Trouver un chef, c’est (presque) fait… mais de quoi d’autre la droite a-t-elle vraiment besoin ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UMP élit son président ce samedi.
L'UMP élit son président ce samedi.
©Charles Platiau / Reuters

Trouver le cap

Nous saurons ce samedi soir qui de Bruno Le Maire, Hervé Mariton ou Nicolas Sarkozy aura la préférence des militants pour présider l'UMP. Il incombera au nouveau chef de l'UMP de rassembler toutes les tendances derrière un projet commun, qu'elles soient libérales ou conservatrices.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : La droite se sera trouvé un chef à 20h. Désormais quels sont les défis idéologiques auxquels l'UMP devra faire face ?

Jean Petaux : La première partie de votre question mérite un commentaire qui constitue d’ailleurs un élément de réponse à la question que vous posez ensuite. La « recherche du chef perdu » (pour paraphraser le premier « Indiana Jones »… à défaut de Marcel Proust) est une quête permanente de la droite. Peut-être qu’elle pourrait s’économiser quelques psychodrames et autres conflits de famille si elle était moins obsédée par cette question et, en même temps, cette quête du chef apparaît comme indispensable et consubstantielle à la coagulation des droites françaises entre elles. Pour autant, en imaginant que le chef trouvé à 20h, le samedi 29 novembre, calme les luttes fratricides (le pari apparait comme osé vu la tournure de la campagne interne à l’UMP…), la dimension idéologique des défis à relever ne sera pas réduite pour autant. Je vois quatre grands enjeux pour la droite républicaine française :

  •  l’affrontement éthique entre les valeurs traditionnelles et l’évolution des normes sociétales (le mariage homosexuel, la GPA, la PMA, mais aussi le débat sur la fin de vie, les recherches sur l’etc.)
  • la thématique de la république laïque, une et indivisible mais également décentralisée face au retour du fait religieux culturel et identitaire et à l’éclatement ailleurs en Europe de l’Etat hégélien et westphalien
  • la question sociale et la remise en cause ou non de l’exception française en matière d’Etat Providence y compris dans l’accueil ou non de nouvelles populations immigrées
  • la place de la France, réduite au rang de puissance moyenne, dans le monde mais aussi son rôle dans une Europe dont elle est de moins en moins leader parce qu’elle est de plus en plus isolée de ses voisins par ses choix financiers, économiques et sociaux.

Ces quatre défis sont les quatre côtés d’un « carré magique » et ils font système. Autrement dit : ils sont en interaction les uns avec les autres. Traiter, toucher, modifier l’un d’eux impacte nécessairement  les trois autres. Ce ne sont pas non plus des questions qui se posent seulement aux composantes de la droite : les gauches françaises y sont tout autant confrontées. Mais il n’en reste pas moins que parce qu’elle ont longtemps refusé de se poser ces questions, les droites se les prennent désormais de plein fouet.

Bruno Cautrès : Les deux principaux défis idéologiques auxquels devront faire face la « nouvelle UMP » et son Président sont de vrais gros défis dans le domaine économique et dans le domaine culturel. Dans le domaine économique, l’accentuation des politiques de lutte contre les déficits publics, la reprise du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la suppression de l’ISF, sont-elles des mesures susceptibles de donner un cap et d’entraîner le pays vers la sortie de sa « déprime socio-économique » ? Comment ne pas donner aux électeurs, y compris de droite, le sentiment que ce sont à nouveau les mêmes recettes que celles qui ont déjà été testées ? Il s’agit là d’un grand défi, les attentes des électeurs sont fortes. Et pour Nicolas Sarkozy, le défi est de ne pas réactiver l’image de « l’ami des riches ». Au plan culturel, c’est bien sûr sur les questions de l’Europe, de l’immigration, de Schengen et du rapport de la droite aux évolutions sociétales que le défi se posera. Si l’orientation idéologique allait trop, à cet égard, vers une forme de repli national, à la Cameron, cela perturberait une partie des électeurs de droite, libéraux et européens. Cela attirerait-il, en contre-partie les milieux populaires vers la droite plutôt que vers la gauche et surtout le FN ? C’est ici que l’on voit en quoi la dimension économique des grandes orientations idéologiques peut éventuellement contredire et être contredite par la dimension culturelle. On pourrait dire que sur le plan économique, Nicolas Sarkozy devra montrer qu’il « a changé » et qu’il n’est pas le «candidat des riches » (que va-t-il dire sur les inégalités sociales, territoriales ?) ; et que sur le plan culturel il devra expliquer sa position sur l’Europe, l’immigration.

Comment réunir l’ensemble de son électorat, pour le moins composite,  autour d’un projet commun ?

Jean Petaux : On sait, depuis René Rémond, que l’électorat de droite n’est ni homogène ni monolithique. Mais dans ce qui constitue réellement un agrégat composite et diversifié apparaissent quelques points référentiels partagés par tous.  Ainsi peut-on, sans grand risque d’erreur, considérer que l’électorat des droites privilégie l’individu face au collectif ; défend l’initiative privée et le libéralisme des échanges contre toute appropriation publique des outils de production et souscrit assez massivement à l’idée d’une primauté de la nation sur toute autre forme d’organisation sociétale. Ces trois thématiques, communément partagées par tout électeur votant pour un ou des candidats se présentant comme défenseur des idées de droite, peuvent constituer les bases d’un projet commun. Mais il faut pour cela que l’ensemble de l’électorat des forces de droite se rallie aux thèmes ici développés pour en faire réellement un projet commun, partagé et mobilisateur. C’est tout l’enjeu de l’élection à la présidence de l’UMP. Mais après cela, c’est toute la question des relations avec les autres composantes de droite et du centre (UDI, MODEM) qui est aussi posée.

Bruno Cautrès : C’est incontestablement autour de la fabrication d’un programme fédérateur que l’UMP peut réunir les familles qui la composent. La démarche sera à cet égard aussi importante que le fond. Donner l’image d’une machine capable d’organiser ses débats internes sans déclencher les guerres des stratégies individuelles, autrement dit d’une organisation qui débat d’idées et de problèmes de manière démocratique sera assez important. A cet égard, Nicolas Sarkozy a sans doute assez bien capté que les adhérents ont une forte demande de plus de débats et de prise de parole. Si les adhérents veulent avant tout des victoires et des chefs qui ne défraient pas la chronique, la demande de plus de démocratie interne est forte. Cette tendance n’est pas l’apanage de la droite.

Si dans les années 1980 lorsque la droite s’est convertie au libéralisme, l’ensemble de la société profitait encore de la mondialisation, une partie de la population, celle de la "France périphérique" selon les termes du géographe Christophe Guilluy, non seulement ne bénéficie plus de cette mondialisation aujourd’hui, mais elle en fait aussi les frais. Quelle est plus précisément la "morphologie" de cette société française de droite, divisée territorialement, économiquement et politiquement ?

Bruno Cautrès : Sociologiquement la droite est, comme la gauche, traversée par la question de la mondialisation. Les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation ne sont plus alignés par la seule dimension gauche-droite. Les entrepreneurs dont les marchés étaient très locaux et qui ont perdu ces marchés peuvent être tombés du côté des « perdants » du côté de la partie la moins qualifiée de leurs employés ; les « gagnants » peuvent se trouver aussi bien chez des entrepreneurs très internationaux que chez leurs cadres qualifiés ou chez tous ceux dont le capital culturel ou économique leur permet de bénéficier de l’économie globale. La droite comme la gauche ont du mal à attirer et à représenter les perdants de cette économie globalisée. Une partie des Français se sent ou est objectivement exclue de cette modernisation économique et culturelle de la globalisation.

Jean PETAUX : Prenons garde à ne pas nous tromper dans l’évaluation et l’estimation de la France périphérique d’hier. Je ne suis pas certain qu’elle profitait tant que cela des bienfaits de la mondialisation. Pour autant il est clair qu’il existe aujourd’hui « plusieurs France » et que la droite (dans sa diversité), traditionnellement attachée à une forme d’égalitarisme républicain et jacobin ne peut pas se satisfaire des disparités qui se creusent révélant ainsi de véritables zones de dépression et déprise sociales. Dans les années 60, l’Etat colbertiste, entrepreneur et jacobin du gaullo-pompidolisme a créé la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) ; le général de Gaulle a même parlé « d’ardente obligation du Plan »… On était aux antipodes d’une forme de non-interventionnisme public propre aux « reaganomics » et au néo-libéralisme thatchérien. L’un et l’autre n’ont d’ailleurs jamais vraiment « pris » en France… Ils ont d’ailleurs (c’est le comble)  plus connu de succès sous la gauche que sous la droite. Nicolas Sarkozy a ainsi été un interventionniste économique bien plus actif que Lionel Jospin dont le gouvernement (1997-2002) détient le record des privatisations en France. De quoi « athéiser » le plus « charbonnier » des tenants de la « foi socialiste »…

La société française aujourd’hui, dans sa partie droite (donc majoritaire), remet en cause fondamentalement la notion centrale et structurante, de « solidarité mécanique » pour l’ensemble de la société. L’attachement à venir en aide aux fractions les plus défavorisées de la société est moins fort qu’il y a vingt ans. La solidarité fiscale n’existe plus et le sentiment que les « exclus » sont de plus en plus responsables de leur propre situation s’est très largement diffusé.  Il s’ensuit une société fragmentée, constituée de communautés concurrentes entre elles et dont le principal point commun semble se résumer au syntagme suivant : « l’autre est toujours plus privilégié que moi ». Ainsi le riche s’estime pauvre au regard des plus riches que lui. Le sentiment de discrimination prime sur la réalité de la discrimination. L’étranger est vraiment perçu comme un être étrange quand il n’est pas vécu tout simplement comme un prédateur. Et, in fine, la compassion tient lieu de raisonnement rationnel et l’affectif  pulsionnel remplace, dans les larmes et les marches blanches, la mesure et la relativité des faits et des actes. Faut-il le rappeler ici, que l’égorgement,  aussi horrible soit-il d’un Français en Algérie,  ne saurait être comparé avec la mort de 20.000 soldats français tués au front, dans la seule journée du 22 août 1914…

Bien entendu, comme elle n’est pas politiquement unifiée, la droite française est minoritaire dans la représentation politique, au moins pour l’instant au niveau national. Mais il n’en reste pas moins qu’elle porte en elle des histoires, des sensibilités, des cultures différentes qui rendent très difficile son unification. D’abord parce que les rapports que ses principales fractions (bonapartisme, légitimisme et orléanisme) entretiennent avec la question du leadership sont très différents. Ensuite parce que la relation que chacune de ces composantes a avec la question de la représentation partisane et parlementaire est antagoniste avec les autres. Enfin parce que la question de la nation et de la souveraineté n’est pas du tout traitée de la même manière dans chacun des trois groupes. Autrement dit : si l’union de la droite a pu se faire dans des coalitions électorales de circonstance et conjoncturelles, elle ne s’est jamais vraiment opérée sur des enjeux fondamentaux et structurants.

Dans un tel contexte, quel modèle de société original en accord avec ses valeurs la droite pourrait-elle proposer ?

Jean Petaux : C’est très difficile à concevoir. Surtout à la suite de ce que j’ai rappelé. Si l’on s’en tient néanmoins aux quatre côtés que j’ai évoqués dans ma première réponse, on peut considérer que pour dessiner un tel modèle original, la droite se montrerait modernisatrice et libérale dans ses choix éthiques et moraux (comme ce qu’a pu faire Giscard après son élection en 1974) ; qu’elle ferait en sorte de favoriser la protection des religions en aidant à leur expression au sein de l’espace public sans encourager le prosélytisme et l’ostentation provocatrice (comme la fait Chirac en 2003-2004 avec la commission Stasi et la loi Ferry) ; qu’elle encouragerait l’initiative privée et l’entreprenariat individuel soutenu par un volontarisme économique étatique (comme l’a fait Pompidou pendant ses années Matignon, 1962-1968)  tout en veillant à ce que la puissance publique assume son rôle de protection des plus démunis (comme l’a fait le programme du Conseil national de la Résistance à partir de 1944 et dans lequel siégeaient aussi des gaullistes et des chrétiens-démocrates ou encore la « Nouvelle Société » de Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de 1969 à 1972) et défende aussi les intérêts supérieurs de l’indépendance nationale par les pouvoirs régaliens (défense, sécurité, renseignement) qui permettent d’exercer ces prérogatives d’Etat (comme l’ont fait de Gaulle et Couve de Murville dans leur diplomatie de 1962 à 1969) ; qu’elle maintienne la France à son rang international qui est celle d’un membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, avec son droit de veto (comme l’ont fait Chirac et Villepin en mars 2003 par rapport à l’invasion de l’Irak) et celle d’une puissance nucléaire totalement indépendante dans l’emploi de cette arme ultime (comme l’a fait le général de Gaulle à partir de 1958 et en 1966 en quittant le commandement militaire intégré de l’OTAN) . J’ajouterai même : qu’elle sache regarder l’histoire contemporaine de la France avec sérénité et justesse (comme l’a fait Jacques Chirac dans son discours fondateur, sur les ruines du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1995).

Dans tous ces exemples on a les éléments constitutifs d’une droite française originale par rapport aux autres droites européennes (italiennes, allemandes, espagnoles, britanniques) qui serait, en somme, une sorte de « mix » entre différents « temps de jeu » de la droite quand elle a été au pouvoir, depuis 70 ans en France. Et qu’elle a su assumer ses responsabilités.

Bruno Cautrès : La droite, comme la gauche aujourd’hui, devra se positionner tôt ou tard sur la question de la réforme de l’Etat et de la grande question suivante : les fameuses « réformes de structures » veulent t’elles dire une réorientation des domaines d’intervention de la puissance publique ? La droite ne peux re-proposer un modèle très libéral comme elle avait essayé dans les années 1980 après l’élection de F. Mitterrand et surtout pendant la première cohabitation de 1986-88 : malgré les évolutions de l’opinion publique depuis et la réduction de la conflictualité politique (on ne parle plus ni de nationalisations, ni de privatisations), la question des inégalités reste un France un puissant vecteur de politisation. Il reste donc à la droite à développer ce thème de la réforme de l’Etat tout en l’accompagnant d’un récit qui ne soit pas celui du « toujours moins pour ceux qui ont peu ». Pour la droite, il y a urgence à cet égard car les évolutions du PS, sous l’influence de M. Valls ou E. Macron, peuvent priver la droite de la primeur de ce thème.

Qu’est ce qui pourrait justement la différencier des autres partis ?

Jean Petaux : Incontestablement son attachement à l’identité française et au rôle de la France dans le temps et dans l’espace. Les partis de droite, en dépits de leurs divergences, de leurs  sensibilités différentes ont un point commun. Ils pensent que la France existe et qu’elle est porteuse de valeurs spécifiques et originales dans le concert des nations, à travers le monde. Cette vision irénique d’une « France belle et unique » n’est pas forcément synonyme de nationalisme ou de chauvinisme. Elle peut se confondre avec ces deux traits caractériels quand elle est exacerbée et qu’elle précède tous les autres éléments structurant la pensée et la raison ; mais elle est souvent une simple fierté. Elle ne se traduit pas par un repli atavique sur une France plus idéalisée que réelle qui voit en chaque étranger le barbare obsédé par l’idée de violenter les filles de France (la pensée lepéniste par exemple). Elle ne se dilue pas non plus dans un ensemble supranational aux contours diffus et flous auxquels certains fédéralistes européens centristes peuvent parfois être sensibles. Par rapport à une gauche en panne de modèles et confrontée à des injonctions contradictoires, l’avantage comparatif de la droite française pourrait bien se résumer à cette simple proposition : « la fierté tranquille » (d’une France réconciliée avec elle-même et ouverte sur le monde).

Bruno Cautrès : La question de l’Europe et de l’ouverture de la France au monde, de son adaptation à ce monde qui change, constitue une vraie différence aujourd’hui entre la droite et le FN. Les électeurs de droite sont nettement acquis au principe de l’intégration économique de la France dans un monde ouvert, même s’ils sont beaucoup plus qu’avant préoccupés par les flux migratoires de ce monde ouvert.

La réussite d’un tel projet passe-t-elle forcément par la synthèse entre le libéralisme et le conservatisme ? Comment la synthèse entre libéraux et conservateurs s’opérait-elle avant ? Dans le contexte actuel, comment la réinventer ?

Jean Petaux : Vous pointez à mon sens la question centrale et fondamentale. Cette réconciliation correspond à la figure composite que j’ai évoquée dans une réponse précédente en citant plusieurs « moments » où la droite au pouvoir, depuis 1944 s’est assumée aussi bien en tant que force de droite mais aussi comme composante républicaine, acteur de modernisation sociale et politique, agent de développement économique et défenseur de la souveraineté nationale tant en Europe qu’à l’égard du reste du monde. La synthèse entre conservateurs et libéraux alors s’est faite dans les traits d’un leader charismatique qui a su triompher de ses rivaux à l’intérieur-même de la famille fractionnée des droites (de Gaulle s’imposant face à Giraud en 1942 ; de Gaulle contre les généraux putschistes et l’extrême-droite de l’OAS après 1961 ; Pompidou contre Poher en 1969 ; Giscard contre Chaban en 1974 ; Chirac contre Giscard de 1976 à… nos jours ! ; Chirac contre Balladur en 1995… Et Sarkozy contre de nombreux rivaux à partir de 1998 jusqu’à son élection en 2007). Le souci de la droite c’est qu’elle a souvent eu du mal à maintenir la domination d’un leader d’une de ses composantes sur l’ensemble de ses concurrents. Peut-être tout simplement parce que la prise du pouvoir par un « primus inter pares » le transforme aussitôt en cible pour ses futurs rivaux. Si les libéraux se sont alliés aux conservateurs, à certains moments de l’histoire politique des droites depuis 70 ans, c’est que l’une ou l’autre de ses deux sensibilités a fait le constat de son état minoritaire l’obligeant à passer une alliance et à se soumettre momentanément à l’autre. Ainsi Pinay et Giscard en 1958, figures des « Indépendants », se rallient-ils au général de Gaulle. Antoine Pinay n’est pas du tout gaulliste, toute sa trajectoire politique l’oppose à de Gaulle, mais il conçoit qu’il n’y a pas d’autre issue possible. Quant à Giscard,  du haut de ses 32 ans il attend tout simplement son heure. Il plantera le couteau de Brutus dans le dos du Général, onze ans plus tard, lors du référendum perdu de 1969. Le raisonnement vaut aussi pour l’alliance Giscard-Chirac de 1974. Chirac et les « 43 » parlementaires UDR d’alors se rallient à VGE et trucident Chaban lors du premier tour de la présidentielle anticipée provoquée par la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974. Mais cette association n’est pas une « fusion-absorption » de l’UDR par les « Républicains Indépendants » de Giscard. La preuve en est que Chirac va vite créer son propre parti, « à sa botte », le RPR et qu’il va entrer dans une lutte permanente et constante avec son « associé de 1974 » dès son « départ-rupture » de Matignon à l’été 1976. A chaque fois, les droites semblent momentanément unies, en fait elles portent en leur sein reconstitué une blessure secrète jamais cautérisée. Même en 2002 lorsqu’Alain Juppé lance l’UMP, il lui manque alors François Bayrou qui prononce cette phrase lourde de sens au pied de la tribune du congrès fondateur de Toulouse : « Quand on pense tous la même chose, on ne pense plus rien », revendiquant alors « sa liberté de penser » (et surtout celle de se présenter aux prochaines présidentielles… de 2007, puis de 2012).

