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Uber, Airbnb, Blablacar, Le Bon Coin... Le Gouvernement leur donne le choix entre la mort subite et la mort lente
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Atlantico Business

Le rapport Terrasse remis à Manuel Valls pour réglementer l’économie collaborative, c’est-à-dire une grande partie des activités nées du digital, est d’une rare hypocrisie.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Toutes les initiatives nées grâce à la révolution digitale et qui ont bouleversé les modes de production et de distribution des biens et des services sont désormais et clairement la cible d’un gouvernement poussé par le lobbying de corporations qui sentent leur avenir menacé et qui craignent de perdre leurs rentes.

Pour calmer la colère des taxis assiégés par le succès des chauffeurs privés et autres Uber, mais aussi des hôteliers menacés par les grandes centrales ou Airbnb, sans parler des agents immobiliers qui digèrent mal l’emprise de sites comme Le Bon Coin, Manuel Valls a cru bon de demander au député de l’Ardèche Pascal Terrasse de produire un rapport sur tout ce qui touche à l’économie collaborative.

Le député Pascal Terrasse s’est sorti de l’exercice, mais visiblement assez embarrassé. Un peu coincé. D'un côté, une contrainte politique qui voudrait qu’on limite, qu’on encadre, qu'on administre, des activités qui échappent, semble-t-il, aux réglementations qui perturbent surtout un certain nombre de professionnels installés sur le marché depuis des lustres. De l’autre côté, la prise en compte d’une réalité qui s’est développée grâce aux innovations technologiques, au dynamisme de petits entrepreneurs et au plébiscite des clients. Parce que si les clients prennent Uber, passent par Airbnb et consultent Le Bon Coin, c’est parce qu'ils y trouvent avantage.

Pascal Terrasse prend bien soin de préciser que ces modes de fonctionnement proposent une alternative crédible à un modèle de consommation qui s’essouffle. Ceci pour répondre aux plus radicaux qui, à gauche, ont été tentés de demander une interdiction d’activité pure et simple, ce qui aurait été un pur scandale.

Du coup, le rapport propose au Gouvernement de mieux encadrer l’utilisation des plateformes numériques telles que celles qui sont utilisées par Blablacar (entreprise de partage d’automobiles privées), Uber (VTC) ou Airbnb, qui gère le partage rémunéré d’appartements, avec trois objectifs :

1. Améliorer la protection sociale des travailleurs qui se servent des réseaux

2. Permettre au fisc d’imposer les revenus des professionnels

3. Protéger les consommateurs.

Si les entreprises nouvellement créés dans le secteur ont échappé à la mort subite qui aurait été provoquée par l’interdiction de l’administration, elles ne pourront pas éviter la multiplication des contrôles et des tracasseries administratives.

Tout dépend comment les choses vont évoluer, mais à partir du moment où l’Etat se mettrait à encadrer une innovation et une activité nouvelles, il faut s’attendre à tout.

Les professionnels peuvent être acculés à tout arrêter, c’est possible : ou alors à attendre le risque d’étouffement. En fait, ils ont le choix entre se donner une mort subite et accepter la mort lente.

Pourquoi ? Tout simplement parce que si le rapport de Pascal Terrasse paraît nuancé, responsable et légitime, on imagine en revanche ce que l’administration est capable d’en faire pour donner libre court à son imagination bureaucratique. Pascal Terrasse a fait 19 propositions qui toutes peuvent être sur-interprétées. C’est si facile de punir des initiatives ?

Passons sur la nécessité de mieux informer les consommateurs. Cela ne posera pas de problèmes. Les VTC ont gagné leur position de marché en offrant non seulement la qualité de service mais la transparence des conditions de trajet. Tout est déclaré, connu et enregistré. Le client est totalement en confiance. La majorité des chauffeurs de taxis ne peuvent pas en dire autant, eux qui, pour la plupart refusent encore la carte bleue.

La question de la taxation des revenus professionnels va faire crier les loueurs d’appartements et les plateformes. A priori, tous les revenus en France sont imposés, ou du moins déclarés, on ne voit pas pourquoi les loueurs d’appartements via un site Internet seraient dispensés d’impôt. Question d’équité.

