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Justice
Un gardien de prison dans un établissement pénitentiaire.
Un gardien de prison dans un établissement pénitentiaire.
©DENIS CHARLET / AFP

Triste réalité

La prise d’otages dans la prison de Condé-sur-Sarthe met en lumière un certain nombre de problèmes structurels.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Atlantico : En juin dernier dans la prison de Condé-sur-Sarthe a eu lieu une prise d’otages où deux surveillants, ont été retenus par un détenu avant d’être relâchés. Mardi 5 octobre, dans cette même prison, un nouvel individu condamné à perpétuité a lui aussi blessé un surveillant et bloqué une surveillante dans une cellule provoquant une prise d’otages. Deux situations qui nous font s’interroger sur l’état actuel des prisons et les conditions de détention des établissements français. A quel point les prisons sont-elles confrontées à un manque de moyens matériels ?  

Loïk Le Floch-Prigent : On ne s’intéresse aux prisons que lorsqu’il y a évasion ou prise d’otages, et encore plus lorsqu’un délinquant revenu dans la société commet un crime. L’émotion étant rapidement éteinte, on passe à autre chose et les sujets ne manquent pas. De temps à autre, toutefois un brillant esprit se réveille en dénonçant le scandale des peines non exécutées et donc la nécessité d’ouvrir d’urgence de nouvelles prisons, 20 000 places en général, pour y engouffrer la racaille. La bonne méthode n’est pas celle-là, elle consisterait à faire un constat, établir un diagnostic et suggérer des remèdes. Ceci serait très angoissant car cela voudrait dire ouvrir la boite de nos lâchetés, c’est-à-dire découvrir ce que nous voulons cacher sous le tapis. Il est clair que la prison, son fonctionnement, son rôle, ses moyens, son personnel… sont les derniers de nos soucis, individuels comme collectifs. « Repenser la prison » comme j’ai voulu le proposer dans un ouvrage récent, c’est aussi s’interroger sur la société dans laquelle nous vivons et sur son organisation quand il s’agit de traiter crimes et délits.

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Avant d’en venir aux moyens matériels, il faudrait réfléchir à ce que nous voulons faire en incarcérant des « coupables » ou des « présumés coupables ». Voulons-nous surveiller et punir selon un barème écrit dans la loi ou voulons-nous protéger la société d’un danger sur les personnes ou sur les biens. La plupart des pays occidentaux sont en train de se poser cette question en mêlant magistrats, avocats, policiers et personnel pénitentiaire, beaucoup en France se mobilisent autour de la deuxième alternative « protéger la société », mais le flot des commentaires reste le même dans l’hexagone et finit par le confort d’une récrimination budgétaire.

S’interroger sur le danger conduit cependant à s’interroger sur l’accompagnement du détenu lors de son incarcération, sur l’examen de son cursus avant sa libération et sur les chances de sa réinsertion dans la société, c’est-à-dire la probabilité qu’il ne soit plus dangereux. C’est ainsi que celui qui a prononcé la peine est conduit à devenir acteur du programme carcéral et responsable du droit de sortie… un changement complet par rapport à la philosophie et au fonctionnement actuel.

Autrement dit si on considère par moyens nécessaires à rendre efficace l’incarcération uniquement les investissements matériels, on se trompe complètement, mais si l’on parle de personnel d’insertion et de probation, de psychologues et de psychiatres, d’éducation, de travail, de contenus, alors oui il faut augmenter les moyens et aider le personnel pénitentiaire à renouveler entièrement la conception de l’incarcération. Mais il faut d’abord en convaincre les magistrats et les rendre responsables des peines qu’ils prononcent dans la durée et non seulement au prétoire.

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Pierre-Marie Sève : Il est assez difficile de porter un jugement général sur les prisons françaises en prenant pour exemple la maison centrale de Condé-sur-Sarthe.

D’abord parce que cette maison centrale abrite uniquement des criminels, et ces criminels sont parmi les plus dangereux de France : Tony Meilhon, Youssouf Fofana etc... Elle est également réputée pour être la mieux sécurisée de France et, contrairement à l’immense majorité des prisons de France, elle n’est pas surpeuplée. Les détenus sont ainsi tous isolés et ne communiquent que très peu entre eux.

En revanche, le roulement des effectifs de surveillants de prison, estimé à 30% annuellement, dit quelque chose des conditions de travail déplorables qui y ont lieu. La violence est omniprésente car gérer des détenus psychologiquement déséquilibrés et qui n’ont plus rien à perdre est une des missions les plus difficiles qui soient. La prise d’otages d’hier n’en est d’ailleurs qu’une parmi des dizaines à Condé-sur-Sarthe ces dernières années.

Le système de réinsertion et de formation durant les peines est-il à réinventer ?

Loïk Le Floch-Prigent : C’est bien cela dont il s’agit et c’est la seule manière de protéger le personnel pénitentiaire qui voit la violence grandir tous les jours à l’intérieur des établissements alors qu’ils sont débordés et que l’acte de surveillance qu’ils ont déjà du mal à réaliser est dérisoire par rapport au sujet à traiter : que font les détenus et comment se préparent-ils à revenir dans la société. Participer à cette grande ambition de réinsertion et de protection de la société pourrait avoir un sens, surveiller pour accompagner une punition est très insuffisant.

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Pierre-Marie Sève : La Justice française souffre d’un dogme selon lequel le seul objectif de la peine est de réinsérer le coupable. Comment une personne qui n’a aucun espoir de jours meilleurs peut-elle continuer à vivre ? Depuis que la société française ne croit plus en la vie après la mort, elle ne peut se résoudre à la cruauté de condamner une vie entière à la perpétuité réelle. C’est donc logiquement que la perpétuité réelle n’existe plus dans notre pays. C’est aussi pour cette raison que toutes les peines en France sont pensées pour la réinsertion future des détenus, même les plus dangereux, même ceux dont il y a une chance infime de réadaptation à la vie en société. C’est pourtant inconscient de vouloir libérer et réinsérer certains profils qui ne sortiront jamais de la violence.

Le preneur d’otages d’hier matin, Sofiane Rasmouk, a commis des actes inimaginables : il a violé et défiguré deux jeunes femmes au hasard, avec une cruauté sans nom. Pourtant, comme tous les autres détenus français, il garde une possibilité de sortie. Normalement, dans 17 ans, il pourra demander une sortie conditionnelle ou un aménagement de peine. Il n’aura que 50 ans. Cet homme a été condamné des dizaines de fois avant de commettre ces meurtres. De plus, il les a commis en semi-liberté. Il n’y a aucun espoir de réinsertion pour lui.

Alors oui, sans même parler de la peine de mort, qui est une question qui peut se poser, la perpétuité réelle, qui n’existe pas en France, doit être rétablie d’urgence car des potentielles victimes innocentes ne peuvent subir les frais d’un criminel libéré trop tôt.

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Le sous-investissement de l’État en la matière est-il en train de transformer les prisons en école du crime ? L’état d’insécurité, des trafics en interne et la violence sont-ils inquiétants ?

Loïk Le Floch-Prigent : Ne pas s’occuper vraiment des personnes qui sont incarcérées conduit, au mieux, à ce que ceux qui sortent après leur peine n’aient guère changé. Mais dans la plupart des cas, et en particulier chez les jeunes, on a accueilli des petits délits et on remet dans la société des fauves. C’est un fait, ce n’est pas une opinion ,c’est parfaitement observable et, en plus, c’est compréhensible avec le système appelé à Fresnes BHV : brimades, humiliations vexations. Et ce n’est pas de la faute du personnel de détention, c’est la seule manière  de pacifier un quotidien inacceptable puisque sans objectif autre que la sortie au plus vite. Et l’éducation suivie est celle de quelques habitués qui racontent leurs exploits anciens ou futurs. Si on ne revient pas au fonctionnement des détenus pendant leurs journées solitaires et à un accompagnement, on peut effectivement appeler la prison une école du crime. Cela dépend donc de nous, de notre société, de savoir si elle a ou non comme objectif de se protéger ou au contraire d’aggraver nos maux.

Pierre-Marie Sève : Les prisons ne sont pas l’école du crime car les juges français ne mettent en prison que très peu de "nouveaux" délinquants. Les prisonniers en France sont donc tous déjà des délinquants ou criminels chevronnés car ils ont souvent plusieurs condamnations derrière eux.

En France, il est cependant vrai que les maison d’arrêts, où sont emprisonnés les personnes qui ont commis un ou des délits, sont en complète surcharge. Statistiquement, ce qui explose en France, ce n’est pas tant la grande violence, les homicides etc… que la petite violence : les coups et blessures, menaces de mort, les incivilités etc… Pour toute cette violence, il faut davantage de maisons d’arrêt. Pour avoir davantage de places dans les prisons, il faut donc construire des prisons et surtout expulser les délinquants étrangers à l’issue de leur peine car le système carcéral français a déjà du mal à gérer la délinquance française : il ne peut pas gérer la délinquance étrangère.

Les rémunérations des gardiens et leur recrutement posent-ils problème pour la sécurité des prisons ? Y-a-t-il un risque de long terme ? 

Loïk Le Floch-Prigent : Plutôt que gardiens, le personnel préfère surveillant et même personnel de l’administration pénitentiaire en uniforme, montrant là qu’ils se voient au service de la collectivité pour faire respecter la République, la loi et l’ordre. Pour avoir vu des surveillants devenus des amis dans la vie sociale, je peux dire que leur rôle n’est pas très valorisé ni prisé par ceux qui demandent à cor et à cri de nouveaux établissements. Certes on peut parler de leur salaire, mais d’abord il faudrait reparler de leur rôle et de leur dignité, c’est-à-dire retrouver un véritable programme de formation et non quelques mois de principes, et surtout considérer qu’ils doivent participer à la réinsertion. Ouvrir et fermer des portes est un métier frustrant pour ceux qui sont rentrés pour corriger les erreurs d’asociaux ! Repenser la prison, c’est aussi et peut-être avant tout redéfinir la mission du personnel pénitentiaire. C’est un changement complet de perspective qui conduit à, privilégier l’incarcération des "clients" dangereux, à faire travailler puis indemniser avec les fruits du travail effectué les délinquants sur les biens, à concentrer les moyens matériels et surtout humains sur les cas qui mettent en péril la sécurité des citoyens en ne les laissant sortir que lorsque les professionnels les considèrent come réinsérables. Cela nécessite un changement de la loi, certes, le changement de la formation des magistrats et de leur responsabilité vis-à-vis des délinquants, sans doute, mais pour la protection de la vie sociale, cela vaut le coup d’y réfléchir.    

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