Bruno Cautrès : Les grandes synthèses politiques (type Union de la gauche) étaient auparavant plus faciles à concevoir même si elles se faisaient dans la douleur. La crise, les marges de manœuvres économiques très faibles, la mise sous tension du système politique (forte défiance vis-à-vis des élus), les alternances à répétition rendent le contexte moins facile. Par ailleurs, si le système politique français conserve une forte dimension bipolaire (avec deux grands camps, la gauche et la droite, au sein desquels on a un acteur dominant, PS et UMP), il est travaillé en profondeur par un troisième pôle, celui du FN. La bipolarité qui s’exprime dans un second tour présidentiel entre gauche et droite n’arrive plus à masquer l’existence et la montée en puissance de ce troisième pôle. Pour la droite, les tentatives de redonner vie à une alliance de type RPR-UDF viennent régulièrement se briser sur la réalité électorale d’aujourd’hui : il faut assurer sa place au second tour et donc avoir un « gros candidat » soutenu par un « gros parti », voire plus.

Comment se fait-il que malgré les courants et les réalités sociologiques très différents qui la traversent, on continue de parler de « la droite » ? Cela-a-t-il encore un sens ?

Jean Petaux : Sans doute parce que c’est une catégorie pratique qui a le mérite d’être simple… Comme un coup de crayon de l’école de « la ligne claire ». C’est assez enfantin et reconnaissable par le plus grand nombre. Tout comme la gauche est une autre représentation minimaliste de la réalité politique… Parler de la droite c’est résumer en un mot ce qui semble désigner autre chose que la gauche. Et réciproquement. L’une est indissociable de l’autre. Avec, en France, la fameuse « quadrature du centre », la figure du « centre introuvable »… Evoquer la droite c’est aussi participer de la bipolarisation du second tour de l’élection présidentielle, la consultation la plus appréciée (en termes de participation) des Français. Parce qu’elle est simple, elle renvoie à la figure éternelle du duel, du match de catch, de l’affrontement tennistique mais aussi au duel entre Anquetil et Poulidor aux heures de gloire du Tour de France dans la France des années 60, puis aux duels Merckx-Ocana, Fignon-Lemond, etc. Le candidat de droite contre le candidat de gauche, dans un débat télévisé suivi par des millions de téléspectateurs entre les deux tours de la présidentielle… Il arrive, en revanche, que les Français soient privés d’un vrai duel entre droite et gauche. Alors ils n’aiment pas ça. Ils « boudent » ostensiblement le match, comme entre Pompidou et Poher, entre « Bonnet blanc et blanc bonnet » (dixit Jacques Duclos, le candidat du PCF éliminé de très peu au soir du premier tour) ou, pire, comme entre Chirac et Le Pen après un certain 21 avril 2002. Alors la droite semble ne plus vraiment exister, soit parce qu’il lui manque « l’autre moitié du monde » (la gauche),  soit parce qu’elle est hégémonique (et a absorbé momentanément la gauche : cas de l’élection de Jacques Chirac avec plus de 82% des suffrages exprimés).

La vie politique française peut entrer dans une zone de turbulences accentuées lorsque l’alternative droite républicaine-gauche républicaine se dérobe au regard de l’électeur… Elle peut même amener celui-ci à exprimer son désaveu autrement que par son bulletin de vote… En « votant avec ses pieds » par exemple (autre manière de désigner l’abstention. Ce qui pourrait fort bien advenir en 2017 lors du duel du second tour où tout dépendra des deux candidat.e.s encore en lice.

Bruno Cautrès : La division entre la gauche et la droite a quelque chose de plus fort que les conjonctures ; il s’agit d’une dimension quasi-anthropologique. La politique rabat les problèmes politiques complexes à des séries de clivages binaires : gauche/droite, ami/ennemi.  Malgré les importantes transformations de nos sociétés modernes, la politique continue de reposer sur ce type de grands clivages qui permettent aux citoyens de se repérer dans l’univers complexe de la politique. Mais cela n’empêche pas qu’à l’intérieur d’une famille ou d’un camp politique, il existe des nuances, des courants.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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