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Un risque d’embrasement nucléaire plus élevé aujourd’hui que sous la Guerre froide ? Quand un ancien secrétaire à la Défense américain tire la sonnette d'alarme
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Enola Gay

William Perry, ancien secrétaire américain à la Défense, dénonce la "vieille pensée" aux commandes de l'armement nucléaire mondial.

"La puissance de l'atome a tout changé, sauf nos modes de pensée", disait Albert Einstein en 1946. Ce constat est le point de départ du nouveau livre de William Perry, ancien secrétaire à la défense américaine, dans lequel l'auteur s'attaque aux vieux piliers de notre conception du nucléaire.

Le livre s'intitule My Journey at the Nuclear Brink ("Mon voyage au bord du précipice nucléaire"), et revient largement sur le parcours de Perry pour alimenter sa critique. Le récit enfonce le clou du Nuclear Security Project auquel Perry contribue, aux côtés de George Schultz et Henry Kissinger, anciens secrétaires d'État, et Sam Nunn, ancien sénateur.  

Quels sont les tenants de la vieille pensée ? D'abord, l'idée selon laquelle la fin de la guerre froide a calmé l'inquiétude nucléaire. Au contraire, soutient Perry, le désarmement était engagé dès les années 1980, mais c'est la politique étrangère américaine qui a contribué à relancer une forme de course aux armements. Deux exemples : l'expansion précipitée de l'OTAN au lendemain de l'implosion du bloc de l'Est stimule l'esprit revanchard russe ; le retrait par Georges W. Bush du traité limitant les systèmes antimissiles balistiques (dit traité ABM), en juin 2002, a mis fin aux promesses d'apaisement.

Un ancien ministre qui critique une politique qu'il n'a pas su changer, ça semble opportuniste. Mais pour sa défense, William Perry a passé sa vie à tenter de circonvenir au développement frénétique des bombes atomiques.

À l'origine, Perry, docteur en mathématiques, avait trouvé un emploi d'ingénieur dans les laboratoires de la défense américaine, situés à l'époque dans ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Silicon Valley. Mais sa mission change radicalement sa perception de la bombe : il parvient en effet, après plusieurs années, à mettre au point un système de dérèglement électronique des missiles éventuels tirés par l'URSS. Grâce à cette prouesse, Perry se rend capable de dévier la trajectoire de l'engin, réduisant de 2/3 la somme des victimes potentielles : sur les 75 millions de morts susceptibles d'être causés par une attaque de moyenne envergure, 25 millions seraient finalement touchés. Mais c'est sans compter les conséquences des radiations et de l'hiver nucléaire, ainsi que l'effondrement social qui s'ensuivrait. Autrement dit, c'est à cette époque que Perry déchante sur les capacités véritables de son métier.

Bien entendu, le contexte était très différent d'aujourd'hui. La peur d'une annihilation totale pesait sur tous : les écoliers apprenaient à s'accroupir sous leurs tables pour se protéger d'une attaque, et les abris anti-nucléaires étaient signalés à tous les carrefours. En seulement quinze ans, les scientifiques russes et américains étaient parvenus à mettre au point des bombes dont la puissance dépassait de trois milles fois celle d'Hiroshima. En somme, la peur alimentait les dollars, qui alimentaient la peur.

Ainsi, quand John Kennedy déclara à la télévision, le 22 octobre 1962 : "Toute fusée nucléaire lancée à partir de Cuba (…) entraînera des représailles massives contre l'Union soviétique", il emmène l'humanité au bord de la catastrophe, laquelle a été rendue possible par la course aux armements de la décennie précédente, et qui enjoint de la poursuivre.


La complexité de la physique nucléaire est devenue telle que le gouvernement ne peut plus se passer de partenariats privés : les entreprises mettent la main sur une manne financière indéfinie, au motif que, pour contrer chaque arme par une riposte plus puissante, il faut avoir recours aux hommes les plus doués de la nation : parmi lesquels Perry.

Ces armes, d'une prouesse technique inégalée, seront enfin utilisées pendant la guerre du Golfe, et feront croire à l'état-major américain qu'un bon matériel viendra à bout de toutes les résistances : il est probable, aux yeux de Perry, que ces énormes avancées ont facilité la décision de l'invasion de l'Irak en 2003.

Autrement dit, Perry considère que les États-Unis possèdent trop d'armes pour son bien. La dissuasion nucléaire, dans le modèle américain, s'articule sur une coalition des sous-marins, des bombardiers et des missiles balistiques mais les deux derniers, selon l'auteur, sont inutiles. Les sous-marins du programme Trident, en effet, sont quasiment indétectables et portent une charge nucléaire tout à fait suffisante. Les bombardiers sont de trop, puisqu'ils ne servent qu'en cas de dysfonctionnement de Trident, ce qui est hautement improbable ; et le risque est trop grand que les missiles balistiques se déclenchent par erreur.

Pourtant, dès les années 1980, le désarmement avait été entamé. Au sommet de Genève en 1985, Gorbatchev et Reagan s'étaient accordés pour réduire leur stock d'armes nucléaires. À la suite de l'implosion du bloc de l'Est, Perry est à la tête du programme chargé par l'ONU de récupérer les ogives égarées qui risquaient de tomber entre de mauvaises mains. Contre toute attente, c'est un succès : le stock mondial se réduit.

Mais la vieille pensée est de retour, et avec elle le vieil ordre géopolitique : l'Otan reprend sa position belliqueuse en intégrant de nouveaux membres jusqu'aux frontières de la Russie, et Bush fils quitte le traité ABM, pour recouvrir sa puissance d'antan.

Et quoique la question nucléaire reste très éloignée des soucis habituels de l'opinion publique, une course semble recommencer. Depuis la publication du livre de Perry, en novembre 2015, mille milliards de dollars ont été promis à la défense américaine pour moderniser la triade nucléaire dans les prochaines décennies. À cela, la Russie – qui avait déjà annoncé la fabrication de quarante nouveaux missiles balistiques – a répondu en mettant en place cinq nouveaux régiments attachés au service nucléaire. Par ailleurs, les USA ont installé deux nouveaux sites de défense en Pologne et en Roumanie.

Certains historiens considèrent que l'entrée dans la Première guerre mondiale, de même que le diktat de Versailles, étaient des opérations si stupides que les dirigeants européens ont sûrement "somnambulé" pour les commettre. Il est parfaitement justifié, poursuit Perry, de considérer que dans le cas nucléaire, la chose se reproduit.

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