaires plus élevés que dans le tertiaire explique également l’évolution de la masse salariale dans notre pays. La fin des cotisations sociales est séduisante sur le papier. Elle pose néanmoins le problème du financement des dépenses publiques. Si la France a des problèmes de compétitivité, c’est en raison de leur niveau élevé, 56 % du PIB avant la crise sanitaire.

L’opération de suppression des charges sociales revient à définitivement couper le lien entre travail et protection sociale. Celle-ci sera de plus en plus beveridgienne et moins bismarckienne. La logique de l’assistance l’emportera sur celle de l’assurance. Il y aura un risque de surenchère, qui certes est déjà bien présente.

À Lire Aussi

Le nouveau mal français : la baisse du niveau de vie

Quels pourraient être les effets d’une telle mesure, le “choc de pouvoir d’achat” promis par M. Peltier est-il réellement envisageable ?

Philippe Crevel : Quand Emmanuel Macron a pris plusieurs mesures d’aides aux ménages après la crise des gilets jaunes, les 17 milliards d’euros qui y ont été affectés ne sont pas du tout retrouvés dans la consommation mais dans l’épargne. Ce choc de pouvoir d’achat peut ne pas avoir les effets souhaités. Il pourrait générer un surcroît d’épargne, une augmentation du prix des logements, etc. C’est une opération à un coup, à tendance populiste qui règle en rien les problèmes structurels du pays.

Guillaume Peltier affirme en outre que l’ensemble des coûts de la protection sociale (490 milliards annuellement selon lui) pourraient être assurés par une “microtaxe” de 2% sur les transactions financières et sur les paiements électroniques qui rapporterait annuellement 540 milliards d’euros à l’Etat, est-ce une position tenable ?

Philippe Crevel : Les alchimistes sont de retour. Monsieur Guillaume Pelletier crée une taxe portant sur un cinquième du PIB d’un coup de baguette magique qui a première vue ne toucherait pas les ménages. Facialement, elle offre l’avantage de s’en prendre à la finance honnie. Elle aurait ainsi presque une vertu morale. Or, il oublie que ce n’est pas en mettant une taxe sur une vache que la vache paie la taxe. Au niveau fiscal, comme le souligne l’économiste Pascal Salin, il n’existe qu’un seul contribuable, le citoyen. Il peut être salarié, travailleur indépendant, consommateur ou épargnant, il acquitte in fine tous les impôts. Les entreprises, les banques, les assureurs, les fonds d’investissements, les traders répercutent les impôts et les prélèvements qu’ils subissent. L’entreprise pourra décider de jouer sur les salaires, sur les dividendes ou sur les prix de vente. Les établissements financiers pourront moins payer leurs salariés, moins bien rémunérer leurs actionnaires, augmenter les commissions sur leurs clients et ponctionner la rémunération des épargnants. Il reste toujours la possibilité de frapper les étrangers, ce qui serait protectionniste et se retournerait contre nos intérêts. Il ne faut pas oublier qu’un quart des actifs travaillent pour l’exportation. Une telle taxe nuirait à l’attractivité de la place financière de Paris au moment où nous avons besoin de capitaux pour financer la dette publique. Nous avons besoin de capitaux pour accroître les fonds propres des entreprises. La transformation du plomb en or est un art difficile.

À Lire Aussi

En 2020, le salaire moyen baissera de 5 à 10%… vers un carnage social ?

La France possède déjà une taxe sur les transactions financières (TTF). Elle consiste un prélèvement de 0,3% sur les opérations de ventes d'actions (0,2% entre 2012 et 2017) et s'applique à toutes les entreprises ayant leur siège social en France et dont la capitalisation boursière dépasse le milliard d'euros. Elle a rapporté 1,7 milliard d'euros en 2020. Même avec un taux de 2 %, avec son assiette actuelle, la taxe ne rapporterait que 11 milliards d’euros. Le député veut-il taxer toutes les opérations financières, immobilières, liées à la consommation pour atteindre son montant colossal de 540 milliards d’euros. Pour rappel, le montant de la consommation s’élève en France à 1700 milliards d’euros. Taxer le marché des changes ce que propose l’association ATTAC, supposerait un accord international….

