Un ministère de la citoyenneté ou la dernière lubie de ceux qui creusent la tombe de la démocratie représentative en imaginant la sauver<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme pour le scrutin présidentiel d'avril 2022.
Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme pour le scrutin présidentiel d'avril 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Campagne électorale

En cas de victoire en avril prochain, Emmanuel Macron compte mettre en œuvre des initiatives citoyennes qui pourraient être pilotées par un ministère de la Citoyenneté, selon des informations de L'Obs. La crise de la démocratie représentative peut-elle être résolue de manière technique avec des experts préparant des projets sur lesquels les citoyens puissent intervenir ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : S’il est réélu, selon l’Obs « Emmanuel Macron a bien l’intention de ne pas revivre le mouvement des « Gilets jaunes ». Plutôt que de renouveler les grands débats qu’il avait lancés, il compte mettre en œuvre des initiatives citoyennes qui pourraient être pilotées par un ministère de la Citoyenneté. Ces initiatives dites citoyennes dont on a vu l’émergence pendant le quinquennat n’accentuent-elles pas le renoncement à la politique en essayant de rénover la démocratie participative ?

Christophe Boutin : Précisons d'abord que le ministère de la Citoyenneté, ministère délégué auprès du ministère de l'Intérieur, a été depuis 2020 confié à Marlène Schiappa. Ce ministère était censé travailler, d’abord, sur les sujets de l'intégration, de la lutte contre les discriminations ou de la laïcité, bref sur des thématiques visant à retisser un lien social qui va en se dégradant année après année. Il devait ensuite s'intéresser aux questions de l'acquisition de la nationalité française, de l'animation de la vie associative, de la politique d’engagement des citoyens dans le cadre des élections, autrement cette fois relancer le processus démocratique en faisant de chaque français un citoyen actif. 

On ne peut que faire un double constat d'échec de ce ministère. D’abord, dans sa dimension de reconstruction du lien social, dans une société qui n'a jamais été autant divisée. Le quinquennat d’Emmanuel Macron a vu l’explosion des revendications communautaristes les plus diverses, conduisant à une déconstruction de notre langue ou de notre histoire de France, entre statues que l’on veut faire disparaître ou noms de rues que l’on change. Le passé du pays n’étant plus présenté, dans le peu de programmes d’histoire encore présents, que comme un passif, on comprend aisément que cela ne pousse pas de nouveaux arrivants à rejoindre une communauté qui doit avant tout expier ses innombrables crimes et ses « privilèges », et qui, selon le Président, n’a même pas été capable de créer une « culture française ».

À Lire Aussi

Ce grand coma de l’Etat que révèle le recours massif aux consultants privés

Second échec ensuite du ministère, et tout aussi évident, le lien de citoyenneté, cette appartenance dont certains pensent pourtant qu’elle peut s’affranchir des réalités culturelles pour ne relever que du formalisme juridique, n’existe pas plus que les autres. Le taux d'abstention des récentes consultations électorales, qui va progressant, montre bien que les Français n'ont plus confiance dans les institutions et dans l’efficacité de leur participation à la vie politique de leur pays. Ce blocage est d’ailleurs un élément d’explication de la révolte populaire des Gilets jaunes que vous évoquez, celle de ces Français qui souhaitaient tout simplement reprendre leur destin en main. 

Face à cette révolte, nous eûmes droit au Grand débat. Durant 16 réunions publiques, pendant 85 heures d’une prestation souvent de qualité, Emmanuel Macron n’a pas débattu mais monologué. Le Prince, qui ne peut pas se tromper - et qui ne peut pas plus dévier de sa feuille de route -, venait expliquer ses choix à un bon peuple qui se devait de repartir chez lui convaincu et admiratif, s’excusant presque de son mouvement d’humeur. Le rapport des « garants » du Grand débat, accablant si on veut bien le lire entre les lignes, relève ainsi la « formulation parfois excessivement binaire » des questions posées comme la « participation médiatisée du chef de l’État » pour conclure que « l’impact principal […] a été de polariser l’attention sur le chef de l’État ». C’était donc un banal show sur tréteaux de province, Emmanuel Macron renouant avec l’esprit des Tournées Baret. Quant aux 10 134 réunions locales, aux 250 000 contributions aux 16 337 « Cahiers de doléance » représentant 400 000 pages, quant à ce grand mouvement qui devait être un nouveau 1789, il n’en a résulté qu’une synthèse de… 185 pages. Grotesque. L’opération apparaissait pour ce qu’elle était : un moyen de gagner du temps qui, combiné avec l’extrême violence de la répression, allait permettre d’étouffer le mouvement des Gilets jaunes. 

