Transition énergétique, libre-échange et mondialisation : et si la naïveté européenne n’était pas du tout là où on la voit ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et Joe Biden à New York, le 21 septembre 2022.
Emmanuel Macron, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et Joe Biden à New York, le 21 septembre 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Volonté politique

La visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis a fait ressurgir le débat sur la « naïveté » de la France et des puissances européennes dans les affaires de commerce international, expliquant une grande partie de nos échecs.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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A l’occasion de la visite de Macron aux USA, on entend à nouveau un peu partout la petite musique concernant notre « naïveté » dans les affaires de commerce international, un genre de libre-échangisme dogmatique de la part de nos élites censé expliquer une bonne part de nos échecs, et cela comparativement à une Amérique qui serait protectionniste pour son plus grand bénéfice. Avant d’aborder nos gros domaines de naïveté, je voudrais rappeler les faiblesses et les contradictions de cette approche très répandue en France même dans la droite classique (ou ce qu’il en reste) :

1/ Nos élites convaincues par le libre-échange ? Pardon ?

Elles sont depuis toujours libre-échangistes à condition de n’aborder ni l’agriculture, ni la culture, ni les services publics, ni la santé, ni l’éducation, ni l’énergie, ni les transports,…

L’esprit de l’Acte unique n’a pas duré longtemps, et il ne serait plus possible de nos jours : la macronie techno-colbertiste est disons mercantiliste new age, on ne sait pas bien où se situent les LR, et on sait très bien où se situent Mélenchon et Le Pen. Un Bastiat redescendu sur Terre serait bien seul à l’Assemblée, je veux dire encore plus seul que dans les années 1840.

2/ Notre déclassement est 100% interne, domestique, engendré chez nous par une incapacité à rénover l’Etat-Providence et les services publics

Dès qu’il s’agit des échanges extérieurs, nous sommes bons, très bons, en tous les cas aussi bons que peuvent l’être des gens débrouillards du secteur privé avec le double boulet de l’euro et de l’Etat. C’est notre insertion (certes imparfaite et précaire) dans les échanges mondiaux qui est la seule source de gains en bien-être pour nos consommateurs depuis 4 décennies, parce qu’il ne faut pas compter sur la RATP pour offrir du choix, pour baisser les prix et pour améliorer la qualité, alors que n’importe quelle boite taïwanaise arrive très bien à nous contenter au meilleur coût.

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3/ L’Amérique est de plus en plus protectionniste, peut-être, mais :

a/ cela implique de sortir des mesures habituelles, celles de l’univers physique du XXe siècle (sinon, que l’on m’explique leur déficit commercial énorme et croissant, et alors même qu’ils n’importent plus d’hydrocarbures en net), pour se diriger vers des mesures en valeurs et non plus en volumes, avec une meilleure prise en compte des variables immatérielles et financières que dans la comptabilité ordinaire (Apple n’est pas qu’un revendeur de produits chinois), ce que l’on nomme la « matière noire » des échanges. Alors dans ce cadre-là, effectivement, les excédents US posent question, même s’ils passent plus par le dollar et par les normes que par les instruments traditionnels du protectionnisme, les gros sabots des droits de douane et des subventions,

b/ cela n’a presque rien à voir avec la nature de leur force, née du libre-échange intérieur (un grand marché dès la fin du XIXe siècle) et de la flexibilité du marché du travail, et améliorée ces derniers temps par leur place directrice dans les flux globaux immatériels (sur les 8 ou 10 techno-seigneurs qui dominent les nouveaux fiefs algorithmiques, 8 ou 10 sont américains). A chaque fois que l’Amérique a tenté le protectionnisme (sur l’acier, puis sur l’automobile, etc.), elle l’a payé très cher, mais c’est un luxe qu’elle estime pouvoir se permettre, pour de sombres raisons d’économie politique (rassurer le fermier, cajoler le syndicaliste, etc). Leurs entrepreneurs font tellement d’argent qu’ils peuvent se permettre les bêtises collectives les plus folles, les nôtres sont trop peu nombreux surtout dans les secteurs d’avenir pour que l’on duplique tous ces tirages de balles dans le pied.

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Naïf, l’économiste libéral sans cœur qui connait les avantages comparatifs de Ricardo, par rapport à des diplômés de l’école de Guerre avec leur vision agonistique des échanges ? Certainement pas. Le « commerce international » n’est plus un commerce (c’est une distribution de tâches le long des chaines de valeur globales) et n’est plus international (il est inter-groupes, et même souvent intra-groupe) ; ne soyons pas naïfs au point de croire que ce sont les gouvernements qui échangent, et qu’ils ont une véritable prise sur ces choses, au point de croire que l’Inflation Reduction Act de Biden modifie quoi que ce soit aux trajectoires spontanées (subventionner à hauteur de 7500$ pour Ford ou GM ne change rien au fait que c’est Tesla qui fait avancer le secteur…).