Sans doute, sauf que parmi les utilisateurs de site de location, il y a des loueurs occasionnels qui louent leur logement à des touristes étrangers quelques jours ou quelques semaines seulement dans l’année quand ils sont absents et des loueurs professionnels qui exercent cette activité toute l’année avec deux ou trois appartements, parfois plus. Vous avez même des agences immobilières qui louent des meubles via la plateforme Airbnb. On est toujours dans le partage, dans l’économie collaborative, mais on est aussi au cœur d’un vrai business.

La question sera donc de distinguer ceux qui ont une activité occasionnelle et qui ne seraient donc pas imposés, et ceux qui en font profession à temps plein. Les amateurs d'un côté et les professionnels de l'autre. L’administration adore ce genre d’arbitrage, parce qu’elle peut faire ce qu’elle veut.

Donc si on ne trouve pas des critères absolument objectifs avec des seuils précis mais pas transgressifs (les seuils c’est bien, sauf qu'ils engendrent des effets de seuils impossible à gérer), cette activité va forcément péricliter. Les petits loueurs risquent d’abandonner sous la menace de la paperasserie, et les gros se plieront aux règles mais deviendront alors des loueurs très professionnels. L’originalité d'Airbnb disparaîtra.

La solution la plus simple serait peut-être d’obliger les plateformes à déclarer tout ce qu’elles reçoivent comme loyers et tout ce qu’elles reversent aux propriétaires comme revenus. Au fisc de se débrouiller avec ses barèmes sachant que "les hauts taux tuent les totaux".

En attendant, quelle pagaille. La mesure n’aurait qu’un intérêt pour le fisc français, celui de connaître le chiffre d’affaires engrangé sur le territoire français parce que pour l’instant, les plus grandes plateformes s’arrangent pour déposer leurs comptabilités dans des pays voisins ou la fiscalité est plus clémente.

Reste à clarifier le statut des personnels qui travaillent dans cette économie collaborative. Cette question vise principalement les chauffeurs du secteur VTC, tous ces chauffeurs qui utilisent les applications UBER étant pour la plupart des travailleurs indépendants payés à la commission. Ils ont très souvent, au départ, le statut d’auto-entrepreneurs, ou alors celui de EURL ou même, pour certains, de SARL. Ils sont propriétaires ou locataires de leur voiture et ont passé un contrat de prestations auprès de la centrale Uber, chauffeur privé ou autre.

En termes de prix de revient, ce modèle-là ne paie pas le même montant de charges sociales. Les chauffeurs paient une cotisation sociale, une TVA, mais les entreprises ne paient pas leur part de charges, mais une commission. Il n'y a rien d’illégal dans ce système qui existe aussi dans beaucoup d’autres secteurs. Le seul problème est que ces activités florissantes ne participent pas au financement des charges de la collectivité. D'où les prix de revient plus attractifs.

Là encore, il est évident que si on transforme tous les chauffeurs VTC en salariés, d’abord ils ne travailleront plus pour leur propre compte, (ça risque de changer la qualité de service) ; ensuite les plateformes vont voir leur prix de revient de fonctionnement augmenter et, par conséquent, vont dépérir.

Le Gouvernement va, quand même, être obligé de prendre ses responsabilités. Ou bien il protège les activités qui sont existantes mais dépassées par la technologie, ou bien il favorise l’émergence des activités nouvelles, et dans ce cas-là, il les laisse vivre avec un minimum de contraintes, quitte à aider les acteurs menacés et fragilisés à s’adapter à cette modernité.

Au début du siècle dernier, quand Louis Renault a sorti les premiers taxis, il dut affronter la résistance de la compagnie des cochers parisiens qui refusaient cette initiative. Pour les convaincre, Louis Renault avait conçu des voitures très simples à conduire esurtout il avait offert une formation de quelques jours à tous les cochers qui accepteraient de conduite un taxi Renault. En deux ans, les voitures à cheval ont disparu de Paris, et au moment de la guerre, Clemenceau utilisa les taxis et leurs chauffeurs pour transporter très rapidement sur le front de la Marne les troupes françaises. Pour la petite histoire, les taxis, dont beaucoup ont été conduits par d’anciens cochers, furent indemnisés de la course.

Aujourd'hui, cette économie collaborative directement issue de la révolution digitale génère en France un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros et représente plus de 13000 emplois directs, qui n’existaient pas il y a dix ans. Mais dans la conjoncture actuelle, ça doit être un détail pour le Gouvernement.

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