Troubles jeux : derrière l’attentat de l’Etat islamique en Iran, qui tire vraiment quelles ficelles au Moyen-Orient ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le drapeau Iranien, photo d'illustration AFP
Le drapeau Iranien, photo d'illustration AFP
©ATTA KENARE / AFP

Billard à 15 bandes

84 personnes sont mortes, mercredi, lors d'un attentat à la bombe perpétré dans le sud de l'Iran. L'Etat Islamique a revendiqué l'attaque.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Les médias de la République islamique d'Iran affirment (sans preuve) que l'Etat islamique (Daesh) aurait agi sous la direction d'Israël. Crédible ou pas ?

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Son auteur, Yashar Ali, est journaliste au Huffington Post (édition NY).

Alexandre del Valle : Israël n'a pas l'habitude de faire ce genre d'attentats. Contrairement à Gaza où l’armée israélienne vise à éliminer les terroristes dans la bande de Gaza, avec plus ou moins de réussite d’ailleurs, il s’agit ici d’un attentat commis contre des manifestants en faveur du général Soleimani. Or ce dernier n'était pas le chef du Hamas, c'était le chef de toutes les légions islamistes de type chiite qui, pendant la guerre civile syrienne, luttait contre Al-Qaïda et surtout contre Daesh en Syrie et en Irak. Il faut savoir que le contentieux entre l'État islamique et l'Iran islamiste, ce n'est pas un contentieux de type division entre islamistes. Ce sont deux univers totalement opposés, à tel point que quand Daesh a été créé et qu'il a rompu avec Al-Qaïda, le chef d'Al-Qaïda à l'époque reprochait à Daesh d'être obsédé par les chiites. On oublie que Daesh a été obsessionnellement tourné contre l'Iran, ses proxy, les milices islamistes chiites, iraniennes et le monde chiite en général.

L’attentat en Iran ressemble au mode opératoire de l’Etat islamique. De plus, il a un énorme contentieux avec le général Soleimani, qui gérait les brigades chiites qui allaient lutter contre Al-Qaïda et Daesh en Syrie. Ensuite, ce n’est pas la première fois que Daesh a perpétré des attentats sur le sol iranien. Enfin, même si parfois il y a eu des alliances un peu paradoxales, Daesh est l'ennemi total de la République islamique iranienne encore plus qu'Al-Qaïda ne l'est.

Les choses sont parfois plus compliquées qu'elles n'y paraissent, surtout dans cette région où les stratégies de l'ombre sont légion. Qui aurait intérêt à frapper l'Iran sans que cela se sache ? L'Arabie Saoudite ? Le Qatar ? L'Égypte ? L'Azerbaïdjan ? La Turquie ? 

Tout d’abord, l'Arabie Saoudite n’a pas intérêt à déstabiliser l’Iran, avec qui elle a un accord de non-nuisance négocié grâce à la Chine. En revanche, les Émirats arabes unis, l'Égypte et l'Azerbaïdjan ont intérêt. L'Azerbaïdjan a un énorme contentieux puisque il y a des Azéris en Iran que l'Iran craint beaucoup. L'Iran s'est rapprochée de l'Arménie par peur de l'irrédentisme azéri. Par conséquent, les Azéris accusent les Iraniens d'être du côté des Arméniens, leur pire ennemi. Les Émirats arabes unis ont quant à eux lancé une campagne de lutte contre l'Iran tous azimuts depuis une dizaine d'années, même plus, en finançant toutes les forces anti-iraniennes et anti-chiites islamistes partout. Les Égyptiens, eux, n'ont pas un contentieux direct avec l'Iran en ce moment. Le président al-Sissi essaie d’ailleurs de se réconcilier avec tout le monde.

Il reste des forces internes de l'opposition, kurdes ou azéris, de l'opposition radicale à l'intérieur du régime iranien. Pourquoi pas même aussi des factions rivales à l'intérieur du régime iranien, cela existe. Mais la piste indépendante de l'État islamique est la plus probable.

La Turquie, contrairement à l'Azerbaïdjan, n'a pas le même contentieux avec l'Iran. Autant l'Azerbaïdjan a un contentieux direct avec l'Iran, autant la Turquie, comme vous le savez la géopolitique est complexe, surtout au Moyen-Orient, n’a pas un énorme contentieux territorial et de population. Il n'y a pas un tiers de Turcs qui habitent en Iran, même s'il y a des turcophones, mais c'est plutôt des Azéris. Il y a même eu une négociation et des coopérations entre la Turquie et l'Iran extrêmement fructueuses. Le régime d'Erdogan est parfois dans le camp anti-iranien comme en Syrie, mais à d’autres moments Erdogan a de très bonnes relations avec l'Iran.

Quelles sont les hypothèses un peu folles mais qui seraient tout aussi crédibles ? 

On peut penser aux forces d'opposition, mais elles n'ont pas ce modus operandi. Ça pourrait être des terroristes kurdes, mais ce n’est pas dans leurs habitudes de faire des attentats aveugles de masse d'innocents comme ça. D’autant que les Kurdes d’Iran ne sont pas les Kurdes les plus persécutés par rapport à ceux de Turquie, d'Irak et de Syrie.

On peut également envisager la piste de sécessionnistes arabes en Iran qui ont toujours eu un contentieux avec le régime des Arabes qui seraient pro-Daesh ou pro-Al-Qaïda. Deux autres hypothèses : la piste Al-Qaïda, qui a eu un contentieux avec le général Soleimani, et la piste de l’action israélo-américaine, mais celle-ci reste improbable. Notons tout de même que Soleimani était quand même derrière les forces de « l'axe de la résistance » ; Et il est toujours le héros à la fois de l'Iran et de beaucoup de proxies iraniens dans la région. Il a beaucoup œuvré aussi pour alimenter le Hamas, même si le Hamas n'est pas un proxy iranien, d’où les accusations sans doute de l’Iran envers Israël sur cet attentat. On a vu que pendant la guerre civile syrienne, les pro-iraniens accusaient tout le temps Daesh d'être en fait une force d'Israël. Plus généralement, dans certains pays arabes qui sont proches de l'axe chiite, on définit Daesh comme un suppôt d'Israël, une création d'Israël, un proxy d'Israël. C'est une théorie totalement complotiste, mais qui s'explique dans sa doctrine de révolution islamique pour mobiliser des masses islamistes. La révolution islamique iranienne a toujours voulu étendre cette révolution aux chiites, mais pas qu'eux, et ne pas apparaître comme un mouvement anti-sunnite, même si c'est le cas. Et donc toujours, la République islamique a essayé, quand elle combat d'autres forces islamiques, de les délégitimer en disant qu'elles ne sont pas des vrais musulmans, ni même des vrais sunnites. Cette rhétorique n’est pas nouvelle. Et elle est constante dans cette région depuis toujours. Avant, c'étaient les nationalistes arabes qui accusaient les islamistes d'être secrètement financés par Israël, lequel avait en effet toléré des dirigeants du Hamas ou d'autres forces islamistes pour diviser le camp palestinien. Mais Israël n'a jamais actionné des terroristes islamistes qui obéiraient à ses ordres. C’est à exclure totalement.

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