Trop d’énergie, pas assez de nutriments : notre système de production alimentaire est-il complètement à revoir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le bon, la brute et les truands

Le mot "énergie" évoque généralement des barils de pétrole. Pour d'autres individus, l’énergie est, en premier lieu, nutritionnelle. Mais savons-nous la gérer ?

Béatrice  de Reynal

Béatrice de Reynal

Béatrice de Reynal est nutritionniste Très gourmande, elle ne jette l'opprobre sur aucun aliment et tente de faire partager ses idées de nutrition inspirante. Elle est par ailleurs l'auteur du blog "MiamMiam".

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Les sources d'énergie alimentaire n'ont pas beaucoup changé depuis que l’homme existe - monde végétal, animal, microbien – mais la composition des aliments qui nous sustentent a évolué de façon révolutionnaire, ainsi que la façon dont nous nous procurons la nourriture.

Alors que l'énergie était au départ ce qui a motivé l'approvisionnement en nourriture (chasse et cueillette, début de l'agriculture et de l'élevage), nous sommes maintenant dépendants des sources d'énergie fossile pour faire le travail exténuant de culture, de récolte et de distribution de notre nourriture.

Nous sommes donc passés d’un mode de production humaine ou animale pour nourrir des humains de façon « normale » à un mode de production très énergivore pour nourrir des humains à l’excès : trop de densité énergique dans des aliments devenus néfastes, dotés uniquement d’énergie, pas de nutriments.

Une réelle aberration : réduisons la densité énergétique de nos aliments implique être moins gros, en meilleure santé, avec moins de besoins alimentaires et donc, moins besoin d’énergie fossile.

Ce passage à une agriculture plus énergivore implique une série de compromis comme le bon, la brute et les truands.

Le Bon, ce sont les nombreux avantages du système alimentaire moderne, y compris des aliments moins chers, plus pratiques, plus sûrs. Nous n’avons jamais eu une meilleure qualité sanitaire des aliments… mais la composition nutritionnelle est chamboulée ! Nous savons faire le meilleur, mais nous produisons le pire !

Aujourd’hui, on consacre au poste « alimentation » moins de 10 % des revenus (USA) à 12 % (France) quand 25 à 33 % étaient nécessaires en 1933.

Une agriculture plus énergivore a également permis à bon nombre d'entre nous de faire d'autres choses que de cultiver, récolter et préparer la nourriture.

Le nombre de paysans s’est effondré en France, à mesure que la productivité a augmenté… aujourd’hui, c’est bien de faim qu’ils meurent, leurs revenus étant microscopiques. Plus de paysans, personne pour reprendre les exploitations… mais il n’y a pas de pays sans paysans.

Qui fera manger la France demain ?

La brute, ce sont les effets négatifs sur l'environnement de la production alimentaire à forte intensité de ressources. Produire, produire, produire. Monoculture, pesticides à outrance, épuisement des sols, des ressources…

Il y a de nombreux inconvénients à l'intensité des productions de l'agriculture, par exemple, la pollution à la fois localement et globalement. Localement, l’élevage intensif émet une variété de polluants de l'air (y compris les matières particulaires, les gaz à effet de serre, et les composés organiques volatils) et ainsi que l'odeur du fumier accumulé. Le ruissellement provenant de l'exploitation d'élevage et les cultures peuvent aussi polluer les sources d'eau locales. Dans une perspective plus globale, l'agriculture et l'élevage contribuent au réchauffement climatique par les émissions de méthane et d'oxyde nitreux (avec 21 et 298 fois le potentiel de réchauffement global de dioxyde de carbone, respectivement) de la volatilisation des engrais et la décomposition des déchets animaux. Les concentrations de nutriments riches en run-off des activités agricoles dans les voies navigables contribuent à des phénomènes saisonniers tels que les zones mortes dans le golfe du Mexique et d'autres organes de l'eau. En outre, le système alimentaire nécessaire d'environ 16% de la consommation annuelle d'énergie en 2007 pour l'agriculture, transformation, transport, stockage, distribution et préparation (Canning et al., 2010). L'énergie utilisée dans le système alimentaire produit également des émissions de gaz à effet de serre et consomme précieuses ressources énergétiques.

Les truands sont les hiatus et les paradoxes résultant des bons et mauvais compromis dans le système alimentaire comme le gaspillage alimentaire, les pollutions, la non-gestion des sols et de l’eau, qui ne sont que des exemples des ambiguïtés du système alimentaire moderne, réseau complexe de compromis qui doivent être faits entre changements durables, sécurité alimentaire et santé de la planète.

Les déchets alimentaires, un phénomène qui au premier coup d'œil ne peut avoir que des effets négatifs sur le système alimentaire, sert encore un objectif important pour la sécurité alimentaire. Ce n’est pas un paradoxe mais un prix à payer pour assurer la sécurité des mangeurs.

Le risque 0 n’existe pas en alimentaire. Qui accepterait que son enfant ou son papa âgé meure d’une intoxication alimentaire ?

Mais quel consommateur serait assez fou pour consommer une tranche de viande périmée ? Toutes les personnes peu argentées : je les vois prendre dans les poubelles du « proxi » tous les produits alimentaires périmés… mais qui semblent encre bons. Salades à la mayo dépassée, tranches de pâté périmée… Je les mets en garde mais ils prennent. Cette nourriture est une aubaine pour eux et leur famille. Oui, le gérant devrait détruire les denrées périmées avec un produit coloré pour bien montré qu’ils ne sont pas propres à la consommation. Au lieu de ça, le sac poubelle contenant tous les emballages intacts est emporté.

