Thierry Breton apporte le soutien de Bruxelles à la France dans son bras de fer avec le Royaume-Uni<!-- --> | Atlantico.fr
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Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton.
Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton.
©Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

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La guerre du poisson britannique n’est qu’un prétexte qui masque les difficultés de Boris Johnson à gérer le Brexit. La France a sans doute surréagit dans cette affaire, mais l’Europe, qui ne voulait pas s’en mêler, est finalement venue, par la voie de Thierry Breton, apporter son soutien à Paris dans ce bras de fer.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le bras de fer entre Paris et Londres qui se disputent les droits de pêche dans la Manche en dit long sur les difficultés de la Grande Bretagne à trouver, dans la situation, un équilibre positif. Pendant des semaines, la majorité des Européens n’ont pas voulu se mêler de cette affaire. Il faut dire que, hormis la France, il n’y a guère de flottes de pêche concernée au sein de l’Union européenne. Les Allemands sont absents du secteur, pas de production et très peu d’entreprises de transformation. Les Portugais et les Espagnols ont plutôt investi les côtes africaines de l‘Atlantique. Il n’y a guère que les Belges ou les Hollandais, mais en petit nombre.

Ce qui veut dire que, face à des Britanniques qui tardent à accorder les licences aux pêcheurs français, pourtant prévues dans l’accord de Brexit, les autorités françaises se sont retrouvées bien sûr, obligées de durcir le ton en menaçant de sortir des mesures de rétorsion comme la fermeture des ports de Boulogne, principalement, vers le marché européen. Et même, menace extrême et irréaliste, de couper les alimentations électriques dans les îles anglo-saxonnes. Avec un deadline, si les Britanniques ne reviennent pas à la raison, le mardi 2 novembre. La semaine prochaine.

Le week-end va donc être chaud, parce qu’en marge du G20 qui se tient à Rome, il y aura forcément une confrontation entre Emmanuel Macron et Boris Johnson. La rencontre risque fort de mal se passer parce qu’entre temps, le président français a reçu des assurances de Bruxelles par la voix de Thierry Breton, commissaire européen chargé de la concurrence et des entreprises qui a appelé les Anglais à « faire preuve de bonne foi » et à « respecter les accords ». Sinon, le processus risque de s’enflammer et ce sont les Anglais qui en feront les frais. Pour Thierry Breton, pas question de juger le bien fondé du Brexit, les Anglais ont voté et tout le monde a participé à une négociation de sortie, il faut donc que les accords soient respectés.

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En fait, tout le monde a compris, dans les capitales européennes, que si Londres veut faire chanter les Européens, c’est parce que les conditions de l’après Brexit sont difficiles à appliquer par les Anglais, et surtout difficiles à accepter par les Anglais dans un pays touché, comme d’autres, par la crise sanitaire.

Le dossier de la pêche a été, depuis le départ, un des dossiers épineux de la négociation du Brexit et le feuilleton est loin d’être terminé. Pour bien comprendre les raisons du conflit, il faut savoir que les pêcheurs nordiques ne veulent pas, avec raison, changer leurs habitudes et veulent continuer d’avoir accès aux eaux britanniques, très riches en poissons, mais tous veulent aussi pouvoir accéder à un marché capable de leur acheter la marchandise. Et là, les pays européens sont ceux qui offrent les plus grands débouchés.

Les zones de pêche disputées se situent la zone entre 6 et 12 milles des côtes britanniques et autour des îles anglo-normandes. Les pêcheurs français, pour y avoir accès, ont la possibilité de demander une licence de pêche au gouvernement britannique, à la condition qu’ils réussissent à prouver qu’ils y pêchaient déjà auparavant. C’est ce qui est prévu dans l’accord de Brexit. Londres en accorde donc, mais au cas par cas et en jouant sur la liste des justificatifs demandés. Pour l’instant, deux cents licences environ ont été accordées, quand la France en espérait trois fois plus et beaucoup plus rapidement. Si les pêcheurs français sont empêchés de pêcher en eaux britanniques, les Français peuvent donc leur couper l’accès au marché français.

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Et théorie à partir de mardi, les bateaux britanniques pourraient ne plus avoir accès aux ports français. Les contrôles sanitaires et douaniers sur toutes les importations britanniques seront renforcés. Ça compte pour les arrivages par la mer ou les airs, mais aussi par camion. Une mesure qui aura pour conséquence d’augmenter les attentes à la frontière et les délais d’acheminement vers la France, déjà largement rallongés depuis le 1er janvier. Les contrôles seront systématiques sur les navires de pêche car le débarquement de la marchandise pêchée par les Britanniques sera interdit en France ainsi que la vente des produits péchés en mer.

Surtout, Paris compte utiliser l’aspect énergétique pour faire pression et menace de couper le courant aux îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, approvisionnées à 95% par la France.

Alors, il n’était évidemment pas sérieux de dire que la France va couper l’électricité au Royaume-Uni, mais il sera possible de jouer avec les tarifs, sujet hautement sensible du moment.

Le Royaume-Uni, en pragmatique qu’il est, sait qu’il se retrouve coincé. Les ¾ des produits de la mer pêchés par les Britanniques sont destinés à l’export vers l’Union européenne. Boris Johnson devrait montrer les gros bras, mais négocier en sous-main pour préserver ses débouchés commerciaux. Ce que les services de Thierry Breton lui ont conseillé de faire en toute discrétion.

De la pêche britannique, le marché français en est la première destination, loin devant les marchés hollandais et espagnols. Les Français ont relativement moins à perdre puisqu’ils ne s’approvisionnent, dans la Manche, qu’à 30% dans les eaux britanniques.

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Cette affaire tombe au plus mauvais moment pour Boris Johnson, le Royaume-Uni a déjà perdu avec le Brexit, les institutions européennes et le cœur boursier de Londres qui a quitté l‘Angleterre pour retourner sur les terres de ses origines à Amsterdam.

L’ensemble de l’activité économique britannique a rebondi après le Covid, mais beaucoup moins que dans les autres pays européens. Depuis 2016, le PIB britannique n’a augmenté que de 1% alors que le PIB de la zone euro a progressé de 8 %. La livre sterling a dans le même temps cédé 10%.

Alors, le bilan de l’après Brexit ne peut pas être définitivement établi, mais la Grande Bretagne doit faire face à des difficultés nombreuses. La pandémie a, comme dans beaucoup de pays, été gérée de façon chaotique certes, mais les résultats ne sont pas les meilleurs de l’Europe, loin de là. D’autant que le risque d’une nouvelle vague se profile. Le PIB a chuté de 10 % en 2020, l’année du confinement, Boris Johnson avait promis que la reprise serait la plus forte des pays du G7, ce qui est loin d’être le cas. Les ruptures d’approvisionnement dans les chaines de valeur sont plus nombreuses qu’ailleurs. La croissance pour 2021 a été revue une fois de plus à la baisse, alors que les grands pays européens bénéficient d’une reprise violente. C’est le cas de l’Allemagne, de la France et des pays du Benelux.

Le plus grave pour Londres, c’est que les négociations bilatérales, alternatives à ce qu’ils vivaient auparavant dans l’Union européenne, sont très longues et très compliquée pour aboutir à des accords. Les avocats se régalent, les banquiers se régalent aussi mais le peuple britannique s’impatiente.

Tout se passe comme si Boris Johnson avait voulu mettre ses difficultés au crédit de la rigueur juridique des Européens.

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