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Tous dans nos bulles : pire que les fake news, la polarisation de nos news feed sur les réseaux sociaux
©Reuters

Cerveaux ramollis

En favorisant l'apparition dans notre fil d'actualité de contenus reflétant nos préférences en matière d'informations et d'idées politiques, Facebook et Google contribuent à la réduction de notre champ de pensée.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Une étude publiée par le journal Science Direct montre que Facebook et Google, par leurs suggestions de contenus, reduisent l'exposition des utilisateurs à des points de vues diifférents de leur mode de pensée. En quoi ces suggestions participent-elles à l'appauvrissement de la démocratie ? 

Nathalie Nadaud-Albertini Ces suggestions enferment chacun dans une certaine ligne de pensée et évitent de la confronter à d’autres. L’utilisateur gagne un certain confort à ne pas se sentir perturbé dans ses certitudes. Mais il y perd beaucoup dans le processus de formation de ses idées, de ses convictions. En effet, de manière générale, ces dernières se forgent dans la confrontation entre des positions variées et différentes. Que l’on débatte à plusieurs ou que l’on réfléchisse dans son for intérieur, on procède toujours de la même façon : on se penche sur plusieurs façons de penser, on les examine tour à tour, on les confronte entre elles, en tentant de cerner leurs points forts, leurs points faibles, les bénéfices que la société et tout un chacun peut en retirer, ou inversement ce qui semble potentiellement nuisible. Avec les suggestions de contenus, on perd l’accès à une diversité de points de vue, et en même temps on perd la capacité à les confronter. Chacun tend à s’enfermer dans une ligne de pensée qui, à force de ne plus être mise en débat, confine aux préjugés.

Pour résumer, on pourrait dire que ces news feed transforment la démocratie de la façon suivante : d’intérêt général débattu dans l’espace public, elle devient intérêt purement personnel dans un espace hautement intime (le smartphone). Ce faisant, on l’appauvrit considérablement.

Que risque-t-on à se fier uniquement qu'à des sources suggérées automatiquement par Google et Facebook ? 

C’est le risque de l’allégorie de la caverne de Platon. Rappelons-la rapidement : des hommes sont enchaînés dans une demeure souterraine en forme de caverne, ils ne voient jamais directement la lumière du jour, ils n’en connaissent qu’un faible rayonnement qui filtre jusqu’à eux. Des choses et d’eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres que le feu allumé derrière eux projette sur les murs de la caverne. Des sons, ils ne connaissent que l’écho. Si l’un d’entre eux est libéré et accompagné de force vers la sortie, dans un premier temps, il sera cruellement ébloui par la lumière, car il n’a pas l’habitude de la supporter. Il souffrira des changements, résistera et aura beaucoup de difficultés à percevoir ce qu’on veut lui montrer, au point qu’il sera fortement tenté de retourner à sa condition antérieure. Si, néanmoins, il persiste, il pourra voir le monde dans sa réalité. Prenant conscience de sa condition antérieure, il ne retournera vers les prisonniers de la grotte qu’en se faisant violence. Ses anciens compagnons de captivité le recevront mal et refuseront de le croire, parce qu’ils seront incapables d’imaginer ce qui lui est arrivé et ce qu’il a vu.

Autrement dit, le risque des news feed est de se construire une vision du monde axée sur nos préjugés. Ce faisant, on rejette tout ce qui perturbe le confort qu’ils nous procurent, de sorte que l’on peut passer à côté des enjeux importants de notre société et de notre vie politique. Ou pire, on les nie, plus ou moins volontairement, plus ou moins consciemment.

Les dangers d’une telle conduite sont légions. On peut, par exemple, risquer de s’enfermer dans des pensées à l’idéologie radicale. Inversement, on peut ne pas voir la montée en puissance de tels extrêmes et rester passif face à eux, ou à tout le moins refuser d’en prendre la mesure, parce que cela semble trop inconfortable ou tout simplement impossible.

Qu'est-ce qui peut-être fait pour éviter que les gens ne se réfugient trop dans ces mêmes supports idéologiques où ils sont enfermés ? 

On peut envisager des systèmes où l’on peut refuser que l’on fasse des suggestions de contenus. On réduirait ainsi la tentation de s’enfermer dans le confort de ses préjugés. Mais au-delà du changement de la technologie, je pense que le rôle le plus important est celui de l’éducation, car c’est elle qui fait prendre conscience du caractère fondamental de la confrontation des idées. Et surtout, elle donne l’habitude et le goût de le faire, tout en fournissant le savoir nécessaire à l’exercice d’un débat éclairé.  

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