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Une étude de l'université d'Oxford l'établit, la propagation de "fake news" est devenue une pratique courante des Etats un peu partout dans le monde
©Reuters

Politique du mensonge

Une étude réalisée par des chercheurs de l'Université d'Oxford révèle que les gouvernements ont de plus en plus recours aux fake news. Ces fausses informations permettent de manipuler les populations et des équipes sont embauchés par les Etats pour influencer les habitants.

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Samantha Bradshaw et Philipp Howard, deux chercheurs de l'université d'Oxford ont publié Troops, Trolls and Troublemakers: A Global Inventory of Organized Social Media Manipulation, un rapport  sur l'usage des Fake News propagées par des agents gouvernementaux ou militaires afin de manipuler l'opinion publique. Quels sont les tenants et les aboutissants de cette étude ? Que révèle-t-elle de l'usage des fake news pour manipuler les opinions publiques ?

David Fayon Cette étude qui s’appuie sur une analyse de 28 Etats (http://comprop.oii.ox.ac.uk/wp-content/uploads/sites/89/2017/07/Troops-Trolls-and-Troublemakers.pdf) est à considérer avec le plus grand intérêt. Elle met en exergue un phénomène qui n’est pas nouveau et qui était jusqu’alors plutôt l’apanage des nations autoritaires mais qui a pris une ampleur sans précédent depuis le début des années 2010 avec l’explosion des réseaux sociaux, de leur usage et de la viralité associée. Ceci a multiplié le champ des possibles avec une accélération du temps.

Pour le contrôle des populations, on songe immédiatement au cas de la Chine avec la cybersurveillance d’Etat institutionnalisé, le régime d’autocontrôle et la délation des citoyens avec le « bouclier doré » – même si des évolutions se sont depuis lors un peu opérées.

Mais là, il s’agit plus de véhiculer des idées pour les imprégner dans le cerveau des individus de nature à manipuler l’opinion selon un but et une stratégie déterminée. En effet, plus proche de nous, nous avons vécu les élections présidentielles américaines et à un degré moindre française où des moyens nouveaux ont été utilisés pour influencer l’opinion.

Enfin cette étude porte non seulement sur des pays comme la Turquie, la Syrie, la Russie, la Corée du Nord, mais aussi sur des nations plus démocratiques comme la Grande-Bretagne, Israël ou l’Allemagne – la France n’est pour sa part pas étudiée.

Ce qui est inquiétant est que cette pratique des fake news qui était à l’origine l’apanage de certains gouvernements autoritaires s’étend à de nombreuses démocraties. Elle pourrait, si elle continuait à prendre de l’ampleur, consacrer le pouvoir des mafias, de l’argent au détriment de l’objectivité des informations laquelle reste à privilégier et qui demande un jugement critique fort à se forger. Ce risque avait été imaginé par Isaac Asimov dans son premier livre du cycle Fondation en 1951 avec le pouvoir de la propagande qui émanait d’un ministère... Les risques évoqués dans les romans d’anticipation (1984, etc.) deviennent malheureusement une réalité, d’où la nécessité de contre-pouvoir et d’augmentation du niveau de connaissance et de jugement des citoyens.

Quels sont les moyens mis en place par les organismes gouvernementaux ou non, qu'ils soient humains, technologiques ou financiers, pour développer ce système de désinformation ? Quelles sont les méthodes utilisées pour que ces derniers puissent atteindre leurs objectifs ?

Déjà, les fausses rumeurs, qui ont toujours existé, sont basées sur leur caractère vraisemblable et l’émotion suscitée. Le caractère nouveau est que les réseaux sociaux permettent une viralité sans précédent avec, outre les moyens humains, des moyens automatisés de relayer des informations en cascade.

Avec Facebook, Twitter, Instagram et YouTube côté réseaux sociaux que je qualifie « des 4 majeurs » dans Facebook, Twitter et les autres… (http://www.tinyurl.com/ftav3), nous vivons le marché des conversations. Les interactions au-delà des commentaires, des J’aime et des partages qui fonctionnent pour les marques marchent aussi pour les organisations. Ces principes viraux permettent de véhiculer des messages auprès de relais d’opinion qui les transmettront à leur tour en cascade.

Le principe est de créer du contenu reprenant les éléments de langage à inculquer selon un objectif donné, le diffuser massivement avec des techniques permettant de faire boule de neige pour qu’il soit connu et lu des cibles, puis interagir et ce, dans un cercle de communication le plus large possible.

Concrètement, ces campagnes et les contenus associés peuvent être diffusés tant par des personnes que par des robots (des bots lesquels peuvent publier massivement de façon programmée à des moments donnés) et plus généralement un mix des deux.

Les agents gouvernementaux peuvent sélectionner des connecteurs qui pourront servir de relais dans la transmission de messages : des blogueurs, des journalistes, des personnes influentes sur les réseaux sociaux. Et on peut aussi imaginer des citoyens payés pour relayer des fausses informations, ce qui constitue une forme de corruption, la mission faite ne relevant pas d’une éthique très nette mais chacun est libre de refuser la proposition faite, voire la dénoncer sans forcément être entendu – sachant aussi que ceux qui dénoncent une forme de corruption peuvent très bien être les plus grands perdants, on songe par exemple aux joueurs de foot en 1993 lors du match OM-Valenciennes qui ont eu leur carrière brisée.

Des moyens financiers peuvent également être consacrés par l’achat de technologies de bots ou de comptes virtuels sur Twitter et Facebook pour avoir des informations relayées et en grande quantité. Déjà bon nombre de contenus publiés sur Twitter n’émanent pas de vrais utilisateurs. Parfois un twittos peut le constater par un retweet immédiat par des comptes qui publient massivement. Ou encore lorsque l’on publie un post sur son blog et que celui-ci est automatiquement retweeté quelques secondes plus tard par un même noyau de comptes et que l’on constate que d’un post à un autre ce sont les mêmes comptes qui vont retweeter votre billet.

A quelle stratégie répond cette utilisation des fakes news de la part des organismes précédement cités ? Que gagneraient-ils à vouloir les propager de la sorte sur des audiences ciblées ? 

Il s’agit d’aiguiller l’opinion, de permettre une propagande à une grande échelle. L’enjeu est important pour des gouvernements, des partis politiques, des groupes industriels, etc. qui ont des objectifs précis : faire élire une personne, vendre plus un produit qu’il soit bon, dangereux, utile ou non, etc.

Les élections présidentielles américaines ont été un laboratoire avec l’intervention d’autres nations (on songe à la Russie) et de bots. La démocratisation de ces outils d’influence dont les coûts baissent permet de facilement véhiculer des informations sachant aussi que les Facebook, Twitter peuvent à la marge censurer des contenus.

On peut aussi manipuler les gens sur des sujets de société (en faveur ou contre l’adoption pour les couples homosexuels par exemple, pour la vaccination en éludant des risques, etc.).

Ce peut être les fondements de la démocratie et du débat public (idée contre idée) qui peuvent vaciller car ce n’est pas l’idée la meilleure qui l’emporte mais la plus sponsorisée. Plus que jamais la vigilance s’impose. On l’avait déjà connu avec les positionnements dans les recherches faites sur Google où l’influence et la popularité priment la pertinence et l’autorité. Et avec ce tsunami des fake news, il reste du travail pour les Facebook, Twitter, Google, etc. à moins que des pouvoirs soient eux-mêmes actionnaires de ces acteurs… et qu’il y ait intérêt à agir/ne pas agir.

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