Trillionaires : le monde en route pour l’ère des hommes qui valaient mille milliards de dollars ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une nouvelle concentration de "super-riches" pourraient bientôt voir le jour : les trillonaires
Une nouvelle concentration de "super-riches" pourraient bientôt voir le jour : les trillonaires
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Les bourses bien pleines

Si la concentration du capital continue de s'accroître, il faudra attendre encore vingt-cinq ans environ pour voir une nouvelle catégorie de "super riches" se généraliser : les trillionaires.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Alors que d'après Capgemini et RBC Wealth Management les personnes disposant d'un minimum d'un million de dollars à investir seraient au nombre de 13,7 millions dans le monde, les prévisions financières (notamment celles de la Banque Credit Suisse) avancent que d'ici 25 ans, le premier trillionnaire (mille milliards de dollars) verra le jour. Est-ce vraiment plausible ? Quelles sont les données économiques et financières qui vont dans le sens d'un accroissement exponentiel de la richesse ?

Vincent Touzé : Tous les ans le Research Institute du Crédit Suisse édite un rapport sur la répartition de la richesse dans le monde et recense le nombre de milliardaires. En 2010, ils étaient environ 1000 dans le monde. Si on prend les derniers classements Forbes et Bloomberg, Bill Gates serait toujours l’homme le plus riche du monde avec une fortune évaluée entre 69,6 et 76 milliards de dollars. On est donc loin des 1000 milliards de dollars. Pourtant, 1000 milliards de dollars, ce n’est jamais que 3 fois la valorisation de Google (environ 350 milliards de dollars), une entreprise née seulement il y a une quinzaine d’année. Etant donnée la dynamique de telles entreprises, imaginer, d’ici 2025, des valorisations supérieures à 1000 milliards ainsi qu’une forte concentration du capital entre quelques mains n’est pas inenvisageable.

La plupart des fortunes sont relativement stables dans le temps. La richesse est-elle forcément amenée à s'accroître et à se concentrer dans les années qui viennent ? Sous quels effets ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’accroissement des fortunes et leur concentration :

1 - La mondialisation favorise les grands groupes car ces derniers ont une aptitude plus grande à optimiser la localisation de leurs outils de production et bénéficier ainsi de tous les gains d’un libre-échange mondial accru. Cela encourage les fusions et donc les concentrations ;

2 - Les technologies liées à l’informatique et à la communication (internet) ont permis de créer de nouveaux marchés (par exemple, des services en ligne, des réseaux sociaux, etc.). Elles ont accompagné et bénéficié de la mondialisation. Ces technologies présentent la caractéristique d’être à rendement d’échelle croissant. Cette situation apparaît lorsque le coût moyen de production diminue avec la quantité produite. De plus, ces technologies ont souvent des caractéristiques de réseaux, c'est à dire que la valeur d’usage dépend positivement du nombre d’utilisateurs. De ces caractéristique, il en ressort que le propriétaire de la technologie leader sera le grand gagnant et il concentrera alors l’essentiel du marché (par exemple, Microsoft, Facebook, Twitter, Google, etc.)

3 - L’évolution des modes de rémunération des dirigeants (stock options, actions gratuites, parachute doré et retraite chapeau) et la (paradoxale) dilution entre des petits porteurs du capital majoritaire des grands groupes ont fait naître une nouvelle caste de patrons qui ne sont ni les créateurs de l’entreprise ni leurs véritables propriétaire mais les personnes choisies par les conseils d’administration. Souvent ces conseils d’administration sont composés de représentants désignés par les grands groupes eux-mêmes qui possèdent de façon croisée des participations suffisamment importantes pour ne pas être marginalisées comme les petits porteurs. Le contrôle du capital aurait ses noyaux durs.

4 - La finance a connu un essor incroyable jusqu’en 2007. La création de nouveaux et nombreux produits financiers complexes a favorisé l’essor d’une ingénierie élitiste qui deviendra toute puissante et qui sera à l’origine de la création de nouvelles fortunes, mais aussi de la crise...

Quelles conséquences cette naissance des méga-riches aura-t-elle sur l'organisation des sociétés ?

