Tentations radicales en Occident, lenteur ailleurs : la lutte contre le dérèglement climatique prend une tournure explosive pour les gouvernements européens <!-- --> | Atlantico.fr
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Des militants des ONG Attac, Extinction Rebellion et Youth for Climate participent à une action devant l'antenne du FMI à Paris, le 27 juin 2022.
Des militants des ONG Attac, Extinction Rebellion et Youth for Climate participent à une action devant l'antenne du FMI à Paris, le 27 juin 2022.
©Thomas Coex / AFP

Environnement

Alors que le G20 n’est pas parvenu à s’entendre sur la réduction des énergies fossiles, les mouvements écologistes radicaux assument de plus en plus des stratégies de sabotage.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Atlantico : Comment les gouvernements peuvent-ils agir face aux deux courants présents dans l’opinion dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatiqe (entre ceux qui considèrent que les décideurs ne font rien, qui pourraient passer à l’acte et ceux qui remettent en cause le fait de s’imposer des restrictions pour l’environnement alors que des pays étrangers comme la Chine ou l’Inde ne respectent pas certaines normes pendant que nous appliquons la fin du ticket de caisse en France…) ? Quelles conséquences cela peut avoir sur les opinions publiques occidentales ? Comment réconcilier les deux ?

Eddy Fougier : Les événements climatiques extrêmes qui sont monnaie courante désormais un peu partout dans le monde, en particulier durant les périodes estivales, montrent bien que l’urgence pour les gouvernements n’est pas tant de tenter d’obtenir l’assentiment à la fois des lecteurs climato-sceptiques ou « climato-réalistes » de Valeurs actuelles et des lecteurs éco-anxieux politisés de Reporterre, que d’agir au plus vite pour tenter de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Cela soulève tout de même deux questions-clef : (1) Comment y parvenir ? Doit-on privilégier les solutions technologiques et une croissance « verte » ? Doit-on donner, au contraire, la priorité à la sobriété, voire à une décroissance ? Ou bien un mix des deux en fonction des secteurs et des périodes ? (2) Comment faire en sorte que les catégories les plus impactées par cette transition et/ou par les effets du dérèglement climatique ne contribuent pas à bloquer le processus de transition ? Cela vaut pour des groupes sociaux, comme on a pu le constater en France ces dernières années avec les Bonnets rouges ou bien les Gilets jaunes (taxes carbone), comme pour des professions et des filières, comme on peut le voir actuellement avec les agriculteurs aux Pays-Bas.

Drieu Godefridi : La réconciliation des deux courants est l’objet de la démocratie. Il revient à la démocratie de se donner une majorité, qui gouverne par le droit et dans le respect d’icelui. Mettre sur pied d’égalité un courant proto-terroriste écologiste qui incarne une fraction infinitésimale de la population et l’écrasante majorité de nos peuples qui haïssent cette violence politique, est démocratiquement insensé. Au terme du débat, force doit rester à la loi — ce qui réclame, bien sûr, une certaine dose de courage politique. Dès lors que la tête de l’État ne jure plus que par « l’ordre, l’ordre, l’ordre », tous les espoirs redeviennent permis (rires).

A quel point cela devient difficile pour les gouvernements occidentaux de gérer ce grand écart, ce cocktail explosif face à des opinions de moins en moins réconciliables… Comment faire face à des demandes au sein de la société profondément différentes en matière d’environnement et de réformes avec ces deux opinions distinctes au sein de la population ?

Eddy Fougier : Pour moi, l’enjeu fondamental est de savoir comment emmener tout le monde, ou du moins le plus de monde possible, sur une trajectoire qui soit conforme aux Accords de Paris (si ses objectifs sont encore tenables). Certains pensent que l’on n'a pas le temps d’emmener tout le monde et qu’il faut agir le plus vite possible. Mais en souhaitant forcer la main de certains groupes sociaux et de certains groupes professionnels, ils vont provoquer un vaste contre-mouvement qui est susceptible de favoriser la montée des mouvements populistes et donc des mouvements anti-écolos qui feront l’inverse de ce qu’ils veulent et repousseront encore davantage les échéances. On l’a bien vu lorsque Trump ou Bolsonaro étaient au pouvoir. Une transition écologique mal emmenée et l’on risque d’avoir Le Pen au pouvoir… 

En outre, s’il s’agit d’une question éminemment politique, il faut tout de même se garder de trop politiser l’enjeu climatique et environnemental. On voit bien à quel point la politisation de cet enjeu aux Etats-Unis est catastrophique. Or, les enquêtes d’opinion montrent que la sensibilité aux questions écologiques ne concerne pas uniquement les fans de Sandrine Rousseau, loin de là. Une enquête Kantar publiée en juin indiquait ainsi que, pour les électeurs de droite, l’environnement était une source de préoccupation au même titre que l’insécurité. Ce même mois, une enquête Ifop montrait que la conscience écologiste était aussi forte chez les catholiques que dans le reste de la population.

Drieu Godefridi : Des mouvements, groupuscules et factions qui portent des revendications aberrantes, ultra-minoritaires et qui sont prêts à tuer pour obtenir satisfaction, il y en a à toutes les époques, depuis l’Athènes de Solon jusqu’à l’Occident des années 1970s. Durant les « années de plomb » du XXème siècle comme de nos jours, une fraction terroriste — alors communiste, aujourd’hui écologiste — exigeait la rencontre immédiate de ses exigences, à peine de passer à l’acte (meurtres, enlèvements, blocages, attentats, menaces, violences diverses). Ce n’est que lorsque les gouvernements européens se sont rappelé leur mission principale — la sauvegarde des personnes et des biens — que ces mouvements terroristes ont été effectivement détruits. Il en ira de même face au terrorisme écologiste.

Une partie de l’opinion, qui considère que les décideurs ne font rien en matière d’environnement, pourrait être séduite par une tentation radicale et justifie la violence à des fins politiques… Ces combats menés par les mouvements écologistes radicaux influencés par l’idéologie et la théorie d’Andreas Malm ne cachent-ils pas en réalité une attaque du capitalisme et un combat anticapitaliste, plus qu’un combat pour l’environnement ? Comment cette opinion radicale est travaillée par des théoriciens et est-ce que cela ne relève pas plus de l'anticapitalisme ?

Eddy Fougier : Il y a une partie de l’opinion qui, en effet, vit mal ce qu’elle perçoit comme une inaction gouvernementale face à l’urgence climatique et qui peut être tentée par apporter un soutien à des actions plus radicales. Pour le comprendre, il faut revenir sur ce qui s’est passé ces dernières années. (1) Il y a eu tout d’abord la phase de désillusion vis-à-vis de la politique dite des « petits pas » avec la démission de Nicolas Hulot de ses fonctions ministérielles en 2018 et, parallèlement, l’émergence de la figure de Greta Thunberg, des mouvements de jeunes luttant en faveur du climat et d’Extinction Rebellion mettant en exergue les actions de désobéissance civile (et donc des actions illégales, mais non violentes). (2) Il y a eu ensuite la crise de la Covid-19 avec deux éléments importants : le confinement durant lequel une partie des activités économiques ont été arrêtées a contribué à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre ; il y a eu ensuite un immense espoir placé dans le « monde d’après », selon lequel les efforts collectifs effectués pour lutter contre la pandémie pourraient être reproduits pour lutter contre le dérèglement climatique. (3) On en est aujourd’hui à une nouvelle phase avec deux grandes désillusions, celle vis-à-vis de ce « monde d’après », qui ne correspond pas aux attentes, et celle vis-à-vis de la désobéissance civile. D’où la tentation du passage à une phase d’actions plus radicales, à la fois illégales et violentes (dégradations et destructions matérielles, affrontements avec les forces de l’ordre). D’autant que des théoriciens, tels que Andreas Malm flirtent allègrement avec l’idée d’un nécessaire passage à des actions plus violentes en développant notamment la théorie du « flanc radical ». Cela fait d’ailleurs largement écho à l’OPA de l’ultragauche sur l’écologie radicale que l’on a pu observer ces dernières années en France, dont le mouvement des Soulèvements de la terre est le grand symbole. 

Une enquête récemment publiée par Odoxa montre cependant que le soutien à des modes opératoires écologistes radicaux est relativement faible dans l’opinion, sans pour autant être totalement négligeable. Environ 1/4 des personnes interrogées soutiennent ainsi les actions de désobéissance civile (blocage de routes ou d’aéroports, « mains collées » de militants sur des sols ou des murs pour empêcher les forces de l’ordre de les évacuer). Leur proportion est encore plus faible pour les actions plus radicales : 13 % soutiennent les sabotages d’infrastructures et d’exploitations agricoles et 10 % les œuvres d’art aspergées de peinture.

