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Tempête sur le hijab de running : Décathlon 0 - Frères Musulmans 1
©KHALED DESOUKI / AFP

Polémique

Décathlon a annoncé la commercialisation d'un hijab dédié au running au Maroc. La marque sportive française avait également annoncé vouloir commercialiser le hijab de running en France avant de faire marche arrière.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Atlantico: Concernant la polémique autour de Décathlon et du "Hijab de running", et en considérant que la stratégie des Frères musulmans est de générer des points de tensions au sein des sociétés, ne peut-on pas voir cette question comme un cas d'école ?

Naëm Bestandji : Le Hijab vendu par Décathlon au Maroc ne fait pas partie de la stratégie des Frères musulmans, c'est une opportunité commerciale qui vient de la marque française. Mais c'est une conséquence, une sorte de symptôme. C'est le symptôme de toute une stratégie politique, je ne dis même pas politico-religieuse mais uniquement politique, qui véhicule une conception du monde et des valeurs qui nous semblent rétrogrades. Le cheval de Troie de cette volonté d’expansion politique est le voile. Et cela l’a toujours été depuis le XXe siècle. La première raison est que les islamistes sont obsédés par le sexe, du matin au soir et jusqu’au jour de leur mort, qu’ils soient hommes ou femmes. Ils se partagent en deux groupes. Ceux qui, dans une société ou un milieu remplient d’interdits et de tabous, veulent satisfaire leurs pulsions, et ceux qui sont obsédés par la crainte de la tentation. Tous peuvent passer d'un groupe à l'autre selon les moments. C’est là, avec toutes les procédures de non mixité, de limites à l'accès à certaines professions, au sport, qu'intervient le voile. Ce tissu lourd de sens est d'abord, selon eux, leur moyen de protéger la libido masculine des tentations charnelles produites par le corps féminin. Cet héritage est culturel, pas religieux. Le voile a été “religiosifié” pour tenter de le rendre intouchable au nom du respect de Dieu pour les uns et du respect de la liberté religieuse pour les autres. Cela a aussi permis d'en faire un instrument politique qui permet de matérialiser la visibilité islamique notamment à l’époque coloniale. L'islam n'étant pas une "race", il fallait trouver le moyen de le rendre visible. Le voile devint une sorte de porte étendard identitaire pour lutter contre la colonisation. Puis, le Hijab est apparu en France à la fin des années 1980, bien avant d’apparaître en Tunisie par exemple où il n'apparut vraiment qu'à la fin des années 1990. Une irruption progressive dans l'espace publique par l'influence des islamistes et la contestation symbolique du régime de Ben Ali.

Cette apparition se fit d'abord en France car nombre d'islamistes étaient venus s'y réfugier, pourchassés par les régimes autoritaires du Maghreb, surtout lors de la guerre civile algérienne. Ils ont donc pu continuer leur prosélytisme, cette fois en direction des musulmans étrangers vivant en Europe et des européens de confession musulmane, notamment en France. Tout ce prosélytisme s'appuyait aussi sur des associations culturelles (en réalité cultuelles), des prêches, des livres, des conférences, des chaînes satellitaires, etc. Au milieu des années 1990, nous vîmes émerger des prédicateurs parfaitement francophones tels que Tariq Ramadan. Aujourd'hui, nous sommes dans l’héritage de cet embrigadement avec une nouvelle génération d'islamistes, héritiers des enseignements de leurs ainés. Depuis les années 2000, s’observe aussi l'essor de l’économie halal, apparu en France à la même époque que les premiers voiles quinze ans auparavant. On assiste à une instrumentalisation de l’économie comme outil de propagande politique et religieux. C'est là qu'entrent en jeu les grandes entreprises, comme Decathlon aujourd'hui.

Ne serait-il pas, dès lors, plus important de dénoncer tous les relais ou les idiots utiles des frères musulmans plutôt que de s'en prendre au symptôme Decathlon ?

Decathlon n’en est plus au stade du symptôme, il en devient le relai ou "l’idiot utile". Les "idiots utiles" d'aujourd'hui sont les Decathlon d'hier. Edwy Plenel, Mediapart, certains journalistes ou associations, y compris féministes, qui relativisent le port du voile avaient exactement les mêmes arguments que ceux avancés par Decathlon ces derniers jours. Ils étaient eux aussi une forme de symptôme, et en sont devenus des acteurs. Cette marque, comme d’autres, a une énorme responsabilité. Mais là nous parlons d'une marque française. C'est ce qui est nouveau.

Ce développement ne s’est pas fait du jour au lendemain. Qui aurait pensé au début des années 90 que l’on en serait là aujourd'hui ? Personne n’imaginait que l’on verrait de telles revendications, que le Comité International Olympique cèderait, que Mattel vendrait des Barbies voilées. Personne n'aurait imaginé non plus que les féministes universalistes, y compris musulmanes, et celles qui se battent contre les islamistes dans les pays musulmans, se feraient traiter de "racistes" ou "d'islamophobes" (c’est-à-dire blasphématrices), etc. Tous ces petits renoncements ont permis un développement mercantile pour satisfaire un besoin créé par les islamistes. On en vient, au nom du business (Ce que Decathlon nomme "au nom du sport"), à promouvoir l'intolérable au nom de la tolérance. Les islamistes ont réussi à poser suffisamment de jalons pour que de nombreuses femmes considèrent aujourd'hui qu’il faut sortir la tête couverte. Decathlon vient répondre à cette demande créé par les islamistes en proposant son Hijab de course.