Tout cela sent le jeu de rôles, la comédie.

Naïfs nous sommes, oui, mais très marginalement sur le libre-échange, bien plus dans d’autres domaines qui sont de NOTRE responsabilité, et où l’ogre Américain est peu coupable (ce qui ne signifie pas qu’il aide à l’harmonie générale et à notre prospérité en crachant sur la Chine matin midi et soir, en multipliant les oukases extraterritoriales, ou en encourageant Zelensky à prétendre au Grand Chelem) :

-Naïveté énergétique. Vu le contexte, inutile d’insister. Mais je parlais déjà de cette vulnérabilité auto-induite avant qu’elle ne saute aux yeux de tous. Nous n’avons pas investis dans l’électricité pilotable, non-intermittente, pendant des années, alors que nous savions pour la demande structurellement croissante. Le scandale Areva, le pillage EDF, les petits arrangements cyniques avec les anti-nucléaires et avec les Allemands : rien ne relève des Américains (même si maintenant il faut leur acheter très cher le GNL issu des pires méthodes que… toutes nos élites dénonçaient). Tout est lié ici à nos énarques, à nos X-mines, à nos écolos, à nos incohérences temporelles, à nos lâches (Jospin, Chirac, Hollande, Macron). Lire les analyses de Loïk Le Floch-Prigent sur ce thème,

-Naïveté monétaire. Au risque de me répéter pour la 100e fois : naïveté d’avoir fait l’Europe de la monnaie avec les Allemands plutôt que l’Europe de la défense avec les Anglais, naïveté d’avoir donné autant de pouvoirs à Trichet et à la Bundesbank sans contreparties démocratiques, naïveté d’avoir fait de l’inflation statistique (CPI) l’alpha et l’oméga de la politique monétaire alors qu’elle est contaminée par les fluctuations des prix des hydrocarbures et de tout un tas de choses qui ne sont pas monétaires, naïveté d’avoir confié à la BCE la supervision bancaire après la crise en promettant une « muraille de Chine » avec ses autres activités et en oubliant qu’elle avait déjà assez de moyens de chantage sur les démocraties, etc.

-Naïveté migratoire. Je vais faire très court car je risque trop de dire des choses méchantes, même sous pseudo. Disons qu’on ne récupère pas le gratin du gratin, et s’étonner ensuite de la montée des inégalités scolaires ou de l’insécurité relève de plus en plus de la naïveté. Mention spéciale pour le « Nous y arriverons » de mamie Merkel en 2015, jugé courageux par beaucoup de gens à Paris, alors qu’à mon avis une analyse moins naïve aurait aussitôt traduit par « Vous y arriverez », si l’on veut bien admettre que Merkel ne vivra jamais dans une barre d’immeuble avec des Syriens,

Vous remarquerez que la plupart de nos naïvetés parisiennes sont très liées à notre suivisme sidéral vis-à-vis de l’Allemagne (considéré comme pathétique par le monde entier). C’est l’Allemagne qui nous pique des emplois industriels, plus que l’Amérique et la Chine réunis. C’est elle qui en veut à mort à tous nos secteurs d’excellence, qui est capable d’entamer des procédures juridiques et des coalitions diplomatiques contre nous sur des sujets régaliens (la monnaie avec le QE, le nucléaire…) ; mais elle au moins n’a pas la naïveté de croire encore en un « couple » fantomatique ; elle sait que « les Nations n’ont pas d’amis », et en un sens elle est bien plus gaullienne que la France.

Les descendants ou héritiers des gaullistes, s’ils existent encore dans notre pays, oseront-ils enfin sortir de ce cortex de naïveté, après avoir abandonné la monnaie (pilier de l’ordre social chez Rueff), la participation (transformée en vague objet lilliputien de primes) et peut-être même une certaine idée de la France ? Ils sont les seuls à pouvoir garder le cap du libre-échange sans trop louvoyer, tout en assurant un cadre interne à la fois libre et protecteur, et en évitant le socialisme du RN comme les marchands du Temple sous stéroïdes du clan Macron. Qu’ils se réveillent avant la mort de notre industrie, avant le remplacement de leur base sociologique et avant le travestissement final de leurs idées.

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