Drieu Godefridi : La nature intime de l’écologisme est nihiliste. Tandis que le marxisme, certes faux et criminel, reposait sur un corpus théorique substantiel, l’écologisme comme idéologie politique s’apparente davantage à une sorte de cri, qui l’apparente au « wokisme ». Un cri de haine à l’égard de l’étant, « pour un autre monde », mais sans aucune alternative construite ; sans jamais dire ce que sera la réalité de cet autre monde. On le comprend. Si nous suivons les écologistes, il faut ramener la population mondiale de huit milliards d’êtres humains à quelques millions : qu’adviendra-t-il des « humains en excédent » ? Dans une société de décroissance, qui laissera-t-on mourir en premier ? À partir de quel âge arrêtera-t-on les soins, 80 ans, 70, 50 ? Les traitements et rémunérations seront-ils réduits de 15% ou de 50% ? La propriété privée sera-t-elle abolie d’un coup, à la Lénine, ou de façon progressive, laissant les propriétaires subsister comme des sortes d’occupants précaires de leurs biens ? À ces questions importantes, les théoriciens écologistes ne répondent jamais.

Le fait qu’il n’y ait pas de coordination réelle à l’échelle internationale, ne rend-il pas encore plus absurde le fait de mener des actions radicales ?

Eddy Fougier : Les mouvements écologistes entendent contribuer à éveiller les consciences pour faire en sorte que les comportements évoluent. Le problème est qu’ils n’évaluent que trop rarement l’efficacité de leurs modes d’actions au regard de ces objectifs. Or, les quelques enquêtes récemment publiées sur le sujet tendent à montrer que ces façons d’agir ne semblent pas être très efficaces. On l’a vu avec les résultats de l’étude Odoxa. C’est le cas également d’une étude menée récemment au Royaume-Uni. Elle montre que les actions de désobéissance civile sont perçues de façon globalement négative par la population interrogée. Si les actions plutôt symboliques et festives peuvent néanmoins avoir un impact positif sur l'image de la lutte en faveur du climat, notamment chez les CSP+ et les moins de 40 ans, en revanche, les actions perçues comme agressives (soupe à la tomate sur le tableau de Van Gogh) ou sources de perturbations concrètes (blocages routiers) ont un impact négatif sur cette image. En clair, si la sensibilité écologique est largement partagée par l’opinion publique, celle-ci n’apprécie pas trop les actions de désobéissance civile qui sont susceptibles de perturber sa vie quotidienne et encore moins les actions jugées plus violentes (ex. sabotages).

La grande question que les mouvements écologistes doivent donc se poser est de savoir comment inciter les populations à changer sans injonctions, culpabilisation, dramatisation, ultrapolitisation ou infractions.

Drieu Godefridi : L’Europe représente 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si l’Europe cessait d’exister, la croissance des émissions de CO2 dans le reste du monde n’en serait affectée, à la marge, que pendant quelques années, reprenant ensuite la progression ininterrompue (sauf Covid) que nous lui connaissons depuis 1992. Le mouvement écologiste international est un échec, total, cuisant, pathétique — et bien sûr irrémédiable, quand on tient compte des réalités géopolitiques. La Chine revendique son projet hégémonique. Croit-on réellement que la Chine va réduire non pas ses émissions de CO2, mais leur progression stratosphérique, pour complaire à l’UE ? Ce n’est pas sérieux. La course à l’abime dans laquelle se sont engagées les institutions de l’UE est dénuée de sens et complice objective des totalitaires au pouvoir à Pékin.

Le gouvernement français ne se piège-t-il pas en s’enfermant dans des postures et des discours contradictoires sur ces sujets (notamment lors des déclarations d’Elisabeth Borne vis-à-vis de Total et de ses actionnaires, la même semaine où la France a reculé sur les énergies renouvelables) ?

Drieu Godefridi : Borne ne manque pas de caractère, son parcours en témoigne, mais elle n’a pas de conviction. De plus, comme Jean-François Revel l’avait démontré (L'absolutisme inefficace, 1992), le Premier ministre de la Vème République n’est jamais que le factotum du président qui, en l’occurrence, n’est pas davantage réputé pour la force impitoyable et la persistance d’airain de ses convictions. Ceci dit, le récent revirement français sur le nucléaire est porteur d’espoir. Et je reste convaincu qu’en son for intérieur, Emmanuel Macron comprend la nécessité de traiter le terrorisme écologiste avec toute la force de la loi, avant que des attentats de grande ampleur ne soient perpétrés et parce que les Français sont exaspérés face à des enfants ultra-privilégiés qui entravent leur existence, les menacent et les invectivent, et prétendent leur dire comment boire, manger, se vêtir, se déplacer, respirer, faire des enfants, se soigner. Vivre, ou ne pas vivre.

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