Mathieu Mucherie : Le vice-président délégué de LR, Guillaume Peltier, propose dans le JDD d'augmenter les salaires de 20% : « Je propose de créer un choc de pouvoir d'achat en supprimant toutes les cotisations sociales, pour les salariés comme pour les employeurs. Chaque Français verra son salaire brut devenir son salaire net (…) Les 490 milliards d'euros de la protection sociale seront intégralement financés par un micro-prélèvement de 2% sur les transactions financières et les paiements électroniques, qui rapporterait 540 milliards d'euros par an à l'État ».

Tout d’abord, je voudrais préciser que je n’ai rien contre la proposition, sur le principe : gagner 20% de plus, ça me conviendrais assez. Je préférerais 40%, mais c’est toujours mieux que les propositions d’autres grands penseurs, dans les hebdomadaires pour personnes âgées :

À Lire Aussi

LR développe une nouvelle vision économique... avec un très très gros angle mort

(C’est également mieux que la dernière proposition de Piketty, qui consiste pour la France à donner 30 milliards d’euros au gouvernement intègre et efficient d’Haïti pour expier nos fautes du 18e siècle. Je n’invente rien).

Il faut effectivement doper les salaires nets dans ce pays, avant qu’ils ne soient attaqués par l’absence dramatique de gains de productivité (dès avant le Covid, et encore plus depuis que les gens font semblant de télétravailler), et par le manque total de pricing power des salariés dans le monde qui vient (robots, surcapacités, désyndicalisation, plateformes numériques, Chinois qui travaillent à l’école, etc.). Il faut doper la demande agrégée en période de japonisation : passer par les salaires est une bonne chose, et alors autant proposer quelque chose de massif pour choquer les anticipations.   

Ah mais il y a juste un tout petit détail qui cloche : le financement.

540 milliards d’euros, chaque année. Ce n’est pas mince. C’est 120 fois l’ISF. Presque la moitié de l’ensemble des dépenses publiques. C’est presque le tiers de ce que nous a coûté JC Trichet. Et quand ce n’est pas mince, ça mérite un petit calcul.

540 milliards, obtenus avec un taux de 2% : voilà le premier problème. Cela suppose une assiette fiscale ou base taxable de l’ordre de 27 000 milliards chaque année. Désolé, je suis juste économiste depuis 20 ans : je ne suis pas au courant de l’existence d’une telle assiette dans un pays comme la France dont le PIB annuel est 10 fois plus petit. Je me permets donc une première supposition : Peltier a confondu avec les Etats-Unis.

Ça peut arriver, dans le feu de l’action, et dans une époque où certaines substances ne font plus vraiment l’objet de sanctions pénales : on oublie un zéro. Soit Peltier avait en tête de rapporter 54 milliards au lieu de 540, soit sa taxe est de 20% au lieu de 2%. Mais même dans cette hypothèse il y a plein de problèmes qui arrivent (et je ne parle même pas des désincitations, de la fuite de matière taxable, et autres broutilles).

Car de quoi parle-t-on ? Des « transactions financières et paiements électroniques ». Ah. Je connais un peu les transactions financières, mais que recoupent-elles ici concrètement ? Taxer des plus-values, des dividendes ? C’est déjà fait, plutôt plus qu’ailleurs, et ça ne rapporte rien. Quelques milliards, certes, mais on parle ici d’en trouver 540. Pour vous donner un ordre de grandeur, c’est presque la moitié du stock de l’assurance-vie en France, ou dix fois le flux d’épargne annuel correspondant (et encore, en brut, ou alors dans une très bonne année de collecte). Il ne doit pas s’agir de ce genre de transactions ; mais lesquelles alors ?

Peltier aurait-il en tête le rendement d’une « taxe Tobin » sur la finance (les transactions sur taux de changes, dans l’idée de Tobin à l’origine), genre 0,1% grand max, et l’aurait-il multiplié par 20, chose qu’un Hugo Chavez n’a pas osé ? Mais dans ce cas aussi il est très très loin du compte. A moins peut-être d’oublier le monde : l’intégralité de la taxe irait à Bercy. Alors là, oui : les militants d’extrême-gauche (détestés par Tobin de son vivant) estiment à la louche que leur taxe mondiale rapporterait à peu près ce montant ; ils seraient toutefois étonnés que son produit aille intégralement dans les caisses de la France, pays qui ne représente pas plus de 4% des flux financiers globaux (en comptant large) (et qui représenterait très vite beaucoup moins en ce cas, mais j’avais promis de ne même pas analyser les effets pervers, juste de me contenter de l’arithmétique).  

Cette fois, j’y suis : Peltier désigne l’ensemble des flux financiers globaux, dérivés et dérivés de dérivés inclus. Il se dit que la France y pèse 4% environ, et que prélever 1/50 sur ce montant permet de trouver 540 milliards. Sauf qu’il faudrait lui expliquer la différence entre le notionnel et le net. Quand on dit que sur les marchés dérivés s’échangent à chaque seconde des milliards de dollars, ce n’est pas faux, mais ce n’est qu’un entrelacement de contrats dérivés qui pour la plupart ne s’activent jamais ; du notionnel. En net, la taille des marchés est bien plus réduite. Et on ne peut pas taxer du notionnel ; aucun marxiste-léniniste n’a jamais proposé un truc pareil. Surtout à 2%. Il n’y aurait plus de finance, ça tout le monde s’en moque, mais réfléchissez : pas de banques, pas d’assurances, pas de gestion des risques, pas de commerce international, donc pas de pétrole chez nous, et on doit venir avec une grosse mallette de billets pour acheter une maison (car sans les dérivés de crédit, pas de crédit). C’est ça, l’idée ?   

Quant aux « paiements électroniques », moi pas comprendre. Incluent-ils les salaires, ou juste les achats sur Cdiscount ? Même en regroupant tout ce qui ressemblerait de loin à un paiement (électronique ou pas) au sein de l’économie française, une taxe de 2% est tellement loin du compte que cela fait peur. Elle correspondrait grosso modo à 2 points en plus de TVA ou de CSG, nos assiettes fiscales les plus larges ; sauf qu’on parle ici de remplacer près de 20 points de cotisations sociales, pas 2. Le tout chez un politique qui dit soutenir la candidature d’un ancien ministre des affaires sociales pour 2022 ; ça fait désordre.

J’ai des idées pour doper nos salaires, un peu mieux financées et un peu plus raccordées aux études économiques internationales. Elles partent des freins à lever s’agissant des gains de productivité (le nerf de la guerre) ; mais il est vrai que cela prend du temps, et qu’il n’y a pas de « free lunch » (chez Peltier, on dit « réformons l’Etat », et l’Etat est réformé, comme Fernandel dans Alibaba). Elles dérivent vers la participation, qui doit concerner tout le monde (pas seulement les insiders des grandes boîtes), et que je vois bien être financée en partie par une détente monétaire. Elles s’envolent donc enfin vers des choses qui ne dépendent pas que de nous, mais qui n’en sont pas moins cruciales (l’euro trop cher depuis trop longtemps, une nouvelle cible d’inflation ou au moins que la cible actuelle soit enfin respectée, un effacement graduel des dettes Covid dans le bilan de la BCE comme les Américains et les Allemands effacent régulièrement leurs dettes les plus honteuses, etc.). Ce sont aussi des idées à 500 milliards, mais elles ont le mérite d’être bien documentées, et de ne pas habiller Pierre en déshabillant Paul.  

Ma conclusion. Notre technocratie est détestable : mesquine, hypocrite, et au final même pas efficace. Elle est aux affaires depuis 1974 environ, et au service de l’Allemande depuis 1991 (au moins), et elle a tout le pouvoir depuis 2017. Je ne l’aime pas, mais elle me parait encore préférable à des politiques dits « populaires » qui ne savent pas faire une multiplication. Si c’est pour récupérer des propositions chavistes ou péronistes, que l’on garde l’ENA !! Que l’on se prosterne 5 fois par jour devant la direction du Trésor ! Et si c’est pour tuer l’épargnant, s’enfoncer dans le protectionnisme et faire n’importe quoi avec tous les ordres de grandeur au prétexte que les Français ne savent pas compter, alors qu’on fasse les choses bien, qu’on place Piketty au pouvoir, avec ses amis les tontons-macoutes, et autres cargo-cultistes : au moins, on s’amusera un peu, et on organisera des messes noires vaudous à partir de petites figurines de Guillaume Peltier !       

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !