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The Avengers : 
pourquoi il faut prendre 
les super-héros très au sérieux
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Odyssée moderne

Sortie du film The Avengers ce mercredi. Les plus grands super-héros du studio américain Marvel réunis dans un seul film. Et avec eux une fresque qui raconte les valeurs et mythologies américaines.

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet est chercheur au Centre d’Etudes sur l’Actuel et le Quotidien (Université Paris V René Descartes). Il est docteur en Sociologie. Sa thèse s’intitule : "L’esprit du jeu dans les sociétés post-modernes. Anomies et socialités : Bovarysme, mémoire et aventure." Il a également collaboré à l’ouvrage dirigé par Michel Maffesoli et Brice Perrier : L’homme postmoderne.

Ses thématiques de recherche sont : le jeu, le risque, la morale, les nouvelles technologies, la science fiction et la bande dessinée.

Il est membre de la rédaction des Cahiers Européens de l’Imaginaire et l’un des trois fondateurs de La Tête qui manque.

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Avec The Avengers, les studios Marvel bouclent par un cross-over très attendus par les fans le premier cycle de leurs films issus de leur univers super-héroïque. Les comics books, et leurs dérivés, sont aujourd’hui l'une des manifestations les plus vivaces de la culture populaire occidentale. Intéressons nous donc à ce qu’ils nous disent de nous mêmes : "Vengeurs, Rassemblement" !!!

Petit retour en arrière…

Les supers héros font partie de la culture populaire occidentale depuis plus de 70 ans. Ils sont nés aux Etats-Unis et ont été porteurs d’un idéal social et d’une vision particulière du monde

Les supers-héros, tels que nous les connaissons aujourd’hui, naissent au début des années 1930 aux Etats-Unis. Ainsi, le premier d’entres eux, The Shadow, est né en 1931  et sera une des inspirations de Bob Kane lors de la création de Batman. Il sera ensuite suivi par le célèbre Dick Tracy. Viendront alors Superman en 1938, Batman en 1939, Captain America et Robin en 1940. C’est la première vague de création de supers-héros. Il y en aura une seconde dans les années 1960. Les Fantastic Four apparaissent pour la première fois en 1961, Hulk, Thor et Spiderman en 1962, Daredevil, Ironman et les X-Men en 1963, pour les plus connus. Puis à la fin des années 1990, une nouvelle génération de scénaristes et de dessinateurs fera son apparition et renouvellera le genre, avec notamment Gaiman et Morrison. On parlera même de British Invasion. Ils puiseront leur inspiration au-delà de l’univers des comics books, et ouvriront ce monde « clos » sur le passé, le présent et l’avenir. On verra également les supers-héros intégrer les médias de masse : le cinéma et la télévision. Ainsi, il y a les films de Superman dont le premier opus sortira en 1978. Puis viendront le Batman de Tim Burton en 1989. Et la vague de films que nous connaissons depuis quelques années avec les différents volets de Batman, de Hulk, la trilogie X-Men, etc… Mais il y aussi les différentes adaptations télévisées telles que Loïs et Clark, Batman et Robin, Wonder Woman, et tous les dessins animés adaptés des X-Men ou de La justice league of America.  

Comicsologie ?

Si une chose est sure, c’est bien que les supers-héros et les comics books relèvent du mythe. Comme l’écrit Mircea Eliade : "Les personnages des comics strips présentent la version moderne des héros mythologiques ou folklorique[1]." Une preuve supplémentaire de leur parenté mythique est la constante réappropriation, par les différentes générations d’auteurs, de la genèse et de la mort des héros. En plus de se situer dans un temps qui est celui de la fiction, on assiste ici à une répétition « générationnelle » des origines, une sorte de ritualisation de la narration. Par la répétition de la genèse et de la mort des héros, "On redevient contemporain des exploits que les Dieux ont effectués in illo tempore[2]." Les exemples sont très nombreux : le premier d’entre-eux – qui a traumatisé une part de l’Amérique – est celui qui relate la mort de Superman, viendront ensuite les Civil War, Batman RIP, etc.

En définitive, il s’agit, avec les figures de supers-héros, de proposer des éthiques, c’est-à-dire de proposer des actions exemplaires et, par là de donner sens au monde. Il ne s’agit pas de faire des comics books des vecteurs de la morale, même s’ils le sont certainement. Ainsi, tout comme : "Le mythe n’est pas, en lui-même une garantie de bonté ni de morale. [le super-héros ne l’est pas non plus, ou en tous les cas pas exclusivement]. Sa fonction est de révéler des modèles et de fournir ainsi une signification au monde et à l’existence humaine[3]."

Pour exemple, on peut rapprocher ici la symbolique de Batman de celle que propose Gilbert Durand du mythe d’Œdipe : "Mais à côté de ce drame d’Œdipe enfant, et dans le même texte de Sophocle, l’on peut lire un autre drame : celui d’Œdipe Roi et cet Œdipe là incarne le drame de la vérité, car Œdipe recherche le meurtrier de son père Laïos et il lutte contre tout ce qui vient constamment entraver cette découverte de la vérité[4]."

De même, Batman n’est pas simplement une fable sur la justice et la vengeance, il représente également cette quête de vérité – n’est-il pas le plus grand détective du monde ? – que l’on peut rapprocher de la quête socratique de la connaissance de soi. Au travers de sa lutte avec les criminels, Batman est constamment en recherche de son identité. Peut-être peut-on alors rapprocher cela du processus d’individuation symbolique jungien. La figure de Batman caractériserait alors la recherche d’identité de nos sociétés contemporaines, c’est-à-dire cette recherche de nouvelles valeurs propres au fonctionnement de ce que l’on appelle communément la postmodernité ?

Un monde de villes

Venons en maintenant à l’étude plus précise d’un aspect tout particulier des comics books qui nous semble tout à fait caractéristique de notre époque et de nos sociétés. C’est-à-dire l’image de la ville.

Déjà dans l’Iliade, le panthéon héroïque grec est lié à la ville de Troie et à la guerre qui s’y déroule. Dans les comics books contemporains, on peut remarquer également cet étroit lien qui existe entre l’image de la ville comme lieu d’affrontements et d’antagonismes et l’apparition des supers-héros. Pour le dire très simplement : il n’y a pas de supers-héros sans ville.

Cela s’explique, selon nous, par cette image très contemporaine de la mégalopole, c’est-à-dire de la ville-monde. Dans une publication relativement récente du scénariste Waren Ellis, Transmetropolitain, le titre est déjà évocateur de cela, la ville est représentée comme le lieu de tous les possibles et même plus, comme image du monde.

Il nous semble que les comics books contemporains proposent une sorte de cosmologie contemporaine. C’est-à-dire une vision organisée du monde contemporain, de ses origines, mais aussi de ses potentialités dans laquelle se trouvent exprimées à la fois toutes les modifications apportées à la nature et à sa nature par l’homme lui-même.

En d’autres termes, c’est la ville, en tant qu’imago mundi, en tant que cosmologie, qui donne au supers-héros leur statut de symbole. En effet, le symbole ne fait sens qu’en relation avec une vision du monde, qui est ici proposé par l’image fantasmé d’une mégalopole se confondant avec le monde et l’infini des possibles.

Mais l’incarnation de la ville comme imago mundi ne s’arrête pas là. En effet, on remarque dans les comics books une véritable entreprise de déconstruction de la narration linéaire. C’est-à-dire que les auteurs procèdent par découpage, collage, flash back ou flash reward. La structure même de la narration reflète, en quelque sorte, la structure de la mégalopole contemporaine. C’est-à-dire une sorte d’espace anomique, d’un tissage en réseau où c’est le lien qui crée l’espace et non pas l’inverse. Mais c’est aussi un temps différent de celui de la modernité. Le temps n’est plus irréversible, il devient malléable, ce n’est alors plus la succession, ou la causalité qui créent le sens, mais bien l’épisode et ses ramifications, passées, présentes et à venir. "C’est ici qu’on saisit la différence la plus importante entre l’homme des sociétés archaïques et l’homme moderne : l’irréversibilité des évènements qui, pour ce dernier, est la note caractéristique de l’histoire, ne constitue pas une évidence pour ce dernier[5]." Cela est flagrant dans l’univers DC Comics où les réalités sont au nombre de 52 et où des crises présentes, passées ou à venir injectent de nouveaux évènements décisifs. Tout récemment, Bruce Wayne se retrouve projeté dans le passé, puis dans le futur tenant entre ses mains le destin futur des 52 terres qui composent le multivers DC.

Les comics : une relecture du monde

Distopie, utopie, etc, sont autant de genres que l’on retrouve dans les Comics contemporains. Mais pour donner quelques éléments concrets de compréhension de ce qui a été dit plus haut voici une petite liste de comics étonnants à lire :

  • SUPERMAN RED SON : Il s’agit ici de revisiter l’histoire et la genèse de Superman en déplaçant son lieu d’atterrissage. Plus de crash au Kansas, mais bien en Sibérie. Comment le monde serait-il si Superman n’était pas devenu le champion américain, mais bien celui de l’URSS ?
  • CIVIL WAR : Le gouvernement américain veut interdire les identités secrètes. Les supers-héros sont invités à se faire recensés et à s’engager auprès du gouvernement. Deux clans vont alors s’affronter : ceux qui acceptent de se soumettre à la volonté gouvernementale et ceux qui s’y opposent. La guerre civile entre supers-héros éclatent et bouleversera à jamais l’univers Marvel.
  • BATMAN INC : Bruce Wayne a révélé au monde que Wayne Enterprise participait au financement des activités de Batman. Ce dernier part alors autour du monde pour préparer une offensive sans précédant et recruter de nouveaux membres de Batman INC.
  • THE BOYS : Les supers-héros ne sont pas si aimables que cela dans le monde des p’tits gars. Une escouade d’humains dopés lutte contre les abus de certains des supers qui se croient tout permis.
  • KICK ASS : Comment un ado, sans pouvoirs et fan de comics, crée le buzz en se fabricant un costume et en se faisant boter les fesses ?
  • THE PUNISHER : Certainement un des plus violent, mais aussi l’un des plus intéressant.
  • THE PREACHER : Une relecture étonnante de l’Amérique profonde au travers de personnages aussi fous qu’un prêcheur possédé par l’esprit d’un être céleste venu demandé des comptes à Dieu pour abandon de poste, une tueuse à gage, un vampire, ou une lignée mal conservée de descendant du Christ.
  • Y LE DERNIER HOMME : Un virus vient d’exterminer l’ensemble des individus mâles sur l’ensemble de la planète. Enfin, presque. Un jeune homme et son singe on survécu dans ce nouveau monde entièrement féminin…


[1] Mircea Eliade, Aspects du Mythe, éditions Gallimard, coll. Folio essais, Paris, 2007 (1963), p. 226.

[2] Idem, p. 31.

[3] Idem, p.180.

[4] Gilbert Durand, L’imagination symbolique, éditions Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, Paris, 2008 (1964), p. 110.

[5] Mircea Eliade, Aspects du Mythe, éditions Gallimard, coll. Folio essais, Paris, 2007 (1963), p. 26.

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