Une cohabitation parlementaire entre procureur et « collabo » des fossoyeurs de notre nucléaire<!-- --> | Atlantico.fr
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La commission d’enquête sur la souveraineté énergétique permet de tirer de nombreux enseignements sur la filière du nucléaire et sur la responsabilité du pouvoir politique.
La commission d’enquête sur la souveraineté énergétique permet de tirer de nombreux enseignements sur la filière du nucléaire et sur la responsabilité du pouvoir politique.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Souveraineté énergétique

Après six mois d’auditions et de discussions, la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique a rendu ses conclusions en ce mois d'avril.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Les rôles de procureur et de « collabo » peuvent être respectivement attribués au président et au rapporteur de la remarquable commission d’enquête ayant récemment tenté d’établir les raisons de la perte de souveraineté énergétique du pays. L’imprégnation consensuelle de leurs recommandations respectives amène à s’interroger sur l’utilité opérationnelle de leur rapport, en termes d’inflexion de la politique énergétique nationale et en ce qui concerne les légitimes sanctions au moins électorales des prévarications avérées.

L’essentiel de l’avant-propos du président (parti LR)

[…] Réduction forcée de notre production industrielle et renoncement à un certain confort imposé aux citoyens, lors de l’hiver 2022/2023 : jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un tel retour en arrière n’avait été demandé aux Français. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les choix successifs qui ont conduit à cette perte de souveraineté énergétique ? Ces questions, tous les Français se les sont posées.

[…] Ce rapport raconte comment le dogme antinucléaire de l’écologie politique s’est peu à peu imposé comme la clef de lecture des choix énergétiques plutôt que la souveraineté et l’urgence de la décarbonation.

[…] Y a-t-il un ou des coupables ? Ou sommes-nous collectivement responsables de nous être assoupis dans l’opulence ?

[…] Notre modèle énergétique devra profondément changer dans la décennie qui vient pour faire face aux défis du changement climatique…

[…] la création de valeur est une fonction de la consommation d’énergie.

[…] Si l’indépendance énergétique ne nous semble pas accessible, il reste donc à choisir, souverainement, avec qui nous souhaitons nous lier.

[…] Ce qui peut apparaître de loin comme de l’idéologie anti-nucléaire au niveau européen ressemble davantage, à y regarder de près, à des intérêts nationaux d’États qui ne disposent pas de l’excellence de la filière nucléaire française et qui ont mieux défendu leurs intérêts…

Proposition A : une PPE visant à donner naissance à des filières industrielles complètes, françaises ou européennes.

Proposition B : garantir la représentativité des Organisations Non Gouvernementales dans l’élaboration des politiques publiques, de même que la transparence du financement de ces dernières.

Proposition C : Créer une responsabilité personnelle pour les ministres ne réunissant pas les organes de conseil scientifique collégiaux créés par la loi.

Proposition D : Mener une étude sur la disponibilité de la biomasse et la répartition possible de ses usages supplémentaires entre production à destination alimentaire, énergétique et de fabrication de matériaux.

Proposition E : Élaborer des scenarii énergétiques à partir des conditions environnementales, économiques et sociales.

L’essentiel de la synthèse du rapporteur (parti Renaissance)

[…] Assumons-le : souvent, nous sommes passés de l’incompréhension à la surprise, jusqu’à la consternation… Le récit qui s’est reconstitué devant nous, c’est bien le récit d’une lente dérive, d’une divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente, qui nous a éloignés et de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique.

[…] Après trois décennies de divagation énergétique et alors que la sobriété, la relance de l’énergie nucléaire et l’accélération des énergies renouvelables sont toutes les trois enfin sur la table de nos politiques, ce rapport appelle donc à tourner la page de nos errements et à en tirer toutes les leçons pour affronter les yeux grands ouverts l’urgence énergétique.

[…] La période de la fin des années 1990 au début des années 2010 constitue comme une décennie perdue […] Par ailleurs, l’émergence de nouveaux objectifs énergétiques – efficacité énergétique, sortie des énergies fossiles, développement des énergies renouvelables – n’a été que très partiellement accompagnée d’une ambition industrielle, qui implique en permanence de la recherche, du soutien de filière et de l’investissement dans les compétences.

[…] Si cette loi [LTECV] ne peut porter seule la responsabilité de la fragilisation de la filière nucléaire, elle a sans conteste adressé un signal destructeur à un moment crucial... sans pour autant déclencher d’accélération suffisante des énergies renouvelables.

Proposition 2 : se donner une loi de programmation énergie climat sur 30 ans avec des objectifs climatiques, énergétiques et industriels ainsi que les moyens afférents, qui fera l’objet d’un suivi étroit et régulier par le Parlement et les institutions expertes

Proposition 10 : pérenniser et accroître l’ambition du plan de sobriété de l’hiver 2022-2023, et l’étendre à l’ensemble des particuliers, des services publics, et des entreprises sans méconnaître le coût financier et industriel des effacements.

Proposition 11 : renforcer les efforts de décarbonation de tous les secteurs émetteurs, en particulier dans le transport avec l’accélération des projets de transports en commun et de fret ferroviaire et avec la réduction du poids des véhicules par des dispositifs incitatifs.

Proposition 20 : demander à EDF une plus grande transparence sur ses approvisionnements en uranium naturel et enrichi, au moins à une maille géographique par pays.

Proposition 29 : lancer dès que possible les appels d’offre pour les 50 parcs éoliens offshore, rendre contraignante leur installation et sécuriser le financement et l’engagement du porteur de projet.

Prolonger le travail en identifiant des protagonistes de la débâcle industrielle française à mettre devant leurs responsabilités

Conclusion du rapport de la Cour des Comptes sur le coût de l’électronucléaire en janvier 2012 

[…] La Cour constate que d’ici la fin de l’année 2020, 12 réacteurs français représentant 10900MWe atteindront une durée de fonctionnement de 40 ans » (p.291). Elle indique ensuite qu’à son avis l’industrie française ne sera pas en mesure de construire suffisamment de réacteurs d’ici 2020 pour remplacer ce parc de 10900MWe : « Il semble difficile, sauf effort exceptionnel... que les investissements énergétiques de remplacement ou de substitution du parc actuel, quel que soit le dispositif choisi (économies d’énergie, autres sources d’énergie, nouveau réacteur nucléaire) puissent être réalisés dans un délai n’imposant pas une prolongation de tout ou partie du parc actuel au-delà de quarante ans. » (P. 292).

La Cour estime impossible aujourd’hui que notre industrie construise en huit ans, de 2012 à 2020, un parc nucléaire de 10900MWe pourtant plus petit que celui qu’elle construisit de 1974 à 1981, de 12600 MW […]

Avis de l’IRSN sur la sûreté, dans le cadre du débat national sur le transition énergétique (DNTE), juin 2013

[…] longtemps identifiée comme source d’innovation et moteur de l’excellence scientifique, industrielle, et économique dans de larges domaines, l’attractivité de la filière nucléaire peut pâtir assez rapidement d’un renversement de cette tendance, au point de mettre en cause à terme sa capacité à trouver les effectifs et compétences suffisants pour assurer toutes les fonctions indispensables. Dans ces conditions, la persistance sur de longues périodes (décennies) d’indécision sur la place de l’industrie nucléaire dans les politiques énergétiques publiques pourrait se révéler préjudiciable à la capacité de maintien effectif d’un haut niveau de sûreté des installations nucléaires existantes, et ce d’autant plus qu’actuellement, EDF fait face à un fort renouvellement de compétences du fait des départs en retraite en cours.

[…] La durée effective d’exploitation de ces réacteurs, qui ne peut être uniquement associée à leur ancienneté, dépendra non seulement de critères issus des choix de politique énergétique et de critères économiques associés au fonctionnement du marché européen de l’électricité mais aussi de considérations liées à la sûreté. Ces dernières peuvent résulter, soit du constat d’une obsolescence de certaines installations rendant économiquement difficile leur mise à l’état de l’art en matière de sûreté, soit de l’identification de défauts liés au vieillissement ne pouvant faire l’objet d’un traitement correctif acceptable, soit de l’impossibilité de réaliser les améliorations de sûreté estimées nécessaires pour diminuer le risque en regard des exigences de la société.

Compte tenu de ces incertitudes, l’IRSN estime nécessaire de maintenir dans la durée des marges importantes en termes de fourniture d’énergie électrique, et note que les réacteurs les plus anciens ne seront pas nécessairement ceux qui pourraient être concernés les premiers par des difficultés en termes de sûreté ou d’obsolescence de nature à justifier la fin de leur exploitation […]

Discours de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la politique de développement des renouvelables, le 25 juillet 2013 

[…] En conclusion, entre 2005 et 2011, 2,2 Mtep d’énergies renouvelables supplémentaires ont été produites, pour un coût global de 14,3 Md€ pour la collectivité. L’effort supplémentaire pour atteindre les objectifs de 2020 représente 15 Mtep supplémentaires, soit sept fois plus. L’analyse de la Cour montre qu’ils peuvent être atteints mais que de nombreux obstacles doivent être levés. Le principal est le coût encore trop élevé de nombreuses technologies. Ce coût rend nécessaire, pour rendre la politique soutenable, un meilleur ciblage des aides à la production sur les filières les plus efficientes, en prenant en compte la dimension de politique industrielle et le contenu en emploi des décisions prises.

Tout n’est pas que financier : pour tenir les objectifs, les procédures devront être simplifiées et l’administration mieux organisée. Des arbitrages devront être faits pour régler des conflits d’usages, sur l’utilisation du bois pour la biomasse, sur la qualité des eaux pour l’hydroélectricité ou sur l’urbanisation du littoral et la préservation des paysages pour l’éolien. L’effort de recherche devrait être amplifié pour permettre aux filières les moins matures de baisser leurs coûts et de bénéficier, plus tard, des aides à la production […]

Synthèse des conclusions du débat national sur la transition énergétique (DNTE), le 18 juillet 2013

[…] Les citoyens français l’ont compris : ils soutiennent une transition énergétique sans bouleversement ni restriction, fondée sur l'efficacité et la sobriété énergétique, le développement des énergies renouvelables et l’innovation […] Pour beaucoup, elle est considérée à la fois comme une nécessité et une chance, notamment pour maîtriser leur facture énergétique […] La société française attend donc une impulsion forte d’un Etat stratège qui définit la politique énergétique de la Nation et doit fixer une ambition et des perspectives claires permettant d’enclencher l’action à tous les échelons […]  La France doit proposer une stratégie cohérente de transition énergétique européenne, fondée sur une politique de promotion de l’efficacité énergétique et sur une politique industrielle de développement des énergies renouvelables, la réduction massive les émissions de gaz à effet de serre, la sécurité d’approvisionnement, la compétitivité et la recherche […]

Séparer ensuite le bon grain de l’ivraie – tenir compte des mises en garde fondées et proscrire le sophisme partisan – ne ressort pas vraiment de ce qui suit  

Les recommandations du procureur et du « collabo » semblent conserver en commun le souci de réserver un développement significatif aux filières industrielles « renouvelables » – dussent-elles demeurer à la charge des finances publiques – et de ménager un droit au chapitre aux Organisations Non Gouvernementales. Heureusement, seul le « collabo » recommande d’accentuer durablement l’ascèse énergétique à laquelle le pays se voit aujourd’hui contraint. Mais tous deux ont le primodial projet d’amener la France à corriger seule la déviance du climat, avec ses petits bras économiques et énergétiques supportant désormais un lourd surmoi financier, technologique et scientifique.

Bref, le réquisitoire de base ne sera bientôt plus qu’un souvenir. S’il met très largement en cause le palmarès des prévarications PS ayant acheté des divagations d’EELV toujours d’actualité, le RN ne saurait être excusé du caractère tardif de son « désenvoutement » antinucléaire; quant au LR des années Sarkozy personne ne peut oublier son délétère Grenelle Environnement et, surtout, l’ARENH de triste mémoire

Le constat inavoué

La plupart des grands commis de l’État ayant déposé devant cette commission d’enquête parlementaire méritent d’être moralement poursuivis pour non-assistance à pays en danger. Car ce qu’ils y ont déballé a surtout révélé que, 25 années durant, tous étaient de loin les mieux placés pour tenter d’enrayer un sabordage de notre filière électronucléaire dont le caractère désastreux des conséquences était largement prévisible. Comment ? En s’insurgeant publiquement contre une planification de ce sabordage déjà patente, fût-ce en prenant les Français à témoin d’une action d’éclat à la Chevènement, le mode de protestation le plus propice à rendre audible la pédagogie qui s’imposait alors. 

Durant tout ce temps, alertant sans relâche leurs compatriotes du grave péril les menaçant, d’obscurs militants ont bien guerroyé contre l’inique machination, mais pour ne recueillir qu’indifférence des sus-nommés dans le meilleurs des cas, que mépris dans le pire. Encore récemment, l’un de ces derniers n’a pas craint de déclarer ceci à la rédaction du Figaro Live : « les gens qui veulent tuer le nucléaire le connaissent mieux que ceux qui prétendent le défendre ». Les Don Quichotte ayant été pour leurs frais sonnants et trébuchants de la dérisoire résistance auront apprécié.

Reste que sommer la vacuité de la conscience nationale, de la compétence et de la détermination patriotique caractérisant la vie politique française de tirer profit de cette énième opérette parlementaire a quelque chose de pathétique : l’angélisme estimant possible d’enrayer notre descente économique et industrielle aux enfers, sans combler au préalable un vide donnant aujourd’hui le vertige.  

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