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Trump ou Obama ? Macron ou Hollande ? Vous n’y êtes pas du tout, le retour de la croissance dans le monde doit beaucoup plus à... la vision de Janet Yellen
©Reuters

Woman of the situation

La patronne de la FED, dont le mandat arrive à échéance, a su imposer des indicateurs que d’autres ignoraient pour ajuster la politique monétaire américaine.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Ce 2 février sera la dernière journée de Présidence de la Fed pour Janet Yellen, en poste depuis le 3 février 2014, et dont l'action pour l'économie américaine a été largement saluée. Au cours de ces quatre années, Janet Yellen a été en charge de la sortie progressive de la politique "non conventionnelle" qui avait été initiée par son prédécesseur, Ben Bernanke. En quoi son apport a-t-il pu être décisif au cours de cette période de transition, notamment sur la question de la prise en compte de chiffres de l'emploi élargi "slack", et des chiffres de l'inflation "sous-jacente" pour éviter une sortie trop rapide du programme monétaire en place ? 

Rémi Bourgeot : Janet Yellen a pris la direction de la Réserve fédérale début 2014, à un moment où la reprise américaine était déjà avancée. Le taux de chômage avait reflué en-deçà de 7% après avoir atteint un pic à 10% en 2009. Cette reprise a reposé sur l’action résolue du gouvernement, à la toute fin de l’ère Bush puis principalement sous Barack Obama, en mettant en œuvre un véritable plan visant à débarrasser le système financier de ses actifs les plus douteux. Cette action a été controversée, à juste titre, mais elle a permis de relancer le crédit et elle s’est même avérée profitable pour l’Etat, du fait de l’impact de la reprise sur une partie de ces actifs nationalisés. Sur le plan de la politique monétaire, la réponse de la Fed a immédiatement consisté à abaisser les taux directeurs à leur plancher, Ben Bernanke ayant à l’esprit les erreurs de la Fed dans sa gestion de la crise de 1929. Un gigantesque programme d’achat de titres obligataires a de plus été mise en place, sous plusieurs phases successives, pour assouplir les conditions de crédit au maximum et créé un effet d’enrichissement des ménages, ce dernier aspect étant assez discutable dans son efficacité macroéconomique.

Lorsque Janet Yellen prend les commandes de la Fed, les pressions s’accroissent pour que la politique monétaire soit normalisée. La question des effets secondaires des politiques monétaires non-conventionnelles sont mises en avant, comme les bulles immobilières. Si cette critique est parfaitement fondée, il convient également de prendre en compte l’équilibre politique qui empêchait au niveau du congrès de passer des mesures budgétaires et fiscales favorables à la croissance. Le durcissement de la politique monétaire se serait donc ajouté à une politique économique du gouvernement qui ne pouvait faciliter la reprise, au-delà du travail décisif qu’il avait mis en œuvre sur le système financier.

Pour défendre la nécessité de conserver une politique monétaire très souple, Janet Yellen a mis en avant les difficultés que cachait la chute du taux de chômage, avec la notion de sous-utilisation du travail, c’est-à-dire le phénomène de sous-emploi, de temps partiel contraint, de non-recherche d’emploi par découragement, etc… Cela conduisait à un constat plus sceptique quant à l’avancée de la reprise, tout comme la considération de l’inflation sous-jacente.

Suivant cette ligne d’analyse, Janet Yellen a pu adapter le rythme de réduction des achats de titres obligataires mais aussi celui de hausse, très progressif, du taux directeur. On peut décrire cette approche comme une forme d’ingénierie monétaire, qui ne permet pas de combler les véritables failles d’un système économique, mais dans une période de sortie de crise, ces critères sont d’une grande importance. Par ailleurs, la Fed a au même moment commencé à prendre en compte, de façon plus ou moins implicite, les remous que causait la perspective de sa normalisation monétaire sur le reste du monde, notamment sur un certain nombre de pays émergents qui avaient reçu un afflux massif de liquidités sous forme de prêts en dollars lorsqu’ils paraissaient infaillibles. On peut ainsi dire que Mme Yellen a permis à la reprise mondiale, aussi imparfaite, déséquilibrée et frustrante qu’elle soit, de suivre son cours.

Jean-Paul Betbeze : Le départ de Janet Yellen est évidemment politique. Janet Yellen, première femme à présider la Fed a, en effet, réussi sans encombre la sortie du quantitative easing de Ben Bernanke (Républicain reconduit à ce poste par Barack Obama). Ben Bernanke, qui avait (heureusement) travaillé sur la crise de 1929, a convaincu dans la crise des subprimes (crédits immobiliers très risqués,sans trop le dire), la Banque centrale américaine d’acheter les bons du trésor américain nés du creusement du déficit budgétaire américain. La Fed a ainsi acheté des tombereaux de bons du trésor à 10 ans, au moment où le déficit budgétaire dépassait 1400 milliards de dollars (2009-10-11). Ceci a permis aux taux de baisser et au dollar de tenir. C’est ainsi que la Fed a créé la monnaie finançant l’économie dans la crise, évitant le pire (1929) et permettant la reprise par la baisse des taux courts (0%) et longs (1,5%).

Mais il fallait en sortir doucement, donc baliser la normalisation (alias la hausse des taux) et surtout mettre la reprise économique à un bon niveau, par la réduction du taux de chômage.

En sortir doucement, c’est éviter le tantrum, la colère (comme pour les enfants) qui avait saisi les marchés financiers le 22 mai 2013. Alors, Ben Bernanke avait annoncé qu’il achèterait moins de bons du trésor et de titres hypothécaires. La bourse, qui adorait cette baisse des taux qui permettait plus de profit et de croissance, chute. Les taux longs montent dans le monde entier, surtout chez les pays émergents. La leçon est claire : les marchés aiment la pression baissière sur les taux longs, souhaitent qu’elle dure et que la normalisation soit graduelle.

Janet Yellen a retenu la leçon, d’autant qu’elle a une spécialité : le marché du travail (avec son époux, le Prix Nobel d’économie : George Akerloff). Elle va donc mener la normalisation en donnant aux marchés les outils qui permettront de comprendre sa démarche : la forward guidance. Janet Yellen exploite à fond son double mandat : l’inflation vers 2%, pas un problème(!) et la recherche du plein-emploi, un problème. Cette double recherche lui donne du temps pour continuer à acheter des bons du trésor, puis pour monter peu à peu ses taux. En effet, le taux de chômage baisse de 10% au pire de la crise jusqu’à 4,1% actuellement, en même temps que le taux d’emploi remonte de 64% avant la crise à 60,1% actuellement, en étant passé par 58% en 2010-2012. C’est bien ainsi que Janet Yellen réduit le slack, le sous-emploi, soit non seulement diminue le nombre de chômeurs, mais ramène des chômeurs vers le marché du travail, puis vers l’emploi. Ce résultat est d’autant plus remarquable que cette évolution ne fait pas trop monter, jusqu’à présent, les salaires et l’inflation. Janet Yellen a été « aidée » ici, non seulement par la concurrence mondiale, mais plus encore par la révolution technologique en cours. Elle fait pression sur les emplois moyennement qualifiés, crée aussi des emplois peu qualifiés, et bénéficie aux experts.

Au total, Janet Yellen a réussi l’après-Bernanke, en évitant le tantrum, mais en soutenant surtout la croissance (par l’emploi en hausse) sans l’inflation, et donc avec des taux longs « calmes ». L’après-Yellen sera bien plus compliqué ! L’inflation va monter, les taux longs aussi, la bourse peut ne pas aimer…

Au regard des critères pris en compte par la Réserve fédérale au cours de cette période, peut-on considérer que la BCE a pu se mettre au diapason, ou est-ce que Mario Draghi et les gouverneurs ont conservé une approche plus rigoureuse de ces questions par rapport à la Fed ? 

Jean-Paul Betbeze : Janet Yellen a deux fers au feu, ou deux objectifs : inflation faible, emploi fort. Son art est de les combiner, pour prolonger dans le temps la normalisation et conduire plus de personnes vers l’emploi. Mario Draghi a un seul objectif : l’inflation à moyen terme inférieure à, et proche de, 2%. Ce  qu’il fait, c’est donc de pratiquer un quantitative easing impressionnant (bilan de la BCE à 4,5 trillions d’euros) jusqu’à obtenir des 2% de manière durable et répartis dans la zone. Nous en sommes à 1,3 ! En achetant ces bons du trésor (plus obligations privées), il fait baisser les taux longs (0,7% en Allemagne), fait baisser le coût du crédit (1,5% en France), dope le crédit (3,8% dans la zone, plus de 5% en France), avec une bourse qui monte partout, et un taux de chômage qui baisse lentement.

Mario Draghi n’est pas plus « rigoureux » que la Fed : il a un fusil à un canon. Donc il doit attendre plus longtemps l’emploi et l’inflation, étant en plus dans une économie encore disparate, avec peu de flexibilité dans son marché du travail et nombre de réformes à faire ! Sans oublier l’Allemagne (plus exactement la Banque centrale allemande) qui veut qu’il arrête : l’économie y est en plein emploi et craint la surchauffe !

Rémi Bourgeot  : Le principal problème au niveau européen a résidé dans la gestion désastreuse de la BCE par Jean-Claude Trichet jusqu’à fin 2011. Rappelons que celui-ci a été jusqu’à augmenter les taux de la BCE mi-2011 pour lutter contre des pressions inflationnistes imaginaires, en pleine crise de la zone euro, en pleine récession et alors que nous faisions face à une redoutable crise bancaire à l’échelle du continent…

L’approche a radicalement évolué sous Mario Draghi, qui a surtout eu le mérite d’imposer l’évidence aux gouvernements européens, en brisant le statu quo mortel qui prévalait à l’époque de M. Trichet. Draghi a été aussi loin qu’il pouvait en termes d’abaissement des taux directeurs et de programme d’achats de titres. La politique monétaire est bien plus politisée en Europe qu’aux USA, notamment au niveau du jeu interétatique. Dès lors que la reprise européenne s’est confirmée, la question de la réduction du programme d’achats s’est imposée. La BCE a par ailleurs un mandat unique, centré sur la seule question de l’inflation, alors que la Fed prend directement en compte aussi bien le chômage que l’inflation.

La situation européenne n’indique pas un rebond durable de l’inflation qui l’amènerait vers sa cible de 2%, mais on constate que l’équilibre politique a évolué, entre pays européens (ce qui se reflètent par une évolution simultanée chez les divers représentants nationaux au directoire de la BCE), sur la base de la reprise en cours, vers une réduction du programme d’achats.

Les opposants citent à juste titre les effets secondaires de ce programme d’achats sur le prix des actifs immobiliers dans un certain nombre de pays. Des mesures pourraient néanmoins être renforcées à cette fin ; ce qu’on appelle les mesures macro-prudentielles visant à limiter l’endettement en fonction de plusieurs critères pour freiner l’effet du déversement de liquidités par la banque centrale sur les prix de l’immobilier. On observe une réticence à véritablement user de cette approche, si bien que le programme de la BCE pose véritablement un certain nombre de problèmes qui permettent aux responsables allemands en particulier, surtout inquiets de la faiblesse des taux pour les retraités et les assureurs, de peser de tout leur poids.

Quel est le niveau de "slack" et d'inflation "sous-jacente" en Europe et en France aujourd’hui ? Quelle serait la politique appropriée selon les "standards définis outre atlantique ? 

Rémi Bourgeot : Le chômage au sens élargi atteint environ 18% en Europe, et en France. Les niveaux français européens étaient avant la crise autour de 15%. L’inflation sous-jacente est en France, comme à l’échelle de la zone euro, d’environ 1%, contre un taux général d’environ 1,3% alors qu’elle était proche de 2% avant crise. Le chômage élargi aux gens qui souffrent de sous-emploi ou qui sont découragés dans leurs recherches d’emploi, indique donc une réalité très différente de l’amélioration constaté sur le taux classique. Surtout on observe une augmentation de ce taux de chômage élargi pendant même la reprise économique en France et en Italie. Il a baissé pendant la même période en Espagne mais reste très élevé à environ 29%.

Il existe donc un décalage entre le discours euphorique sur la reprise et la réalité d’un marché de l’emploi cassé, où les gens souffrent souvent d’emplois déclassés, à temps partiel et surtout pour des contrats extrêmement précaires et à très courte durée. On recouvre cette misère sociale, qui conduit à la relégation d’une génération entière, d’un vernis de modernité en prétendant suivre un modèle libéral, qui n’a pourtant pas d’équivalent aux Etats-Unis où l’on recourt moins qu’en France par exemple à l’entreprenariat factice en lieu d’emplois salariés.

Jean-Paul Betbeze : L’inflation sous-jacente en zone euro est de l’ordre de 1,01% en janvier, 7 points de base de plus sur un mois et de 1,8% en décembre aux Etats-Unis, contre 1,7% en novembre. Quant au slack, à la sous-utilisation de la main-d’œuvre, entre chômeurs, plus disponibles mais pas en recherche, plus en recherche mais pas disponibles, plus sous employés, il faut compter 18% de la population active étendue en zone euro (population active plus population active potentielle) ! Ce chiffre est énorme (Source BCE Bulletin économique, 2017) ! Et, en France, il faut compter aussi 18% fin 2016, un chiffre qui monte avec la reprise, contre 10% en Allemagne et 29% en Espagne, pays où ces taux baissent.

On voit bien qu’aux Etats-Unis, la politique monétaire seule n’a pas suffi, et pourtant. Et pourtant les indemnités chômages sont faibles et limitées, rien à voir avec le cas français. Et aux Etats-Unis, certains Républicains veulent encore durcir les conditions d’obtention des aides, au vu de la santé du marché du travail. Même en Allemagne, avec un taux de chômage officiel de 3,6%, leslack calculé par la BCE est plus du double, en dépit de la croissance forte et du plein emploi. Le problème du sous-emploi dans les services et des lacunes de formation sont patents. Partout.

En France, on parle ainsi du taux de chômage à 9,7%, soit la moitié du sous-emploi. 0n oublie en effet la réalité de la montée du sous-emploi. Plus 148 500 chômeurs sur un an : c’est le chiffre. En décembre 2017, on compte ainsi 5,61 millions de demandeurs d’emploi en catégories A (3,45 sans emploi, libres immédiatement), plus B (0,75 million de chômeurs en activité réduite courte, moins de 78 heures dans le mois), plus C (1,414 million de chômeurs en activité réduite longue, plus de 78 heures dans le mois). Ils étaient moins nombreux, 5,46 millions, en décembre 2016. La baisse des chômeurs de catégorie A (15 700 sur un an) est ainsi largement dépassée par les hausses des chômeurs à temps contraint court : 28 600 (catégorie B) et surtout par les nouveaux entrants en catégorie C (chômeurs en activité réduite longue) : 135 600.

Cette évolution montre l’ampleur de la tâche : surveiller et éviter les fraudes bien sûr, mais surtout former dans les entreprises, notamment les PME, assouplir le marché du travail et satisfaire les besoins dans les services à la personne. Pour cela il faut faire payer à l’utilisateur seulement le reste à charge, après déduction fiscale (200 000 emplois en jeu !). Le chômage français dont on ne parle pas est aussi important que celui dont on parle, et les deux réduisent notre croissance future.

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