La naissance des méga-riches est problématique dès lors que le mode de constitution de ces fortunes serait préjudiciable à la société. Steve Jobs, le créateur de la marque Apple, était à la tête d’une fortune colossale et pourtant, il n’a jamais été vu comme un vilain profiteur des forces laborieuses. Bien au contraire, il est perçu comme un innovateur bénéfique. Il en va de même lorsqu’un laboratoire met au point un nouveau vaccin et une nouvelle molécule aux effets nettement positifs sur des maladies. Les perspectives de profits sont importantes et en même temps, la société entière y gagne.

La naissance des méga-riches pose un problème moral si elle se nourrit de l’appauvrissement de la population. Dans certains pays et à certaines époques (et encore aujourd’hui), des fortunes ont ainsi pu s’obtenir par une pure et simple exploitation humaine (esclavage, misère ouvrière, etc.).

Le courant des libertariens prône ainsi l’idée que des fortunes élevées sont illégitimes dès lors qu’elles ont été mal acquises. Toutefois, même lorsque les fortunes sont bien acquises, l’altruisme des plus riches doit être encouragé. Au sens de Hayek, il s’agit même d’un devoir moral. Il n’y a pas de société juste et libre sans redistribution, et Hayek défend l’idée même que cette réallocation des richesses doit aussi reposer sur une base volontaire. Aux Etats-Unis, les milliardaires utilisent souvent leur fortune pour créer des fondations caritatives. En juillet 2013, Warren Buffet (le 3e homme le plus riche au monde) a ainsi donné 2 milliards de dollars à la fondation de Bill Gates.

Le prix Nobel d'économie, Robert Merton Solow avance que si la concentration de la richesse s'accentue, nous nous dirigerons tout droit vers l'oligarchie. Faut-il effectivement le redouter ? Cette oligarchie est-elle d'ailleurs en marche ?

Si le libéralisme économique est louable dans le sens où il permet à chacun d’exprimer librement et sans contrainte ses capacités productives et ses demandes sur des marchés, le capitalisme, au sens d’une concentration excessive du capital, doit être craint. Pour fonctionner, le libéralisme a besoin d’une atomicité des acteurs économiques. En ce sens, on peut parler de liberté égale. Toute position dominante doit être condamnée ou réglementée car elle est souvent abusive. La concentration du capital aboutit nécessairement à des positions dominantes où le plus fortuné aurait tous les pouvoirs économiques et éventuellement politiques et sociaux. Ce serait la fin des libertés et la porte ouverte à toutes les formes d’exploitation humaine.

En Chine et en Russie, les oligarques sont tolérés avec une réserve de ne pas entraver le pouvoir en place. Quelles pourraient être les conséquences du développement d'une oligarchie sur la démocratie occidentale ? Comment ses pouvoirs pourraient-ils être encadrés ?

La Chine et la Russie sont deux exemples intéressants puisqu’il s’agit de deux pays qui ont connu une révolution marxiste. A un moment donné de leur histoire, ces deux pays ont donc supprimé la propriété privée pour mettre fin au système capitaliste. Seul l’Etat était propriétaire. Malheureusement, la suppression du droit de propriété a aussi abouti à celle des libertés fondamentales, et une concentration du pouvoir politique entre les mains d’une élite a succédé à la concentration de la propriété entre capitalistes.

Aujourd’hui, dans ces deux pays, on voit apparaître de nouveaux super riches. Ces fortunes résultent de deux logiques différentes :

1 - La Russie dispose de ressource gazière très importante et une élite possède les compagnies qui ont les droits d’exploitation ;

2 - La Chine bénéficie pleinement de la mondialisation grâce à une main d’œuvre nombreuse, bon marché et qui apprend vite les techniques de production occidentales. Par ailleurs, l’économie chinoise se développe et de nouveaux marchés intérieurs émergent.

D’un point de vu occidental, la montée des inégalités dans ces deux zones est inquiétante car en plus d’être condamnable, elle pourrait un jour être source d’instabilité politique.

Par ailleurs, ces nouvelles fortunes ont la possibilité d’étendre leur pouvoir en dehors de leur pays et de créer de nouvelles multinationales en achetant des entreprises occidentales. Dans un contexte où la maîtrise technologique est stratégique à long terme pour les nations, l’occident a raison de se méfier d’un nouveau capitalisme hégémonique qui prendrait sa source dans des zones émergentes. La concurrence entre pays occidentaux conduit souvent à transférer sa technologie pour gagner quelques parts de marché. A long terme, une telle stratégie est perdante dès lors que l’occident risque de perdre durablement perdu sa position de leader technologique.

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