Entre les denrées non consommées à la maison ou invendues à l’usine, sur le lieu de stockage ou en magasin, ce sont près de 30 % des aliments produits qui sont jetés. Peut-être même plus dans certains quartiers. Certaines études certes anciennes évoquent même 50 %(Jones, 2005; Kantor, 1997).

En collectivité, écoles, hôpitaux, et catering, les retours plateaux sont considérables. Non seulement les denrées sont jetées, mais leurs innombrables emballages aussi.

En termes de rentabilité énergétique, ça se pose là !!

Quel chef d’entreprise pourrait avec ce mode de gestion ?

Suffirait-il de mettre un chef d’entreprise pour gérer ces questions, plutôt qu’un politique ?

Les suggestions sont aujourd’hui nombreuses pour limiter ce gâchis : notamment en proposant des sauces à la pompe plutôt qu’en sachet individuel, le sucre sous 2 formats : morceau ou demi-morceau, l’option « lait pour le café » non inclus dans le sachet cristal qui emballe le touilleur, le sucre et le sachet de creamer »… Demain, il faudra accepter une autre gestion avec des possibilités accrues de choisir soi-même ses portions.

C’est déjà le cas dans les cantines que nous souhaitons proposer aux municipalités soucieuses de l’équilibre alimentaire de leurs électeurs, et qui souhaitent se conformer rapidement à la loi Egalim avec plus d’approvisionnements locaux ou bio. Les pommes sont lavées et coupées en quartiers au moment, pour les petits enfants qui ont du mal à croquer dans une pomme et de la finir. Les ramequins sont proposés en 2 formats pour les petits et pour les moyens. Le plat est servi sur la demande de l’enfant.

Le bon sens

Ce n’est pas anodin : l’humanité est remise au centre de cette restauration collective qui pourrait se renommer « alimentation globale ». Oui : il faut un peu plus de temps pour écouter ce que souhaite l’enfant, l’inciter doucement à consommer plus de légumes ou à « goûter quand même".

Bien que les déchets alimentaires peuvent apparaître comme une inefficacité insensée, la production alimentaire excessive a un but. Il est impossible de savoir exactement combien de carottes ou de côtelettes les consommateurs voudront cette année, donc impossible de savoir exactement combien en produire.

Donner un choix est une exigence et un « droit » pour tous. Mais ne peut-on retrouver les bonnes vieilles bases de la gestion domestique des années 50 et que toute bonne « ménagère » - j’adore ce mot ! – connaissait. Le pain rassis était réutilisé, tout comme le reste de rôti ou les petits bouts de fromages. Sans prendre de risque sanitaire.

Une production alimentaire excédentaire fournit également une protection contre les aléas dans l'approvisionnement alimentaire. Mauvaise météo, un chargement qui est perdu, un soucis de frigo et la perte d’un stock… nous devons toujours avoir « un peu plus en cas que ».

Mais ce petit plus peut aussi être un « fond de placard » qui ne périme pas vite.

En période de pénurie alimentaire inattendus, nous pouvons réduire les déchets et les inefficacités pour compenser les déficits de l'offre. Il y a un niveau optimal de production excédentaire, cependant, qui fournit un niveau de stabilité de l'approvisionnement alimentaire sans qu'il en résulte une perte excessive de ressources. Il nous faut réfléchir de manière critique sur les conséquences d'un changement dans un système aussi complexe que la nourriture et l'agriculture, avec des limitations biologiques qui ne sont pas toujours apparentes.

Rendre l'agriculture plus durable requiert également un niveau de buy-in de la population générale - ce que nous sommes prêts à sacrifier pour un système plus écologique. Un système alimentaire durable doit aussi être capable de fournir suffisamment de nourriture pour la population future à un prix accessible à tous.

Merci à Melissa C. Lott

Références :

Food for thought – The Good, The Bad, and The Ugly - Melissa C. Lott | October 3, 2011 |

Amanda Cuéllar with contributions from Colin Beal

Jones TW. THE CORNER ON FOOD LOSS. BioCycle2005; 46(7).

Morris, F. ‘Is U.S. Farm Policy Feeding the Obesity Epidemic?’ National Public Radio, Aug. 10, 2011. http://www.npr.org/2011/08/10/139390696/is-u-s-farm-policy-feeding-the-obesity-epidemic

Smil V. Improving efficiency and reducing waste in our food system. Journal of Integrative Environmental Sciences 2004; 1(1): 17-26.

ERS. ‘U.S. Farms: Numbers, Size, and Ownership.’  US Department of Agriculture, Economic Research Service. 2007. http://www.ers.usda.gov/publications/eib24/eib24b.pdf

ERS. ‘Food CPI and Expenditures: Table 7.’ US Department of Agriculture, Economic Research Center. 2011. http://www.ers.usda.gov/Briefing/CPIFoodAndExpenditures/Data/Expenditures_tables/table7.htm

Kantor, L. S.; Lipton, K. Estimating and addressing America’s food losses. Food Rev. 1997, 20 (1), 2.

ERS. Agricultural Productivity in the United States. US Department of Agriculture, Economic  Research Service. 2010. http://www.ers.usda.gov/Data/AgProductivity/

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