À Lire Aussi

Programme d’Emmanuel Macron : une dose d’attrape-tout, une dose d’habileté, une dose de négation du politique

Mais le problème avec le Grand débat, chacun pouvant y aller de ses propositions sur le site ou dans un Cahier, a été que malgré la pédagogie présidentielle les demandes formulées par les Français étaient pour une bonne part à rebours des inamovibles choix macroniens, et donc inutilisables comme instruments de légitimation de la politique menée. Tout autre a été la solution de la démocratie participative telle qu’elle a pu être mise en œuvre avec la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Grâce ici à un panel prétendument représentatif, à un tout puissant « comité de gouvernance » faisant la part belle aux soutiens présidentiels, entre les biais des informations fournies, ceux des experts convoqués et ceux des « animateurs des groupes », les conclusions allaient cette fois être nettement plus en phase avec les attentes macroniennes. 

On comprend que le candidat Macron ait l’intention de réitérer l’expérience s’il revient pour un nouveau quinquennat. Si, pour le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, décidément toujours en retard d’une guerre, « il nous faut réactiver l’esprit du Grand débat, et nous orienter vers une sorte de Grand débat permanent », Emmanuel Macron évoque lui une nouvelle Conférence citoyenne, ayant comme sujet la fin de vie, une autre peut-être sur la réforme des retraites, proposant par ailleurs d'essayer quelque chose de «différent» sur l'éducation ou la santé. Que mille conventions s’épanouissent…  

Derrière ces projets de débats citoyens, y a-t-il l’idée que la crise de la démocratie représentative pourrait être résolue de manière technique avec des experts préparant des projets sur lesquels les citoyens puissent intervenir ? Est-ce encore une fois une incompréhension du système actuel de la part de l’exécutif ?

À Lire Aussi

Emmanuel Macron, ou la démocratie light

Des experts préparant des textes sur lesquels les représentants des citoyens, légitimement élus pour cela, peuvent intervenir ? Cela existe, cela s’appelle la démocratie représentative. Elle serait en crise, dont acte. Des experts préparant alors des textes sur lesquels les citoyenspourraient s’exprimer directement ? Cela existe, cela s’appelle la démocratie directe et passe par le référendum. Mieux encore, dans certains pays existeraient dit-on un référendum qui ne serait pas proposé par des experts mais directement par le peuple !

Le seul problème vient de ce que le peuple, décidément, ne comprend pas où est son bien. Il ne comprend pas que les experts ne pensent qu’à cela, et que les textes qui lui sont proposés ne le sont jamais que pour être approuvés. Ce malheureux peuple est sujet aux passions, aux émotions, quand l’expert analyse, raisonne, et que certains pensent. Le peuple est ainsi parfaitement capable de refuser de valider un traité qui entraîne un peu plus son pays dans un fédéralisme qu’il a toujours écarté, quand bien même aurait-il été pourtant rédigé sous la direction d’irréfutables experts. Il est bien méchant, le peuple, bien ingrat... 

