Tous anti-Zemmour ? Ce que nombre de médias semblent oublier des leçons de l’élection de Trump ou du Brexit<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour pose lors d'une séance photo à Paris, le 22 avril 2021.
Eric Zemmour pose lors d'une séance photo à Paris, le 22 avril 2021.
©JOEL SAGET / AFP

Ennemi médiatique

Alors qu'une potentielle candidature d'Eric Zemmour est au coeur de l'actualité, les médias ont transformé l'ancien éditorialiste de CNews et du Figaro en ennemi médiatique numéro 1. Faire d'Eric Zemmour un tel ennemi, n'aiderait-il pas à renforcer sa position de candidat anti-système comme ce fut le cas pour Donald Trump ou Jair Bolsonaro ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Joseph-Macé Scaron

Joseph Macé-Scaron

Joseph Macé-Scaron est consultant et écrivain. Ancien directeur de la rédaction du Figaro magazine et de Marianne, il est, notamment, l'auteur de La surprise du chef (2021) et Eloge du libéralisme (2020), aux éditions de L'Observatoire. 

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Atlantico : Alors qu'une candidature d'Éric Zemmour à l'élection présidentielle commence à grandir dans les médias, ces derniers transforment la personnalité en ennemi médiatique numéro 1. Son passage dans l'émission On est en direct de samedi soir dernier témoigne de la véhémence des chroniqueurs à son propos. Faire d'Éric Zemmour un tel ennemi, n'aiderait-il pas à renforcer sa position de candidat anti-système ? 

Christophe Bouillaud : Oui, sans doute. Cela renforcerait sa crédibilité auprès de ceux qui cherchent un candidat honni par ceux qu’ils perçoivent comme faisant partie du « système ». Cependant, il ne faut pas exagérer le rôle des escarmouches médiatiques actuelles. Eric Zemmour a bâti son personnage médiatique et surtout son discours dans la durée. Il intervient en effet depuis des années dans des grands médias comme éditorialiste, et il a publié quelques livres à gros tirage. Personne n’a attendu les chroniqueurs de « On est en direct » pour se faire une opinion bonne ou mauvaise sur son compte.

Joseph Macé-Scaron : Je ne crois pas qu’Eric Zemmour soit l’ennemi public numéro 1 de l’ensemble des médias. Si tel était le cas, il cesserait tout simplement d’être invité. Dans le domaine des idées comme en politique, le silence absolu est l’arme suprême. Quoi que l’on dise, les médias sont trop divers pour que l’on essentialise ainsi. Ce qui est vrai, c’est que l’attitude des éditorialistes et des publicistes qui estiment en général que leurs analyses doivent être l’étalon mesure de la vérité de l’information, s’est considérablement durcie à son égard. Sur l’échelle de leur détestation, il a dépassé Marine Le Pen pour reprendre la formule usité « c’est l’homme que vous allez aimer haïr ».

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Il y a là quelque chose de fascinant : une grande partie d’entre eux donnent l’impression de découvrir des propos qu’Eric Zemmour tient depuis des années. Curieusement, ces propos ne les ont jamais empêché de débattre face à lui, ni de quémander un passage à l’émission prescriptrice qu’il animait avec Eric Naulleau lorsqu’il s’agissait de vendre leurs livres. Il y a là une belle hypocrisie et, même, disons-le, parfois une pointe de jalousie. Beaucoup l’ont connu, bon nombre d’entre eux sont ses pairs. « Comment ose-t-il ? ». En s’imposant dans le débat public, Zemmour ne provoque pas seulement ses adversaires, il indispose les envieux.

Une quasi-unanimité médiatique contre un individu ou une cause ne court-elle pas, toujours, le risque d'être contre-productive ?

Christophe Bouillaud : Tout dépend de la base qui est susceptible de se reconnaitre dans cet individu ou cette cause. Lorsqu’il s’agit d’une base déjà solidement ancrée dans ses convictions, cette levée de bouclier médiatique n’aura guère d’effet. Dans le cas présent, celui d’Eric Zemmour, elle en aurait peut-être eu il y a quelques années lorsque l’opinion ne s’était pas encore cristallisée à son endroit. Il aurait fallu que les médias aient le courage de pointer clairement les insuffisances historiques du personnage. Il est vrai par ailleurs que, depuis les années 1990 au moins, les médias font de moins en moins leur travail de sélection des voix autorisées. Quand le journal de référence, Le Monde, présente les derniers travaux d’un Rosanvallon réinventant la sociologie politique sur un coin de table comme susceptibles de structurer le débat politique français, il ne faut pas s’étonner qu’un Eric Zemmour ait pu raconter beaucoup de bêtises sans devoir en payer le prix en terme de mise à l’écart médiatique.

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Par le passé, la candidature de Donald Trump et dans une moindre mesure le Brexit ont connu de telles cabales médiatiques qui n'ont semblent-t-il pas nuit aux intéressés, bien au contraire ? Y-a-t-il un problème d'appréciations de la part des médias du phénomène populiste ou extrémiste ?

Christophe Bouillaud : Oui, dans une certaine mesure. Mais, en dehors de la phase initiale d’apparition d’un phénomène populiste, où les médias peuvent jouer leur rôle de censure et d’éducation de l’opinion publique, comme ce fut visiblement le cas en Wallonie, il faut sans doute se résigner à accepter qu’un phénomène populiste ou extrémiste se fonde sur un mouvement de fond de l’opinion publique. Eric Zemmour ne crée pas la xénophobie sur laquelle il s’appuie, pas plus que Trump n’a créé la renaissance du suprématisme blanc aux Etats-Unis ou les partisans du Brexit le malaise ancien d’une bonne part des Britanniques face à l’Union européenne.  Ces acteurs politiques exploitent et développent un courant d’opinion qui aurait sans doute pris moins d’ampleur sans eux, mais qui aurait existé de toute façon.

Joseph Macé-Scaron :  C’est, à chaque fois, le même phénomène qui semble se produire. Dans un premier temps, un grand nombre des médias minorise les discours nouveaux qui apparaissent et ceux qui les portent. Jusqu’au moment où une série d’événements donnent à ces derniers droit de s’asseoir à la grande table médiatique. L’audience qu’ils arrivent à avoir en raison du ton et de la forme de leurs propos fait qu’ils vont voir se dérouler devant eux, tout à coup, un tapis rouge. Ostracisés hier, ils deviennent vedettes tout en continuant à se présenter comme... des ostracisés. Parvenus à ce stade, plus ils sont dénoncés, plus ils sont populaires. C’est mécanique. L’opinion adore ce type de revanche qui s’apparente souvent au match de catch des années 60. Donald Trump et Boris Johnson en ont largement profité. Ce sont  des enfants du spectacle, ce qu’est aussi, au fond, Eric Zemmour. Maintenant, le zemmourisme est loin d’être un trumpisme comme certains veulent le présenter, il manque à ce dernier l’épaisseur presque au sens physique du terme, qui donnerait une stature. En son temps, le trublion qu’avait été Jean-Pierre Chevènement faisait davantage figure de présidentiable. Il a donné le « la » à la campagne de 2002 et il a fait perdre son camp.

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Quelle serait la stratégie d'opposition adéquate face à un candidat hors-système sans rentrer dans son jeu ?

Christophe Bouillaud : La première stratégie pour éviter qu’il ne gagne du terrain est déjà de ne pas jouer sur son terrain. Ce que je veux dire par là, c’est qu’un candidat hors-système s’empare d’un enjeu que ne traitent pas ou mal les partis en place. Il faut donc éviter de lui donner une place centrale dans le débat public, et les partis adverses ont intérêt à parler de leurs propres sujets de prédilection. Dans le cas présent, avec la candidature possible d’Eric Zemmour, on assiste à l’émergence d’un acteur politique qui critique en fait l’incapacité du Rassemblement national à défendre pleinement son enjeu fondateur, l’immigration. En dehors de ce dernier parti, qui ne peut pas décemment lui laisser son propre fonds de commerce, tous les autres partis auraient intérêt à centrer le débat politique sur ce qui leur parait à eux important. Mais en sont-ils capables ? A droite en particulier, ils se sentent visiblement obligés de « faire du Zemmour »,  comme le fait à la surprise générale même un Michel Barnier. Ils feraient mieux de suivre leur propre ligne sur les autres sujets qui leur tiennent à cœur, et, s’ils sont d’accord avec Zemmour et l’importance centrale qu’il donne à l’enjeu identitaire et migratoire, plutôt que de le singer, ils n’ont qu’à le soutenir, cela simplifiera le paysage politique. La droite aura enfin son candidat « naturel ».

Joseph Macé-Scaron : Pourquoi s’opposer en priorité à un candidat hors-système ? Je fais partie des rares personnes qui considèrent qu’il est sain qu’il y ait des candidats de ce type pour la vitalité démocratique. Ceux qui s’émeuvent de la présence de candidatures qui créent la surprise après avoir tout fait pour leur permettre de surgir m’amusent. Ils me font penser à la légende du Golem, cette créature que l’on créait à partir de la boue et à qui on donnait vie. Celle-ci finissait par grandir, grandir et menacer d’écraser son créateur qui faisait tout ensuite pour la détruire. Il n’y a qu’un moyen si l’on veut un débat politique serein et ne pas pratiquer la censure envers tout ce qui provoque : cesser d’être dans le déni de la réalité. C’est quand celle-ci est ignorée ou masquée qu’elle se venge !

Internet a permis à n'importe qui de participer au débat public et de bénéficier d'un environnement médiatique sans point de vue journalistique. Assistons-nous actuellement avec le traitement de la candidature Zemmour à une scission entre le monde des réseaux et le journalisme traditionnel ?

Christophe Bouillaud : Pas vraiment. Au contraire, Eric Zemmour s’est exprimé avant tout dans des médias traditionnels. Par contre, il est possible que la mise en avant d’Eric Zemmour par ces derniers corresponde à la perception par leurs responsables d’un filon à exploiter. Tout ce qui se déroule dans le magma des réseaux sociaux finit par se retrouver exploité ainsi. Il ne faut pas exagérer la scission entre ces deux mondes. Par contre, il faut bien constater que le journalisme traditionnel joue moins son rôle de gate-keeper qu’avant, en distinguant le propos sérieux du reste. De fait, la logique commerciale dite du buzz semble souvent l’emporter. Eric Zemmour est sans doute quelqu’un qui a bien compris ces nouvelles logiques, et en use à son profit.

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