L’argument avancé par Décathlon est : « Ce couvre-tête a été co-créé avec nos équipes de Decathlon Maroc qui souhaitaient rendre accessible cette pratique à toutes les sportives et futures sportives de leur pays ». Dans quelle mesure la réponse de Decathlon est-elle également inadaptée ?

C’est tout le sujet de la complexité de l’islamisme qui n’est pas monobloc. Même en distinguant salafistes et Frères musulmans, on constate que ces deux courants ne sont pas non plus homogènes. On voit par exemple le blog islamiste à tendance salafiste Al-Kanz. Les salafistes refusent en général que les femmes aient une activité sportive et/ou professionnelle, sauf à être totalement sûr qu'il n'y a pas la moindre présence masculine à 100 mètres à la ronde. D'autres refusent catégoriquement toute activité. Al-Kanz ne voit pas de problèmes à ce qu'une femme travaille ou fasse du sport. A la condition que son corps et sa tête soient bien couverts pour ne pas "attirer le regard". Toute la responsabilité des débordements masculins est portée par la femme. Mais l'emballage ne doit pas être n'importe lequel. Sinon, il suffirait de se couvrir la tête avec un bonnet et porter une écharpe ou un foulard pour cacher le cou par exemple. Cet emballage doit être reconnaissable, pour se distinguer des femmes "occidentales". D'où la revendication du Hijab. Nous retrouvons la symbiose entre sexisme et revendication identitaire et politique. Pour répondre à cela, et aussi étendre son idéologie, Al-Kanz a fait du vecteur économique une stratégie politique. Depuis sa création, l’objectif est de développer le marché du halal, le marché économique du voile, se mettre en contact avec les entreprises pour leur faire miroiter un marché porteur. Ce qui permet de donner une visibilité à l'idéologie islamiste - je ne parle pas de l’Islam, qui ne se voit pas en tant que religion - de le banaliser, de le rendre acceptable à travers l’économie de marché. Si des marques produisent ces biens, accompagnés de codes de langage marketing comme “mode pudique” ou “vêtements modestes”, elles participent à cela. Ce qui est surréaliste, c’est que l’on a pu voir Al-Kanz interpeller Decathlon sur Twitter en leur disant de “tenir bon” et en posant la question de savoir si ce Hijab de course sera vendu en France. Décathlon a répondu par l’affirmative et Al-Kanz a pu manifester sa joie. La marque de sport a donc eu un dialogue bref, mais un dialogue, avec un blog islamiste pour expliquer que cela va être vendu en France. Cet échange est à la fois effrayant et très fort symboliquement, pour toutes les raisons que j'ai évoquées.

Quand on regarde le communiqué que vous citez, on voit qu’il s’agit de permettre aux musulmanes, au Maroc, d’accéder au sport. Cela sous entendrait que toutes les sportives marocaines ne peuvent pas faire de sport si elles n’ont pas la tête couverte ? Il suffit de consulter la presse maghrébine et notamment marocaine pour voir que les athlètes féminines, et des athlètes de très haut niveau qui gagnent des médailles dans les compétitions internationales, sont nombreuses. Et elles ne sont pas voilées. La plupart des sportives maghrébines ne se voilent pas. Mais aujourd'hui, grâce à Decathlon, les islamistes vont pouvoir dire aux femmes qu’elles n’ont plus aucune excuse. Rien n'est hermétique. Ce qui se passe au Maghreb a des conséquences en France et inversement. Les islamistes au Maghreb vont s’appuyer sur ce qui se passe chez nous pour légitimer leurs discours chez eux. Puisqu'une marque française fabrique un Hijab de sport, et le vend dans le pays des droits de l’Homme, ce serait bien la preuve que ce n'est pas un outil d'oppression. Si "même en Europe ils le vendent et elles le portent", les sportives maghrébines n'ont plus aucune excuse pour ne pas se bâcher. A partir de là, l’injonction de se voiler dans les pays musulmans devient plus forte. Cela participe à l’oppression des femmes dans un domaine qui était plus ou moins épargné, le sport. Et par la technique des petits pas, cela va permettre à ces mêmes intégristes, avec le temps, d'assurer une pression plus efficace auprès des fédérations sportives pour que le voile soit autorisé lors des compétitions, au Maghreb, en France et ailleurs.

Voilà comment Decathlon se retrouve partenaire du développement politique et sexiste de l'islamisme. Tout ça au nom du sport, bien sûr...

La marque a finalement reculé en décidant de ne pas vendre ce produit en France. Elle n'a pas pris cette décision parce qu'elle aurait soudain pris conscience de tout ce que j'ai évoqué. Ce hijab reste en vente ailleurs. Elle l'a prise sous la pression grandissante créée par la polémique. Nul doute que cela est provisoire, ce qui transparait d'ailleurs dans sa déclaration. Decathlon attendra que toute cette polémique retombe et tentera à nouveau, peut-être, de vendre ce produit sur notre territoire. Ce n'est donc qu'un échec provisoire pour les islamistes et qu'un répit pour les féministes universalistes. Mais aussi, espérons-le, un espoir, une source d'inspiration et de motivation pour les féministes maghrébines, quoi que Decathlon en pense.

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