D’où le système actuel dans lequel de nouveaux experts, ceux de ces cabinets de conseil internationaux dont un livre récent, Les infiltrés, de Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron, comme le rapport de la commission d'enquête sénatoriale présidée par Arnaud Bazon et ayant comme rapporteure Éliane Assassi démontrent l’activisme… et le pillage de nos finances, ces interchangeables pédants ânonnant en pidgin English un sabir managerial qui ont largement supplanté les experts de la haute administration française – ceux du moins qui ne les ont pas rejoint –, démantèlent tout ce que l’État a construit avec les finances des Français depuis au moins 70 ans, de la Sécurité sociale à l’Éducation, des ressources énergétiques aux moyens de transport, de la gestion du chômage à ce qui reste de notre industrie, leurs projets étant ensuite validés par un Parlement aux ordres. 

À Lire Aussi

Emmanuel Macron ou la proposition de la continuité : la France en a-t-elle encore les moyens ?

Comme les choses commencent à se voir un peu trop, qu’il devient par trop évident que la feuille de route est écrite ailleurs et que les « représentants », qui ne représentent plus grand monde, ne la signent sans vraiment la lire que pour pouvoir rester en place, comme la légitimité du pouvoir s’effrite chaque jour et que la démocratie est toujours plus en crise, il est alors tentant de relégitimer le pouvoir par le vote d’un peuple de substitution. C’est l’un des objectifs de la « démocratie participative » telle du moins qu’elle est utilisée de nos jours. On se rappelle ainsi que la CCC a été présentée sans rire comme « une France en plus petit », un panel parfaitement représentatif des diversités de la société française. Ses choix, les mesures qu’elle exprimait – et dont nous avons dit combien elle les exprimait encadrée par les experts – avaient vocation à représenter ceux des Français, si du moins ces derniers avaient eu la chance de pouvoir écouter des sommités telles que l’ineffable Yan-Arthus Bertrand. 

Soyons clair pour conclure sur ce point. Comme d’autres éléments de démocratie, la démocratie participative est sans doute parfois utile, mais ne peut jamais être qu’un instrument de participation, de consultation et non de décision. Son usage actuel vise pourtant à en faire une sorte de « super-sondage » donnant « l’avis des Français » et venant ainsi légitimer les choix des experts. Mais dans une vraie démocratie il ne saurait y avoir qu’une seule légitimité : celle des urnes après le vote des citoyens. On espère par ce biais de la démocratie participative faire avaler au peuple une bien amère potion en lui faisant croire qu’il la voulait « à l’insu de son plein gré ». Il n’est pas évident que cela suffise.

Une large frange de la population s’est désintéressée de la vie démocratique et du militantisme politique. Est-ce un désintérêt général de la question politique ou est-ce mu par le sentiment que la politique n’a plus rien à dire et à offrir ?

Quels sont les modes d’action politique pour nos concitoyens ? Le mandat représentatif interdit de demanderdes comptes à ses élus sinon en fin de charge – s’ils se représentent. Pas de mandat impératif, interdit, pas de recall. Sachant cela, et connaissant la place exceptionnelle du Président dans le jeu politique français, De Gaulle utilisait en ce sens le référendum, par lequel il acceptait de mettre en jeu sa responsabilité politique, et en 1969 en tira les conséquences en démissionnant. C’était le dernier : après lui aucun Président ne l’envisagea plus, et leréférendum de 2005 vit l’hôte de l’Élysée, pourtant favorable au « oui », rester en place. 

Et l’élection elle-même ? Nous sommes ici aussi à la limite de l’exercice. Entre les jeux partisans, les jeux de réseaux et les conséquences des modes de scrutin, entre mathématiques et connivences, la représentativité des chambres, et notamment de celle qui peut avoir le dernier mot dans la procédure législative, l’Assemblée nationale, est rien moins qu’évidente. Il suffit ici de comparer le nombre de voix obtenues par les différents candidats à l'élection présidentielle et le nombre de sièges obtenus par leur parti à la chambre basse pour constater l'ampleur d’un déséquilibre dont il est permis de dire qu'il est aujourd'hui manifestement excessif. 

Certes, on a créé au niveau local des procédures référendaires, mais elles sont peu utilisées et ne sont souvent que consultatives, l’affaire de Notre-Dame des Landes étant en ce sens caricaturale. Au niveau national il s’agit du « référendum d’initiative partagée » mis en place en 2008, mais l’affaire dite « des aéroports de Paris » a montré combien il était difficile à mettre en œuvre, avec un seuil de signatures citoyennes nettement plus élevé que celui de procédures étrangères proches - et quand bien même les obtiendrait-on qu’il reste sous le contrôle des parlementaires. Le vieux droit démocratique de pétition alors ? Il existe bien, mais le CESE a pu écarter bien facilement en 2013 la demande d’avis qui lui avait été soumise, le Conseil d’État validant cela ensuite. 

On comprend dans ces circonstances que lorsque l'on demande aux Français pourquoi ils s'abstiennent, ils répondent dans la plupart des cas qu'ils ont l'impression que voter ne permettra pas de changer les choses, et que ceux qui sont élus ne s'intéressent pas à leurs problèmes. 

Avec Reconquête, Eric Zemmour a su mobiliser en peu de temps grâce à une vision idéologique claire. Est-ce la preuve qu’une refondation idéologique et institutionnelle est possible avec une reconstruction des corps intermédiaires et des offres politiques claires ?

Distinguons si vous voulez bien deux choses. Le premier point est effectivement la mobilisation qu'Éric Zemmour a su réaliser, autour de sa personne pour l’instant plus qu’autour de son parti, Reconquête, et qui tient sans doute à deux éléments complémentaires. Le premier est que l'essayiste devenu homme politique a placé au cœur du débat de cette élection présidentielle de 2022, du moins avant que se déclenche la crise ukrainienne, les questions de l’immigration et de la souveraineté de la France. Elles étaient certes jusqu'alors celles du parti de Marine Le Pen, mais la présidente du Rassemblement national faisait moins porter l'accent sur elles ces dernières années. En dehors ensuite de cette redéfinition des objectifs prioritaires, le second élément tient, lui, à la relation de confiance qui s'est créée entre Zemmour et son électorat, ce dernier pensant que le nouvel arrivé dans l'arène politique, s'il parvenait au pouvoir, mettrait réellement en œuvre ses propositions. En ce sens, Éric Zemmour bénéficie un peu de l'effet de nouveauté, de rupture et de confiance qui a porté Nicolas Sarkozy en 2007 et Emmanuel Macron dix ans plus tard. 

Second point, celui de savoir si une refondation institutionnelle peut se faire. Oublions ici les éléments institutionnels, sans doute secondaires, du renforcement des pouvoirs locaux à la réapparition d’autres corps intermédiaires. La seule vraie clef de cette refondation est de renouer la relation de confiance entre les Français et leurs élus. Cela passe sans doute par l'impression d'être écoutés, mais les Français ne veulent pas seulement être consultés, ils veulent décider. Ils veulent que, comme ce devrait être la règle dans une démocratie, le choix majoritaire prévale sur les autres, quand ils ont au contraire l’impression que sur un certain nombre de points les politiques mises en œuvre servent des intérêts minoritaires. 

Car il est vrai que dans les domaines de la construction européenne, de l'immigration, de la sécurité, de la santé ou des acquis sociaux, pour ne prendre que ces exemples évidents, les politiques menées depuis des années – bien avant en tout cas l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir – bafouent sciemment les choix de la majorité de nos concitoyens. C’est possible parce que les pouvoirs, comme on l’a dit plus haut, et quand bien même les modalités d’expression de ce choix majoritaire existent-elles dans les textes, peuvent s’en affranchir sans engager leur responsabilité, en écartant par exemple indéfiniment des questions qui ne sont jamais posées. 

Devant ce hiatus et ses conséquences, il est permis de penser que sans une réintroduction d’éléments de démocratie directe garantissant l’expression du choix majoritaire et sa mise en œuvre, nous courons à l’explosion. Mais la démocratie participative que compte mettre en place Emmanuel Macron dans le droit fil de sa précédente conférence citoyenne et qu’il présente sans rire comme la solution vise simplement à remplacer le peuple indocile de la démocratie directe par un panel sous contrôle abusivement présenté comme légitime.

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !